06 - DOCUMENT : Action de résistance du groupe O.C.M. des usines Renault au cours de l'occupation

========================================================================================================================

Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

========================================================================================================================

DOCUMENT : Action de résistance du groupe O.C.M. des usines Renault au cours de l'occupation

PRÉSENTATION

Le document qu'on va lire est le compte rendu de l'activité de la section O.C.M. des usines Renault, établi au lendemain de la libération, le 15 novembre 1944.

Qu'était l'O.C.M. (Organisation Civile et Militaire)?

Un des principaux réseaux de la résistance, membre du conseil national de la résistance. Résumons rapidement son histoire.

Peu après la signature de l'armistice de juin 1940, de nom­breux opposants à la politique d'abandon du gouvernement de Vichy se rapprochèrent, le plus souvent dans le cadre de leur profession, ou de leurs associations d'avant-guerre; les étudiants dans le groupe «Maintenir", les officiers de cavalerie dans l'association des anciens de Saumur présidée par Louis Rouzée depuis sa création en 1934, les officiers des services de renseignements, les journalistes autour de Claude Bellang'er, les hauts fonctionnaires autour de Maxime Block Mascart, vice-président de la confédération des travailleurs intellectuels.

En mars 1941, Maxime Block Mascart et le capitaine Arthuys choisissent le titre d'Organisation Civil'e et Militaire (O.C.M.) pour caractériser le mouvement de résistance de la zone occupée qui s'est constitué autour d'eux, surtout par rela­tions personnelles.

Dès le départ l'O.C.M. est un mouvement d'e cadres aussi bien civils que militaires qui recrute dans la haute bour­geoisie des industriels, des grands commis et d'es officiers que la politique de collaboration avec l'ennemi a éloignés de Vichy.

Au cours de l'année 1941, nombreuses sont les adhésions qui viennent de tous l'es horizons politiques, administratifs, industriels, sociaux.

Hommes de droite :

-le colonel Heurteaux, as de la guerre de 1914-18, le lieutenant-colonel Alfred Touny (alias Langlois), administra­teur de sociétés, sorti major de Saint-Cyr en 1906 -Croix de Feu, puis cagoulard, chef du 2e bureau de la IVe armée en 1939;

-Louis Rouzée, ingénieur des Arts et Méti'ers, industriel à Paris, ancien des Jeunesses patriotes et des Croix de Feu -Président des anciens de Saumur;

-André Postel-Vinay, polytechnicien (Se bureau) qui a la liaison avec Londr'es par un major canadien, qui a choisi comme pseudonyme «Ma chérie", établi à Marseille où il s'occupe d'embarquer pour l'Angleterre les évadés;

-Roland Farjon (alias Gallois) de la firme Baignol et Farjon, qui a appartenu aux troupes d'e choc du Parti Social Français, libéré en juin 1941 sur une liste de Vichy.

Hommes de gauche :

-Jean Henri Simon (alias Sermoy), avocat au conseil d'État et à la Cour de cassation, radical-socialiste;

-Jacques Rebeyr.ol (alias Robin), avocat, socialiste S.F.I.O., amène Georges Izard, avocat, député socialiste de Meurthe­et-Moselle;

-Marcel Berthelot (alias Lavoisier), professeur agrégé d'allemand, ancien attaché à l'ambassade de France à Berlin.

En décembre 1941, André Postel-Vinay, présente au colonel Touny, qui préside l'organisation Pi'erre Lefaucheux (alias Gildas), ingénieur E.C.P., secrétaire général de la compagnie des Fours et son épouse Marie-Hélène Postel-Vinay.

L'année 1941 a été bonne pour le recrutement en hommes de qualité, mais elle a été lourde en arrestations: Heurteaux en mars, Arthuys en décembre 1941 (déporté, mort à Hintzert en septembre 1943), Postel-Vinay, le 13 décem­bre 1941.

Fin 1941, Block Mascart prenait contact avec Ribière et Cacailles de Libé-Nord. L'organisation de la résistance en zone occupée s'élargissait.

De même, début 1942, le colonel Touny rencontrait le général Cochet du groupe «COMBAT» à Chamailères. La liaison s'étendait à la zone non occupée.

Le début de l'année voit l'arrivée à l'O.C.M. de André Boulloche, recruté par André Postel-Vinay, qui amène avec lui Pierre Pene (alias colonel Peri co) et son collègue Bertin, tous ingénieurs des Ponts et Chaussées du dépar­tement de l'Aisne et Michel Pasteau qui avait dirigé le chemin de fer franco-éthiopien.

