06 - Le char léger Renault type FT

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LE CHAR LÉGER RENAULT TYPE FT

Bien que, dans les grandes lignes, les circonstances aient, d' e Il es -m ê mes imposé une nouvelle orientation à l'idée-char, il serait vain de croire que celle-ci ait pu pour autant convaincre d'emblée les états-majors supérieurs. La petite guerre dans la guerre que se livrent les grands fournisseurs d'arme­ment, d'une part, et les commissions civiles face aux militaires, d'autre part, a fait naître et proliférer à l'envie les commissions, les comités, les réunions, les conférences. C'est à l'hôtel Cla­ridge à Paris, en juillet 1916, que s'exerce dans sa forme supérieure cette bureaucratie souveraine qui para­lyse l'industrie consacrée à l'armement, les commissions qui ne concluent à rien succèdent aux conférences qui déclenchent de nouveaux essais, de nouveaux travaux, de nouveaux rap~ ports à soumettre. à ces mêmes com­missions tandis que la guerre impitoya­ble continue d'aligner les morts par milliers. Estienne est descendu à Paris pour tenter de convaincre les autorités supérieures de lancer la fabrication d'un char léger. Il ne rencontre que réticences et objections; le général Mourret vient justement en effet de faire mettre à l'étude un modèle de char ultra-lourd, une sorte de super­Saint-Chamond.

Intensément convaincu d'avoir raison par-dessus tout, fidèle à sa personna­lité qui le conduit à négliger les obsta­cles de principe, Estienne se dirige vers Louis Renault, qui, fournisseur d'obus, s'était intéressé aux premiers essais de chars. C'est une nouvelle fois, pour Louis Renault, l'occasion de prouver que la performance, .aussi bien pour une automobile que pour un char, dépend en fait essentiellement d'un bon rapport poids-puissance; c'est aussi l'occasion, convaincu par Estienne de l'inexorable nécessité pour la France d'aligner un grand nombre de chars, d'assurer une fabrication parti­culièrement intéressante pour la crois­sance de l'Usine.

Naissance du char léger

A la demande pressante et officieuse d'Estienne et sans qu'aucun marché ne lui soit assuré, Louis Renault entre­prend la construction de la première maquette : un engin aux dimensions exactes du futur char mais recouvert d'acier doux au lieu des plaques de blindage. Prévu pour être monte par deux hommes -un conducteur et un mitrailleur -ce prototype de 4 tonnes seulement est équipé d'un moteur de 30 CV; ses dimensions sont à peu près définitives: 5 m de long, 1,74 m de large, 2,14 m de haut. Sous l'impul­sion dominatrice et les «coups de gueule" du Patron, tout ce que Billan­court compte d'ingénieurs et de tech­niciens se trouve véritablement mobi-

Le char FT 17 (archives R.N.U.R.).

lisé sur ce projet que recouvrent les initiales «F T" et dont les premiers essais auront lieu fin janvier 1917 : quatre mois pour l'étude et la réalisa­tion du prototype d'un engin entière­ment nouveau!

Pendant que naît ainsi le char léger, Estienne s'efforce d'intéresser l'État­Major à ce projet qui représente pour lui, à ce moment, l'aboutissement de l'idée «char". Codifié pour déjouer les espions qui, en principe, fourmil­lent, «Tracteur à chaînes type Louis Renault ", le projet ne rencontre qu'indifférence. Plusieurs fois solUcité en vue de passer une première com­mande officielle de cinquante chars qui hâtera la mise au point du prototype, le général Mourret, directeur des Ser­vices ~ Itomobiles, se dérobe. Obstiné, Estienne a réussi à gagner à sa cause un officier de l'État-Major du général; un jour, il est avisé par cet officier que la commande de cinquante chars vient d'être passée. Soulagé et heureux, Estienne appelle. au téléphone Louis Renault : hélas, c'était une confusion puisqu'il s'agissait en fait d'une com­mande de camions à chenilles. Convaincu qu'il lui sera impossible de vaincre l'inertie hostile des Services Automobiles, Estienne, qui a, entre temps, été promu général, s'adresse au générallissime Joffre. En termes sans équivoque, il explique la situation : Joffre prend fait et cause pour le pro­jet du char léger, il écrit au sous-secré­

tariat d't:tat à la Guerre et, Renault reçoit officiellement commande ... d'un char.

