03 - L'Album de famille

========================================================================================================================

L'ALBUM DE FAMILLE

Dans le numéro 1 de ce bulletin, j'ai parlé de la première voiture réalisée par Louis Renault. Avant d'entreprendre une étude aussi vraie et complète que possible sur les types de véhicules construits et présentés au Service des Mines depuis 1899, faisons ensemble quelques pas en arrière afin de mieux connaître la base de l'édifice dont dépend notre pain quotidien.

Possesseur d'un tricycle de Dion­Bouton,dont la puissance varie de 3/4

de CV à 1, 1/4 CV, selon les docu­

ments de l'époque, Louis Renault

trouva ce mode de locomotion peu

pratique et pour cause : actionné par un moteur à essence de pétrole refroidi à l'air, la mise en marche se faisait par le mouvement des jambes du cavalier sur les pédales. En côtes, pour les gravir plus aisément et plus rapi­dement, là encore les pédales étaient utilisées. Le bâti de ce tricycle pesant 75 kilogrammes, muni de roues à rayons tangents renforcés, jantes en bois et acier ou tout acier, présentait une voie de 0,92 m.

Les deux roues arrière motrices étaient donc mises en action par l'intermé­diaire des pédales entraînant une roue dentée et une chaîne Galle au moyen de trois cliquets agissant sur une cou­ronne à encoches intérieures faisant office de roue à rochets. Seule la mar­che avant était donc possible et les pédales étaient débrayées automati­quement lorsque le moteur, qui pouvait tourner à 1 400 tr/mn et procurer une vitesse de 20 km/h, avait une vitesse de rotation supérieure à celle des jambes. L'entraînement des roues par le moteur se faisait par un pignon engrenant avec une roue dentée, calée sur l'axe de ces roues, ce second axe comportant, outre, un différentiel.

J'en aurai terminé avec la description succincte de ce tricycle, lorsque j'aurai précisé que l'allumage se faisait par une bobine à induction recevant le courant fourni par deux accumulateurs,

H.AiVAUZ,T FRÈRES

fU).LA.:"( r"l'RT I:;~"'~ 13~, H';lo,; '~II pn,: Pli JClU/! BtJR 1::. AIIX. Î. 1';.(,., dO'

d'un poids de 4 kg et que le freinage Plan du système de transmission -étude n° 0041 (Archives R.N.U.R.).

était obtenu à l'avant par un frein dit à cuiller alors que l'arrière comportait un frein à lame, agissant sur un tam­bour calé sur l'axe des roues arrière commandé par levier placé à gauche du tube de direction.

Nous connaissons la suite. Louis Renault réalise une petite voiturette à 4 roues, ayant une carrosserie deux places côte à côte (carrosserie Tilbury avec galerie à balustres), actionnée par un moteur 1 3/4 CV monocylindrique, monté sur un châssis relié aux essieux par quatre ressorts; mise en marche par manivelle à l'arrêt, débrayage au pied, transmission et mécanisme de changement de vitesses, conçus sur des principes nouveaux :

1.

un changement de vitesses à 3 rap­ports et 1 marche arrière;

2.

un essieu tournant possédant un différentiel en son centre sur lequel est monté une grande couronne d'angle, attaquée par un pignon conique;

3.

un arbre reliant le changement de vitesses à l'essieu arrière et portant à ses extrémités un joint de cardan, et dont la description de cet en­semble a été détaillée par J. Guittard dans le numéro 2 du bulletin.

Le succès de cette voiture allant gran­dissant, l'atelier où elle avait été réali­sée devint trop petit. Il fallut s'élargir...

Personne n'ignore que l'atelier de Louis Renault a été édifié dans les jardins, en face de la maison de campagne de ses parents. Cette maison se trouvait à droite en descendant vers la Seine, entre la rue Traversière et la rue Théodore (aujourd'hui englobées dans l'usine). D'autres terrains faisaient l'angle de la rue de Clamart et du boulevard de Strasbourg (aujourd'hui boulevard Jean-Jaurès). Mais cet atelier est presque entièrement dans les limi­tes du lotissement de M. de Gourcuff et où, paradoxe, l'exercice de toute industrie est interdite, les communica­tions peu faciles, puisque pas de métro et la voie ferrée ne dessert pas encore Billancourt, la Seine n'aide en rien et la main-d'œuvre spécialisée habite dans l'est de Paris. Tout ceci ne facilite guère l'expansion. Qu'importe! MM. Gaillardet puis Clément, ayant refusé de participer à la construction d'un atelier plus vaste, les trois frères déci­dèrent, malgré cela, d'abandonner les quatre planches posées sur la pro­priété de Mme Renault, pour louer un grand hangar fait de bois et de vitres situé 139, rue du Point-du-Jour.