Au printemps de 1942, l'O.C.M. comprend :

-un groupe d'études qui sous l'égide de Block Mascart travaille sur l'organisation de la France après la libération, sur les plans politique, économique et social;

-un réseau de renseignements dont les sources nom­breuses très diversifiées et bien informées apportent une masse de renseignements qui, malheureusement, peuvent difficilement passer de l'autre côté de la Manche -les liaisons ayant été successivement coupées :

-par l'arrestation de Heurteaux qui passait par des compli­cités à Vichy;

-par la mutation en Afrique du Nord du commandant Baril du 2e bureau de l'état-major;

-par l'arrestation de Postel-Vinay (la liaison par «Ma chérie» demandait plusieurs semaines).

Restait celle :

-par Claude Bellanger, trop sporadique pour la masse de documents à transmettre.

Fort heureusement, en avril 1942, une rencontre est orga­nisée par Berthelot par l'intermédiaire de Pierre Brossolette (alias Pedro), normalien, rédacteur avant 1939 de politique étrangère du «Populaire» (1) -entre le colonel Rémy (Gilbert Renault) qui anime le réseau «Confrérie Notre­Dame» (C.ND.) et le colonel Touny -les deux hommes décident de collaborer, en créant le réseau de renseigne­ments « O.C.M. -Centurie» qui acheminera ses informations par C.N.D. Par un heureux hasard, au même moment, un agent de Marcel Girard qui de Caen dirige le réseau O.C.M. qui couvre la côte normande de Cherbourg au Havre, Duchez, peintre en bâtiment, dérobe dans le bureau de l'organisation «TODT» la carte (3,00 X 0,70 mètres) de ce que sera le mur de l'Atlantique de Deauville au Cotentin et le colonel Rémy l'emportera à Londres dans ses bagages.

A son retour en France, à l'automne de 1942, Rémy écrira « Les fonds que j'ai remis à Touny ont été bien employés ­son O.C.M. se montre très vite active» (2).

Le recrutement après les catastrophes de décembre 1941 a repris activement au sommet de la pyramide sociale et sous l'impulsion de L. Rouzée parmi les officiers de réserv'e.

En avril 1942, Jacques Piette (alias colonel Personne) rentre au bureau d'« O.C.M. Centurie» et se spécialise dans les renseignements économiques.

En juin 1942, publication du premier cahier de l'O.C.M. qui traite de l'organisation politique de la France après sa libération. «La résistance n'est pas communiste, mais el/e refuse de faire de l'anticommuniste une base d'union et d'action» (3). On y trouve l'ébauche d'une constitution d'un régime présidentiel (un président élu au suffrage universel) avec une forte organisation régionale comportant, 19 régions.

En juillet 1942, création de l'O.C.M. Pas-de-Calais, autour d'éléments résistants d'Arras : Lucien Delassus, cheminot qui distribuait la « Voix du Nord» imprimée à Lille, de Guy Mollet (alias Laboule), professeur, et de Pierre Baudel, secrétaire national du syndicat des instituteurs.

En septembre 1942, au moment où le gouvernement Laval déclenche les déportations d'ouvriers en Allemagne (S.T.O.), se crée l'O.C.M.l (jeunes) sous l'impulsion de Charles Verny (passeur d'hommes et récupérateur d'armes) qui organisera la résistance à la déportation en fournissant des retraites en province, des fausses cartes d'identité et d'ali­mentation à ceux qui refusent d'obéir aux ordres de Vichy.

Fin 1942, Pierre Lefaucheux amène Aimé Lepercq (alias commandant Landry), ingénieur des Mines, jusqu'en 1938, directeur pour le groupe Schneider des usines Skoda en Tchécoslovaquie, qui préside le comité d'organisation des houillères.

Georges Izard présente à L-H. Simon, le docteur Jacques Richier (alias Duroc), chirurgien oto-rhino à l'hôpital Boucicaut, qui travaillait dans le réseau «Jade-Fitzroy» (émission le dimanche).

Dès le début de 1943, parallèlement au travail d'études et de recherches sur la future société française, et à la quête et transmission des renseignements vers Londres et Alger, l'organisation pour l'action combattante se poursuit et s'ac­célère, dans le but de préparer le combat sur les arrières de l'ennemi lors du débarquement des armées alliées.

Pierre Lefaucheux organise militairement le 7e arrondis­sement de Paris.

(1) «On l'appelait Pierre Brossolette» (Éditions Albin Michel -1916).

(2)

«Mémoires d'un agent secret de la France libre» par le colonel Rémy (Édition France-Empire).

(3)

Notes sur l'O.C.M. par A. Calmette (Presses univer8itaire8 de France -1961).