A l'initiative de l'infatigable Estienne, la commission consultative de l'Artil­lerie d'Assaut, sous la présidence de J.-L. Breton, se réunit le 30 décembre à Billancourt. Les généraux chenus, les imposants colonels, les capitaines à moustaches examinent les éléments du prototype, accompagnés par un Louis Renault survolté, silhouette à la Charlot, surmonté de l'inévitable cha­peau melon. L'aréopage se transporte ensuite pour délibérer, à la Direction de l'Artillerie, place Saint-Thomas d'Aquin. Dans l'austère «Salon Rouge», sous les lambris, dans la triste lumière qui tombe du candélabre suspendu à 4 m de hauteur, le général Mourret, vieux et défraîchi, fait connaî­tre son opinion. Selon lui, le poids total de quatre tonnes lui paraît insuffisant, incapable d'assurer à l'engin la fonc­tion d'un cuirassé terrestre j on sait qu'il préconise, par ailleurs, la cons­truction d'un char de trente tonnes dont l'industrie française est, au demeurant, bien incapable d'assurer, sérieusement et en série notable, la fabrication. Louis Renault, soutenu vigoureusement par Estienne, défend avec acharnement l'idée de base : augmenter le poids du char, c'est enta­mer inexorablement la course à la puissance, c'est compliquer la fabri­cation, c'est retarder de plusieurs mois la mise en fabrication intensive des chars, dont le nombre dans la bataille, doit assurer l'efficacité stratégique. Louis Renault tient également, de façon essentielle, à conserver, pour des rai­sons évidentes de prix de revient, son moteur de série, d'autant que pour obtenir une puissance supérieure, il serait alors nécessaire de recourir au moteur d'avion dont la construction

reste très limitée en nombre et la fra­gilité certaine dans l'utilisation envi­sagée qui nécessite de fréquents chan­gements de régime.

Le moteur Renault

Le moteur Renault présente, au demeu­rant, pour l'époque, de sérieuses quali­tés qui le placent à la tête des fabri­cations existantes. Il s'agit d'un 4 cylin­dres monobloc, 95 d'alésage et 160 de course. Le vilebrequin repose sur trois paliers j son graissage est assuré sous pression pour le vilebrequin et les paliers et par barbotage pour les

Ensemble et coupe du char.

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cylindres et pistons. D'une façon clas­sique, une pompe à engrenages est logée dans le carter inférieur et com­mandée par un arbre vertical attaqué par l'arbre à cames au moyen des pignons hélicoïdaux. Deux autres pom­pes à engrenages à grand débit em­pêchent les accumulations d'huile lors des grandes inclinaisons prises par le char. Les soupapes sont placées d'un même côté et commandées par un seul arbre à cames. Le carburateur Zénith d'un modèle entièrement nou-

Les études d'habitabilité du char FT 17 furent réalisées non pas sur plans, mais bien par des essais à bord de cette maquette en bois d'une exécution minu­tieuse. On notera la forme de la tourelle qui ne fut d'ailleurs jamais construite, conforme au projet initial (archives R.N.U.R.).

veau pour l'époque, et breveté, ali­mente les chambres à combustion par un collecteur latéral. Il s'agit d'un car­burateur automatique. Dans le carbura-teur Zénith le bon dosage de l'essence est assuré automatiquement à tous les régimes. L'alimentation du carburateur est assurée dans toutes les positions du char par une nourrice spéciale maintenant une pression suffisante et constante à l'arrivée d'essence.

La mise en marche du moteur se trouve facilitée par l'action d'un décompresseur, qui diminue la pres­sion dans les chambres de combus­tion, en interposant, grâce à une manette, un doigt entre les cames et leurs poussoirs.

L'allumage se fait par une magnéto Bosch blindée. Le refroidissement est assuré par thermo-syphon et radiateur à tubes placé derrière le moteur, avec circulation d'air forcé grâce à un ven­tilateur commandé par une courroie qu'entraîne le volant du moteur.

Enfin, au terme d'une longue et pénible délibération, la commission par 7 voix contre 3 (dont celle évidemment du général Mourret) décide qu'il y a lieu, étant donné les demandes du Corps combattant, de passer commande en principe de cent à deux cents engins. Si Louis Renault respire enfin, Estienne, quant à lui, qui songe à trois mille appareils pour percer en force le front allemand cache mal son désappoin­tement.

