03 - Il y a 25 ans disparaissait Pierre Lefaucheux

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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Il y a 25 ans disparaissait Pierre Lefaucheux

Reproduction du buste de Pierre LEFAUCHEUX, œuvre de Pierre MOLLET.

A l'aube du vendredi Il février 1955, Pierre Lefaucheux quit­tait Paris au volant de sa Frégate Amiral. Il se rendait à Stas­bourg où, à l'invitation des étudiants catholiques, il devait pro­noncer une conférence sur le thème « La Régie Renault devant la Nation ».

Il portait sur lui les notes que, selon son habitude, il jetait sur le papier, tant par respect de son auditoire, que par souci d'exac­titude. Ce qu'il voulait expliquer c'était les raisons des succès que la Régie Nationale avait enregistrés durant les dix pre­mières années au cours desquelles 1 098 760 voitures étaient sorties de Billancourt.

Ce résultat avait été obtenu, notait-il, « par une modernisation systématique des moyens de production. Le parc des machines avait été rénové tandis que la Régie conservait et réalisait dans ses ateliers un outillage qui a révolutionné les techniques de . l'usinage en grande série: les machines-transfert ». Et à qui profitait ces efforts, « non seulement aux 52 000 ouvriers et employés de la Régie et aux milliers de fournisseurs auxquels celle-ci confiait des fabrications, mais bien à la Nation tout entière. Non seulement, parce que Renault s'efforce d'amélio­rer constamment la qualité de sa production; mais aussi parce que la Régie, comme toutes les grandes entreprises françaises, contribue par son activité au développement de la richesse du pays ».

A l'entrée de Saint-Dizier

Vers 8 h 30, alors qu'il roulait à vive allure, des témoins évaluè­rent sa vitesse entre 120 et 130 km/h, Pierre Lefaucheux se présenta devant Saint-Dizier. Une déviation, légèrement en courbe, récemment construite, s'ouvrait devant lui et, est-ce une hésitation de dernière minute ou le léger verglas qui recou­vrait la route, toujours est-il, qu'arrivée au centre de la courbe, la voiture dérapa, heurta le talus bordant le côté gauche de la route, puis effectua plusieurs tonneaux avant de s'immobiliser dans la terre labourée, à environ 60 mètres du point de ren­contre avec le talus_ Pierre Lefaucheux, éjecté de sa voiture, gisait à proximité, couché sur le dos, vêtu de son manteau beige, tête nue_ Il por­tait une blessure au front et une plaie au côté droit de la face_ Il devait décéder quelques minutes plus tard, au cours de son transfert à l'hôpital de Saint-Dizier.

Une profonde et sincère émotion

Dès que la nouvelle fut connue dans l'usine, une profonde émo­tion étreint tout le personneL « Ouvriers, employés, agents de maîtrise, techniciens, cadres, chefs de service et directeurs de la Régie Renault, nous ressentons tous durement la perte irré­parable qui nous atteint en la personne de celui qui a conduit la Régie Nationale des Usines Renault à la tête de l'industrie française, et qui se préparait à la mener plus haut encore », devait écrire Pierre Grillot dans une lettre adressée à chaque membre du PersonneL

Quelques jours plus tard, le samedi 19 février, le personnel ren­dait un dernier hommage à la grande figure qui l'avait si pré­maturément quitté.

Sur l'esplanade de l'île Seguin, où le 10 novembre 1944 Pierre Lefaucheux avait pour la première fois pris contact avec

Pierre Lefaucheux prononçant un discours à l'occasion du 10' anniversaire de la création de la RÉGIE NATIONALE DES USINES RENAULT. On reconnaît à l'extrême gauche, Pierre Dreyfus et Pierre Grillot.

Pierre Lefaucheux recevant Sa Majesté HAlLE SELASSIE, Négus d'Abyssinie. On reconnaît au deuxième plan, à droite de Pierre Lefaucheux, Bernard Vernier-Palliez.

l'ensemble du personnel à qui, dans son langage direct et franc, il avait développé les raisons d'avoir confiance dans les destinées de l'Entreprise, tous se retrouvèrent près des chaînes de cette 4 CV dont il avait su imposer la fabrication. Toute hié­rarchie confondue, tous syndicats mêlés à l'exception de la C.G.T., 30000 personnes écoutèrent dans le plus profond silence les allocutions prononcées par Pierre Grillot et Henri Ulver, ministre de l'Industrie. Comme en écho à l'émotion de Billancourt, répondit celle des autres usines, à Flins qui por­tera son nom et où une stèle sera élevée, comme à l'usine du Mans, comme répondit aussi celle des établissements Renault du monde entier, celle des personnalités connues, celle de la presse quasi-unanime.

Un grand patron

Né à Triel le 30 juin 1898, l'année même où Louis Renault for­geait sa première voiture, il était ingénieur des Arts et Manu­factures et docteur en droit. Il avait fait ses armes aux Chemins de Fer du Nord, puis chez Dyle et Bacalan. La guerre le surprit comme directeur de la Compagnie Générale de Construction de Fours. Dès l'occupation, il choisit le parti de la France et devint le commandant GILDAS, désigné en 1944 commandant des F.F.1. de Paris. Arrêté par la Gestapo le 3 juin 1944, il ne dut son évasion du camp de Buchenwald qu'à l'obstination de sa femme Marie-Hélène Lefaucheux.

Nommé administrateur des Usines Renault, il devient président-directeur général de la nouvelle Régie Nationale. C'était un « grand patron». Il en avait la carrure, l'autorité physique et le prestige et aussi le caractère. Il sut écarter toutes les menaces qui pesaient sur la Régie, qu'elles viennent des hommes ou des administrations. Il sut faire la paix entre les hommes en conservant près de lui la plus grande partie de l'ancienne équipe de Louis Renault, il sut imposer ses vues à une administration souvent étroitement dirigiste. Enfin, il sut trouver le langage qui pouvait être entendu du personnel et de ses organisations. Et, si à partir de 1947 le consensus social fut rompu, il fut le fait d'une conjoncture politique dépassant très largement l'Entreprise, plutôt que l'expression ae'sa propre volonté.

Le bilan de ces dix années de gestion, bilan positif dans tous les domaines : technique, commercial et industriel atteste que les Usines Renault, au tournant de leur histoire, avaient eu la chance d'avoir à leur tête l'homme qu'il fallait, au moment où il fallait.

Gilbert HATRY