En mars 1943, le colonel Passy (Devawrin), chef du B.C.RA à Londres, vient en France inspecter les réseaux. Il visite, en compagnie de Farjon, la région A, (Nord) et écrit (4)

«Je rentrai à Paris, avec la certitude qu'il suffirait de quel­ques semaines d'effort pour que la région A fut prête à accomplir toutes les tâches que nous pourrions lui deman­der, même si J'armée secrète dans cette région devait être réduite aux seules forces de J'O.C.M.

En avril 1943, A. Lepercq entre au comité directeur de l'O.C.M. qui compte 11 membres.

En juin 1943, le colonel Touny évalue les effectifs de l'armée

O.C.M. à 32 000 hommes; dans le Nivernais: 2000 hommes prêts à se battre, commandés par Napo, dans la région parisienne : 2 300 dans la Seine, plus 200 dans les usines d'automobiles, 400 en Seine-et-Oise, 300 en Seine-et­Marne, 1 000 dans l'Oise, grossis des ouvriers qui ont pris le maquis, Londres en enregistre plus de 65000 sous le drapeau O.C.M. à l'automne.

En mai 1943, publication du 3e cahier de l'O.C.M. qui traite des réformes économiques et sociales.

A. Lepercq et J. Piette ont collaboré aux considérations générales.

P. Lefaucheux et A. Deschamp au chapitre sur la production industrielle.

L'organisation sera celle d'un reglme socialiste, dirigiste, pianiste, contractuel. Ce cahier donne l'ébauche des statuts d'un nouveau type de société appelé à faire collaborer à la gestion avec le capital, le personnel et les représentants des clients. C'est de ce statut dont sortira en janvier 1945 le statut de la Régie Nationale des Usines Renault (5).

Au début de cette année 1943, dans le même but de prépa­ration de l'avenir, le général de Gaulle avait créé, en France occupée, le Comité Général d'Études (C.G.E.) auquel parti­cipent A. Parodi, R. Lacoste, P. Bastide, F. de Menthon, P.-H. Teitgen, Courtin et Pierre Lefaucheux.

Fin septembre 1943, A. Lepercq devenait président du comité parisien de libération, et était publié le cahier de l'O.C.M. nO 4, qui abordait la politique extérieure de la France en préconisant la constitution d'une fédération de l'Europe de l'Ouest.

L'O.C.M. n'a pas de journal clandestin. Elle diffuse dans son réseau «Résistance» du docteur Renet (alias Jacques Destrée fondateur du réseau «Valmy», «L'Avenir» (16 numéros du 15 août 1943 à la libération) et «J'Effort» ­2 numéros en 1944.

Fin 1943, P. Lefaucheux entre au comité directeur de l'O.C.M.

Avec le début de l'année 1944, commencent les arrestations massives. La gestapo a été mise en possession des listes d'adhérents de la région du Nord, puis de l'organisation centrale, (175 noms). Les soupçons les plus graves se portent sur Roland Farjon, arrêté le 23 octobre 1943 puis libéré par les Allemands, et qui assistent à certains inter­rogatoires (6). Il se serait suicidé le 25 juillet 1945, pour échapper au châtiment.

Le 12 janvier 1944, André Boulloche, de retour en France après un bref passage à Londres, est arrêté et blessé en cours de sa tentative de fuite.

Le 25 février 1944, c'est l'arrestation de A. Lepercq, A. Touny et L. Rouzée. A ce moment, le commandement des F.F.1. de la région parisienne était composé de Pene, Roi (Tanguy), liaison avec les F.T.P., colonel de Marguerite, avec comme chefs de subdivision P. Lefaucheux, A. Lepercq et

A. Boulloche.

Jacques Piette remplace A. Lepercq à la présidence du comité parisien de libération et à la direction des affaires militaires de l'O.C.M.

En mars 1944, 8 sur 12 des membres du comité directeur sont dans les mains de la gestapo.

Le 4 avril 1944, c'est le tour du docteur Richier, de J.-H. Simon et de Pene.

Le 5 avril 1944, P. Lefaucheux est nommé chef des F.F.I de la région parisienne en remplacement de Pene.

Le 3 juin à 15 heures, il est arrêté au poste de comman­dement du 86, rue Lecourbe avec les neuf chefs présents à la réunion, il sera déporté à Buchenwald début août, et libéré en septembre par un coup de bluff de son épouse Marie-Hélène (7).

Le colonel Lesage (alias Lucien) lui succède mais s'éloigne de Paris, et le colonel Roi Tanguy des F.T.P. prend la suite. C'est lui qui commandera des F.F.1. parisiens au moment de la libération de la capitale.