Lors de la réunion suivante de la commission, le 30 janvier 1917, le général Mourret, dont la rancune est vindicative, s'élève à nouveau contre le projet du char léger; il exige de nouveaux essais avant que la com­mande définitive, entre temps fixée à 150 chars, ne soit officiellement pas­sée. Le 22 février, en grand patron qu'il est, c'est Louis Renault lUi-même qui, sans chapeau melon, en bourge­ron de mécanicien, prend les com­mandes, seul à bord, du char léger.

Sans incidents notables les premiers essais s'effectuent au bord de la Seine que jalonnent d'aimables guinguettes où fleurit le lilas au printemps; près de l'Ile Seguin qui deviendra le fief de Renault et qui n'abrite pour le moment qu'un réputé tir aux pigeons.

Hélas, brutalement, l'avenir du char léger se trouve d'un seul coup compro­mis : Joffre qui apportait son soutien à Estienne vient d'être limogé. C'est Nivelle qui le remplace. A ce boulever­sement dans les hautes sphères cor­respondent des ordres comminatoires pour Renault : fabriquer d'urgence et en priorité trois cents caterpillars pour le transport dans la zone de combat

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de l'artillerie lourde en parallèle à une mise en demeure catégorique du ministre de l'armement Thomas «la maison Renault ne pourra, sous aucun prétexte utiliser la main-d'œuvre destinée à la fabrication des caterpil­lars pour des travaux d'automitrail­leuses sur chenilles ou chars de combat ".

Les commandants en chefs passent mais Estienne demeure, égal à lui­même. Devant cette décision il se déchaîne, tempête, offre sa démission, court les bureaux d'état-major et obtient, par sa seule ténacité, le 9 mars 1917, ce blanc-seing du Grand Quartier Général : «1/ y a lieu de prévoir la continuation de la fabrication inten­sive des chars d'assaut dans le but de réaliser un matériel suffisant pour attaquer sur un front de cent kilo­mètres ".

C'est immédiatement pour Louis Renault, qui avait conçu et fabriqué sans aucune commande officielle le prototype du char léger, l'ordre de construire deux mille chars: une extra­ordinaire chaîne de fabrication à impro­viser de toutes pièces, quinze mille tonnes d'acier à approvisionner dans ce pays saigné à blanc alors que la mise au point du prototype se pour­suit sans relâche.

Champlieu

Le 14 mars 1917, transporté par un camion Renault à bandages pleins type FU, le prototype numéro deux aborde à l'aube les terres ravagées de l'ancien champ de bataille de Champlieu. Paysage lunaire, bouleversé par les cratères des 155, remplis d'eau, habité par d'énormes rats, traversé de réseaux barbelés où flottent encore au vent sinistre des lambeaux de capote, c'est maintenant le haut-lieu où l'artillerie d'assaut fait ses premières armes. Encore une fois seul au poste de pilo­tage c'est Louis Renault qui dirige l'en­gin vers les tranchées effrondrées qu'il franchit à sa manière de char léger, en descendant au fond et remontant la pente inverse dans le rugissement de son moteur lancé à fond et le gron­dement de ses chenilles. Après quel­ques heures hachées d'arrêts pour des mises au point, des réglages, c'est la panne irrémédiable : un barbotin à cédé et la chenille est définitivement immobilisée. Nouveau retour à Billan­court dans la nuit à bord du grand camion ferraillant.

La bureaucratie proteste énergique­ment contre cet enthousiasme créa­teur et Estienne reçoit une vigoureuse semonce personnelle du ministre de l'Armement : «J'attire votre attention sur les inconvénients qui peuvent résulter de cette manière de faire : non seulement les indications que vous avez pu être amené à donner au constructeur, au cours ou à la suite de tels essais, n'ont pas eu le carac­tère officiel désirable, mais il est regrettable que les membres chargés de ces expériences n'aient pu assister aux toutes premières".

Les plumitifs, les «chieurs d'encre", ne peuvent se résigner à voir naître sans eux, aussi vite et sans leurs contrôles tatillons, leurs éternels rap­ports, le nouveau char dont ils devi­nent pourtant les possibilités essentiel­les et le rôle déterminant dans l'issue de la guerre.

