06 - La câblerie de 1934 à 1960

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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La câblerie de 1934 à 1960

Pourquoi un département de câbles électriques au sein d'une usine d'automobiles et comment s'y est-il développé?

Maître d'œuvre de tout ce qui concernait la partie squelettique et les organes vitaux de l'automobile, M. Renault concevait difficilement de ne pas avoir un regard, et pourquoi pas une emprise, sur tout ce qui concourrait à habiller cette ossature animée et se voir imposer des fournitures, telles que les négo­ciants souhaitaient les livrer parce que conformes à leur techni­que, à leur matériel et qu'ils étaient d'un bon rapport commer­cial, mais pas toujours adaptés à l'usage qui en serait fait.

Il Y avait là une solution de continuité entre l'élaboration d'un véhicule conçu dans les bureaux d'études de l'usine, livré sous losange, et équipé d'accessoires étrangers à la marque.

C'est après la grave crise des années 30 que M. Renault décida l'intégration à Billancourt de secteurs de fabrications diverses tels que: caoutchouc, carton, textiles, câbles électriques, pein­ture, etc.

Voici donc un aperçu de la naissance et de la croissance de l'un d'eux: la câblerie.

La câblerie est une spécialité ; elle requiert des connaissances technologiques de mise en œuvre. C'est par voie d'annonces dans le journal l'Usine que j'ai été appelé, en 1934, à créer et diriger ce service.

Buts assignés: formuler de nouvelles gammes de fils spécifique­ment « auto », abaisser les prix de revient, assurer une produc­tion conforme aux besoins du montage.

Les fils dits «d'équipement », et répondant aux normes V.S.E., étaient alors composés de cuivre, étain, caoutchouc, textile et vernis. Les sections s'étageaient de 0,6 à 7 millimètres pour les fils et 25 à 60 millimètres pour les câbles de démar­rage. Les torons comportaient jusqu'à 101 brins, chaque brin étant étamé, cela représentait 101 kilomètres d'étamage pour 1 kilomètre de fil (l'étamage ayant pour but d'éviter l'oxyda­tion du cuivre par le soufre contenu dans le caoutchouc vulca­nisé). Le toron était enrobé d'une gaine caoutchouc, d'un ruban gommé spiralé, d'une tresse coton et de plusieurs cou­ches de vernis cellulosique.

Vn véhicule absorbait, à cette époque, 60 à 80 mètres de câbles, le double d'aujourd'hui. L'approvisionnement cuivre et câbles était assuré par de grosses tréfileuses câbleries (T.L.H., Câbles de Lyon, etc.).

Dès 1936, le cuivre fut tréfilé à l'usine (bâtiment B.B.), et nous prenions en charge l'étamage. D'autres fabrications complé­taient nos activités: les fils H.T. d'allumage, les fils guipés coton ou papier pour bobinage d'induits et quelques câbles d'installation et cordon téléphonique pour nos services d'entretien.

Le département 35 prit naissance dans un secteur de l'île Seguin. Le démarrage des fabrications a été effectué sur du matériel provenant d'une entreprise en cessation d'activité.

Alors que, jusqu'en 1939, seules des modificatIOns de structures et de main-d'œuvre permirent d'alléger quelque peu les prix de revient, l'apparition d'un nouveau matériau isolant: le plasti­que, allait offrir des perspectives nouvelles d'isolation.

Milieu de 1939, avec du matériel de fortune (une boudineuse caoutchouc transformée par nos soins en extrudeuse à plasti­que), nous avons obtenu des résultats d'enrobage très encoura­geants.

Lucien ]OLLIVET

Le seul approvlSlonnement en chlorure de polyvinyle venant d'Allemagne, les essais furent stoppés par la guerre. Durant les années qui vont de 1939 à la Libération, les points marquants furent l'exode avec point de chute à la Rochelle, encombrés d'un matériel qui ne sera jamais utilisé; le retour à l'usine, l'effacement des bombardements, la reprise d'une activité pré­caire avec un personnel réduit et des ersatz alloués par l'occu­pant (nos stocks de cuivre et de coton avaient été clandestine­ment transférés en lieu sûr).