C'est de là que sortirent, à partir de mars 1899, les voiturettes qui suivirent la sœur aînée de 1898 et celle qui

214

Tilbury (Autobiographie Renault).

enthousiasma les visiteurs de l'expo­tre et appeler l'attention du public. sition automobile de 1899.

Les courses automobiles commencent Certes, le carnet de commande a vu à faire parler d'elles. Les frères des noms noircir ses premiers feuillets, Renault s'engagent dans Paris-Trou­mais il ne suffit pas d'établir des véhi­ville, Paris-Ostende, Paris-Rambouillet, cules bien construits, au mode de pro­alors que MM. Prade et Corre gagnent pulsion nouveau, il faut se faire connaî-le tour d'Europe, soit 3600 km, en tra-

Première conduite intérieure 1900

(Archives R.N.U.R.).

L'Album de famille: au volant de gauche à droite Marcel Renault, Louis Renault, p, Hugé

et Mme Renault (Archives R.N.U.R.).

versant les Alpes par le Simplon.

C'était à faire ... L'une des dernières épreuves de cette fin de siècle est la course de côte de Chanteloup, où les frères se classent 11 e et 13"; Louis Renault sur une voi­turette d'une puissance de 2 1/4 CV et Marcel disposant d'une voiturette de 1 3/4 CV. Ce sont là les deux types de véhicules construits qui figurèrent au Salon du cycle dont l'ouverture eut lieu le 13 novembre 1899, salle Wagram.

Techniquement, ces voiturettes se pré­sentaient ainsi : types A et B récep­tionnés par le service des Mines le 13 juillet 1899 puisque satisfaisant aux prescriptions du décret du 10 mars 1899, lors de leur présentation le 4 juillet.

Ces deux véhicules sont presque sem­blables, la B se différenciant de la A par la puissance du moteur 2 1/4 CV à 23/4 CV pour la B, 1 3/4 CV pour la A et par le clapet d'admission 0 30 pour la A, 32 pour la B. Moteur de Dion-Bouton monocylindrique, d'un alésage. de 66 à 80 mm pour une course de 70 à 80 mm; cylindrée 270 cm~ et 450 cmB environ. Vitesse de rotation de 1 500 à 1 800 tr/mn.

Placé à l'avant de la voiturette sous une sorte de dôme grillagé, formant capot, ce moteur était pourvu d'ailet­tes afin d'amplifier le refroidissement par l'air.

Les deux roues avant sont directrices, les roues arrière motrices montées sur quatre ressorts à pincettes fixés sur un cadre en tube d'acier d'un 0 de 31 X 35 mm. C'est sur ce cadre que vient se fixer par 4 boulons pour la A, une carrosserie type Tilbury pour la B, une sorte de caisse de fiacre pro­tégeant ainsi' capelines et hauts de forme de l'humeur changeante du temps. Le mécanisme de transmission et le freinage par la pédale de débrayage placée sous le pied droit, n'ont plus de secret pour vous,

J. Guittard en ayant déjà parlé.

La direction s'obtient par l'articulation

des deux roues avant, la commande

s'effectuant par guidon ou par roue,

monté sur un tube vertical. Le frein à main agit sur deux tambours en acier d'un 0 de 140 mm sur 30 mm de large. Ce frein, à double enroule­ment, se compose d'une bande d'acier de 30 mm de large et de 1 mm d'épais­

seur garni intérieurement de cuir. Le levier de commande glisse le long d'une crémaillère, permettant de lais­ser le frein serré.

Ce furent, pour Renault, les seuls véhi­cules à recevoir un moteur à refroi­dissement par air, la C, objet de la prochaine description, ayant reçu un moteur à circulation d'eau.

Environ 76 voiturettes furent ainsi fabri­quées en 1899, car, selon les sources, la production fut de 71 -76 -80 voire 100 véhicules pour 60 ouvriers œuvrant dans un atelier de 300 m'2.

L'une d'entre elles est exposée au Musée «Autobiographie Renault» des Champs-Élysées, une autre est visible au musée de Compiègne. Cette der­nière porte le numéro de fabrication 22 et serait antérieure à celle récep­tionnée par les Mines puisqu'elle est désignée au procès-verbal, au numéro de fabrication 29.

Roger DESHUISSARD