Inlassable, le général Estienne mène son combat, la canne à la main, le képi incliné sur l'œil, volontaire et tenace, il harcèle individuellement les membres du comité consultatif de l'Artillerie d'Assaut. Le 10 avril, enfin, ce comité accepte à l'unanimité de confirmer la commande de mille chars et, sur la proposition d'Estienne, décide:

«On cherchera à armer, si possible, soixante-quinze chars avec un canon de 37 millimètres et on en armera au moins cinquante avec de tels canons ".

La précision du canon de 37, réalisé par l'Atelier d'Artillerie de Puteaux sous la direction du commandant Garnier, est reconnue mais, malheureu­sement, son encombrement rend très difficile son installation dans l'étroite tourelle du char léger. De plus, inconvénient majeur, il doit être servi par deux hommes et la tourelle ne peut en contenir qu'un seul. Dans un extra­ordinaire assaut de prouesses tech­niques et de décisions rapides le commandant Garnier et Louis Renault vont résoudre en quarante-huit heures ce délicat problème qui, en estimation optimiste, aurait pu mobiliser au long d'une année la fine fleur des théoriciens du Service Technique de l'Armement. En une nuit le commandant Garnier et ses assistants imaginent, et en réalisent les plans, un 37 avec culasse automa­tique permettant ainsi au canon d'être servi par un seul homme; le lende­main, dans la journée, Louis Renault en fait exécuter la maquette vérifiant ainsi le positionnement de l'ensemble à l'intérieur de la tourelle. Aucun ate­lier d'armement n'étant en mesure d'assurer cette fabrication nouvelle de cinquante canons de 37 à culasse

semi-automatique, c'est encore Billan­court qui s'en chargera ajoutant un nouveau problème à l'extraordinaire complexité des approvisionnements et des sous-traitances pour la réalisation des mille premiers chars. Pour appré­cier les innombrables difficultés que

pie, logique, est percutante : d'accord nous pouvons modifier et perfectionner ces chars, mais ce sont de nouveaux délais, et, partant, des milliers de

Essais dans une rue de Billancourt (archives R.N.U.R.).

supposent l'approvisionnement en matières premières on doit savoir que le classement des priorités en fourni­tures de guerre ayant été établi. à une époque où les chars de combats n'existaient pas, leur fabrication n'est pas considérée comme prioritaire; il faudra attendre octobre 1917 pour que, en particulier, les plaques de blindage puissent être approvisionnées de façon à peu près normale.

La dernière bataille, en mai 1917, dans cette guerre pour les chars que livre sans trêve le général Estienne est parti­culièrement rude : Albert Thomas, ministre de l'Armement, est parti à Saint-Petersbourg, porter le salut des socialistes français à Kerensky. Avant de partir il a suspendu, sur le vu de rapports partiels et partisans, la com­mande des mille chars, sans la moindre considération pour les approvisionne­ments gigantesques déjà réalisés pour cette fabrication. En son absence la politique du parapluie affecte l'ensem­ble de ses collaborateurs, et personne n'envisage de prendre la responsabi­lité de faire rapporter cette décision arbitraire. Une fois encore, celui qui devient le «Père Estienne» engage contre l'administration stupide un nou­veau combat. Son argumentation sim­

morts inutiles. La grande et terrible question qu'il pose de toute sa force et de tout son poids : devons-nous construire des chars imparfaits et gagner la guerre, ou attendre l'engin

idéal en la perdant? Cet enthousiasme et cette définition impitoyable des responsabilités permet­tront à Estienne de gagner, enfin, la bataille des chars. Annulant d'office la décision d'Albert Thomas, le comité accorde que: «sous réserve de modi­fications à déterminer à la prochaine séance, il y a lieu de poursuivre la fabrication des mille appareils Renault et il ne doit être apporté aucune pertur­bation aux prévisions antérieures pour les approvisionnements en matière première ».

Les premières séries de chars sont, bien sûr, imparfaites; plaques de blin­dage en mauvais acier, armement incomplet, mais les chiffres de com­mandes émanant du ministère de la Guerre subissent une vertigineuse ascension : 1 000 chars supplémen­taires commandés à Louis Renault, plus 800 fabriqués chez Berliet, 600 chez Schneider, 300 à Delaunay-Belleville, 1 200 commandés aux usines améri­caines pour lesquelles le gouverne­ment amencain envisage un pro­gramme de 4800 chars.

Si Louis Renault n'avait d'ailleurs demandé aucun droit pour les licences de fabrication accordées aux usines françaises pour construire son char léger, il réclamera et obtiendra cent mille dollars des Américains en 1918 pour sa licence.