En face de ces produits nobles, nous avons dû œuvrer avec: aluminium, caoutchouc synthétique, rayonne, autant de maté­riaux mal adaptés (oxydation et insondabilité directe de l'alu­minium, fragilité de la rayonne, etc.) ce qui se traduisait par une longévité très réduite des équipements montés sur les camions destinés à l'occupant.

En 1945, le P. V.C., isolant français, apparaissait sur le mar­ché. Reprise de nos essais, résultats très concluants. Le procédé et de nouvelles normes établies, non sans quelques réticences de la Chambre syndicale de l'automobile.

Au sujet des plastiques, une anecdote vaut d'ètre contée. En 1939, nous commandons, pour poursuivre nos essais, 300 kilo­grammes de P.V.C. à l'I.G. Farben (Allemagne). Vint la guerre, nous avions tiré un trait sur cette commande; nous avions eu tort car, cinq ans après et sans aucune relance de notre part, elle ressurgit des dossiers de l'I.G. Farben et nous fut livrée en 1945. Chapeau pour cette obstination commerciale.

L'emploi de l'isolant plastique fit chuter très fortement les prix de revient; la spécification « cuivre, étain, caoutchouc, ruban, tresse et vernis» se résuma alors en « cuivre, P.V.C. », plus un gain en poids, en encombrement et en main-d'œuvre.

La première extrudeuse pour plastiques nous fut fournit par

N.R.M. (U.S.A.), ce qui permit très rapidement à ce procédé de s'implanter. Notre parc s'augmenta par la suite de machines U.S.A., Allemagne et France, dont une machine haute fré­quence à détecter les défauts en continu à la sortie des extru­deuses.

L'accroissement des cadences, la prise en charge de nouvelles fabrications et l'impossibilité d'extension du département 35 dans l'île Seguin, nous conduisit à transférer celui-ci dans le bâtiment A.A., quai de Stalingrad.

Les nouvelles surfaces qui nous étaient allouées, outre l'implantation des installations existantes ou envisagées, nous permettaient d'inclure dans nos fabrications la confection des faisceaux de câblage jusqu'alors réalisés par le dépar­tement 74, en en modernisant l'assemblage par mise à lon­gueur sur machines automatiques, le sertissage des cosses, le montage mécanique des ensembles prêts à être montés sur les véhicules. De nombreuses machines ont été réalisées par l'usine, plusieurs brevets ont couverts divers matériels.

En 1943/1944, M. Renault me demanda d'envisager la fabri­cation des canalisations flexibles pour freins hydrauliques Lockheed dans nos ateliers et de lui soumettre un projet. Les structures et composants de ces pièces « coton, caoutchouc », s'apparentaient à nos techniques et matériels. Des prototypes furent réalisés sur nos machines, après adaptation.

Des essais très sévères imposés à ces pièces de sécurité, pres­sions, gonflement, tenue des composants, sanctionnèrent leur homologation et les Juva en furent les premières équipées.

Par la suite nous nous sommes outillés pour assurer la totalité des besoins de l'usine en flexibles : tresseuses U.S.A., Allemagne, machines et divers équipements ont été étudiés et construits par l'usine.

Des accords avaient été conclus avec la société Lockheed France pour lui donner accès à nos techniques, cette société projetait de produire ses propres flexibles jusqu'alors approvi­sionnés en Europe par Lockheed Ltd de Grande-Bretagne.

Enfin vers 1970, l'accroissement des cadences et la mise en œuvre de fabrications annexes contraignirent le départe­ment 35 à quitter Billancourt, trop exigu, pour s'installer dans notre usine de Dreux où fut poursuivie sa modernisation. Entre-temps, en 1960, j'avais été appelé à d'autres fonctions dans l'usine.

Lucien ]OLLIVET