Atelier de montage des chars en 1917 (archives R.N.U.R.).

Les lenteurs de la mise en fabrication, les tracasseries des divers bureaux d'études américains, feront que, au jour de l'Armistice, seulement une cen­taine de chars auront été construits et aucun n'aura encore été débarqué en France. Les lenteurs administratives françaises sont à l'échelle des len­teurs américaines puisque, à fin mai 1918, les usines Renault ont livré environ 1 000 chars au ministère de l'Armement.

Sur ces 1 000 engins environ, 600 seu­lement ont été livrés au ministère de la Guerre, les autres sont en essais au Centre de Chalais-Meudon; sur les 600 disponibles, moins de 300 parvien­nent au front à l'artillerie d'assaut; les autres sont, pour 150 environ, consa­crés à l'instruction, une centaine immo­bilisée dans divers dépôts, une tren­taine répartie pour étude entre les différentes usines fabriquant, sous licence, les commissions d'invention, les armées américaines et anglaises. Le 22 février 1918, le général Fayolle, témoin extraordinaire de l'ensemble de la guerre, note dans ses «Cahiers secrets de la Grande Guerre»

"Manœuvre de tanks à Champlieu; vu les 6 tonnes Renault, leur mobilité est remarquable ".

Le char Renault FT dans la bataille

Le char léger Renault mesure 4 m environ, nbn compris la queue de sou­tien, 2 m de haut et 1,70 m de large. Sa vitesse de 1 à 7,78 km et sa faci­lité d'évolution, en font vraiment un char" d'assaut ". En marche d'appro­che au combat -il circule alors à 2 km/h environ -sa progression est presque silencieuse; à quelque dis­tance, seul un curieux ronflement en bruit de fond peut inquiéter les guet­teurs ennemis. Sa simplicité de cons­truction relative permet aux usines Renault de livrer au ministère de l'Ar­mement mille chars légers en cinq mois.

Il pèse maintenant 7 tonnes (contre 4 pour le prototype), son moteur déve­loppe 35 à 40 CV, sa réserve de 96 litres d'essence lui donne une auto­nomie de 6 à 8 heures ou 35 km de route. Sa consommation exprimée en litres aux cent kilomètres varie dans les impressionnantes limites de 320 à 350 litres. Il peut franchir des tranchées de 1,50 m, les coupures à bord franc de 1,80 m, gravir des pentes de 120 % soit environ 500, passer dans 80 cm d'eau et démolir par sa poussée des murs en maçonnerie de 40 cm. L'épais­

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seur des blindages varie entre 6 et 16 mm, la tourelle à l'origine polygo­nale en plaques boulonnées devient, par la suite, moulée en forme de cloche.

L'intérieur est divisé en deux compar­timents séparés : à l'avant, le loge­ment de deux hommes, à l'arrière le moteur et son radiateur, dont le venti­lateur assure, en principe, également la ventilation intérieure, enfin, le réser­voir d'essence.

A l'extrême avant, assis presque sur le plancher, le conducteur dispose de trois pédales : embrayage du moteur, frein, accélérateur, et de trois leviers : embrayage pour chacune des deux chaînes et changement de vitesse. En position assis-debout, maintenu par comporte une sortie de secours. Dès les premiers engagements, un code muet, simple et rude a ,été instauré entre le tireur -qui doit bien sûr garder l'initiative des manœuvres -et le conducteur puisqu'ils ne peuvent côm­mu niquer par la voix, les bruits de fonctionnement couvrant même leurs cris:

-coup de pied dans le bas du dos : en avant;

-coup de poing sur la tête: stopper; -pression sur une épaule: virer dans cette direction.

L'intensité et la fréquence des coups acquièrent eux-mêmes une significa­tion lorsque les deux hommes ont acquis ensemble la dure expérience du combat.

une sangle, derrière le conducteur, se tient le tireur, coiffé par la tourelle qui pivote entièrement.

Elle est équipée d'une mitrailleuse ou d'un canon de 37 à culasse semi­automatique; dans le premier cas, l'engin est appelé «char femelle ", et dans le second cas, "char mâle". Il existe également des chars de ravi­taillement (non armés), des chars. poseurs de fascines, des chars projec­teurs (deux phares à l'extrémité d'une haute poutrelle); des chars porteurs de canon 75 sont également réalisés.

Des fentes de 3 mm assurent la visibi­lité sur les quatre côtes; l'accès s'ef­fectue par l'avant en ouvrant les deux battants du capot, mais la tourelle

Le défilé de la victoire : les chars passent sous l'Arc de Triomphe (archives R.N.U.R.).

Le lancement du moteur s'effectue à la main de l'intérieur, et de l'extérieur à l'arrière.

Le mouvement du moteur est transmis par les barbotins (large roue dentée) aux chaînes qui s'enroulent sans fin sur les tambours avant et entraînent les neuf galets par côté (3+2+2+2) montés sur quatre boggies. Les mou­vements directionnels sont obtenus par la vitesse relative des deux chenilles provoquée par les deux embrayages; le blocage d'une des chenilles pro­voque le pivotement du char sur le côté.

Le comportement du char léger dans la bataille est stupéfiant par rapport à ses lourds prédécesseurs: il se glisse dans les taillis, se faufile dans les ravins, se dérobe au tir du canon en utilisant les replis du terrain. Dans les blés non moissonnés de l'automne 1918, d'où seule dépasse sa tourelle, il ouvre de larges sillons et fauche les tireurs allemands.

En juin, il dégage la forêt de Villers­Cotteret; en juillet, de la Marne à l'Aisne, de Château-Thierry à Soissons, il est. de toutes les batailles jusqu'à la victoire finale.

Dans un communiqué officiel concer­nant la contre-offensive déclenchée le 18 jùillet 1918 entre Aisne et Marne, on peut lire: «Du 18 au 23 juillet, les chars d'assaut ont participé quotidien­nement a.ux attaques et la plupart ont exécuté deux sorties; certains retour­nèrent au combat à quatre ou à cinq reprises dans la même journée. A cette date, chaque compagnie comptait trois jours pleins de combat et des pilotes ont eu, à leur actif, jusqu'à trente heures de conduite les 18 et 19 juillet».

Le 30 juillet 1918, l'ordre No 114 apporte à l'Artillerie d'Assaut ses titres de gloire :

« Depuis le début avril, l'artillerie d'as­saut vient d'affirmer, en trente combats et deux batailles rangées, sa haute valeur cjffensive. Ratifiant le suffrage unanime de l'infanterie qui fit, dès le premier jour, à ses nouveaux frères d'armes une part de gloire dont ils garderont la fierté, le Commandant en chef leur adresse à tous, toutes ses félicitations.

« Équipages des chars qui, après avoir «puissamment contribué à arrêter «l'ennemi, l'avez rompu au Il juin et «au 18 juillet,

« Ingénieurs qui avez conçu et mis au «point les engins de victoire,

«Ouvriers de l'usine qui les avez « réalisés,

« Ouvriers du front qui les avez entre­« tenus,

« Vous avez bien mérité de la Patrie. »

Le Général commandant en chef les·· armées françaises du Nord et du Nord-Est,

Ph. PÉTAIN.

Sur l'exemplaire destiné à Louis Renault, le général Estienne, créateur et organisateur de l'artillerie d'assaut, a porté de sa main :

«A Monsieur Renault, à tous ses collaborateurs, Ingénieurs, Ouvriers, avec mes félicitations personnelles»

3 août 1918.

Il convient de rapporter que, vingt ans après, en 1936, le char léger Renault devait, durant la guerre civile espa­gnole, reprendre du service à titre temporaire.

En effet, uri certain nombre de chars du type FT, provenant des stocks réfor­més de l'armée française, avaient été livrés aux troupes républicaines du gouvernement de Madrid. C'est ainsi que l'automne espagnol de la plaine de Castille, sèche et poudreuse, vit apparaître pour un nouveau combat les engins rescapés de la Marne .et de l'Aisne.

Auparavant, au Maroc en 1925-1926, dans le bled, les char FT du 62e batail­lon avaient pris une part active au combat; il existait encore en 1940 plu­sieurs bataillons de chars légers équi­pés de FT (par exemple le 36e B.C.C.) qui prirent une part active à la « drôle de guerre ».

Entre-temps, et à peu près jusqu'à nos jours, ces increvables engins avaient constitué l'essentiel des forces blin­dées de divers pays d'Amérique Cen­trale et du Sud (*).

Roger-Pierre LAROUSSINIE

(*) Ce texte est extrait du livre de notre collaborateur R-P. Laroussinie « Mécanique de la Victoire» (Albin Michel éditeur).