Pendant toute la période de libération de la France, les troupes armées de l'O.C.M. ont participé aux combats sur les arrières de l'ennemi, dans toutes les régions et parti­culièrement en Normandie, en Bretagne et dans le Centre.

Aimé Lepercq, Louis Rouzée sont libérés le 17 août de Fresnes par l'ouverture des portes suite aux négociations du consul de Suède Nording. Aimé Lepercq passe chez lui, et prend à l'hôtel de ville de Paris la tête des insurgés encerclés. Il sera le premier ministre des finances du gou­vernement provisoire nommé par le général de Gaulle.

Après la libération de Paris, le « Parisien Libéré ", qui prend la suite du «Petit Parisien» interdit pour sa collaboration avec l'ennemi, est mis à la disposition de l'O.C.M. La direction en est confiée à Claude Bellanger, membre de l'O.C.M. depuis 1941.

Le 26 juin 1945, sur le plan politique, l'O.C.M. crée l'Union Démocratique et Socialiste de la Résistance (U.D.S.A.) dont le comité directeur était composé de G. Izard, J. Piette, Rebeyrol. Ce parti enlevait 27 sièges à l'assemblée consti­tuante élue le 21 octobre 1945.

Fernand PICARD

(4) «Missions secrètes en France» 'Par le colonel Pas8Y (Édition8 Plon).

(5) «L'épopée de Renault» 'Par F. Picard (Éditions Albin Michel ­1976).

(6) «La longue traque,. 'Par Gille8 Perrault (Éditions Jean-Claude Latte8 -1975).

(7) «De Renault Frères. à Renault Régie Nationale» -Numéro 14.

INTRODUCTION

C'est une tâche difficile que d'écrire l'histoire de la Résis­tance dans un milieu aussi complexe et aussi vaste que les usines Renault. Par sécurité, les principaux acteurs n'ont pu conserver aucun document susceptible d'apporter les précisions nécessaires à un exposé rigoureux. Il nous faudra donc uniquement nous baser sur les souvenirs et les témoignages de nos membres.

Ces témoignages ont été faits sous la foi du serment. Nous connaissons les hommes pour les avoir appréciés dans les moments difficiles et nous pensons pouvoir leur faire confiance.

Nous chercherons d'ailleurs le plus souvent possible à recouper les dépositions pour leur donner une valeur indiscutable.

Enfin, si aucun des membres de notre groupe des usines Renault n'est resté dans les mains de la gestapo, il nous faut songer à ceux de l'extérieur avec qui nous étions en liaison, actuellement déportés en Allemagne. Nous les nommerons simplement par leur pseudonyme ou leur matri­cule. Les hostilités terminées, nous pourrons, dans un additif à ce travail, préciser leur identité.

L'action aux usines Renault n'a eu, à aucun moment, le caractère d'un combat violent. Elle fut toujours une résis­tance passive, un sabotage perpétuel, une lutte sourde mais continue menée avec une volonté farouche sans répit ni défaillance.

Nous examinerons d'abord quelle était l'origine du groupe

O.C.M. des usines; comment il s'est constitué au cours des quatre années d'Occupation suivant la pente des sym­pathies personnelles. Puis nous étudierons quelle fut son action. Nous ne pourrons qu'en retracer les grandes lignes, la décrire en détail demanderait un volume. Nous n'insiste­rons pas sur l'action personnelle de tel ou tel d'entre nous. Le résultat seul compte. Notre résistance fut un travail d'équipe qui nous engageait tous. Enfin, nous relaterons les difficultés que nous avons éprouvées au contact des 300 agents de la gestapo qui nous épiaient et les arresta­tions qui en résultèrent.

Organisation du groupe O.C.M.

Dès l'automne de 1940, un certain nombre d'entre nous qui n'avaient pas accepté la défaite et l'armistice de la trahison, prirent contact pour échanger leurs vues et constituer l'embryon d'une organisation de résistance. Il est difficile de préciser ce que fut leur action pendant l'hiver 1940/1941. Ils ne purent que lutter par la parole -malgré tous les dangers que cela comportait -contre l'action dissolvante de tous ceux qui voyaient en Pétain le sauveur de la Patrie et se faisaient les propagandistes de la collaboration.

Nous devions nous contenter de rapporter, le plus fidèle­ment possible, au cours des conversations avec nos collè­gues, les nouvelles qu'apportait chaque soir la radio de Londres, et de faire l'éloge de l'action du général de Gaulle et de la France libre.

Cette propagande française fut souvent ardente et entraîna des discussions violentes. De vieilles amitiés et sympathies d'avant-guerre y succombèrent.

Début 1941 vint la phase de l'organisation. Les sympathies nées d'une identité de vues et d'une communauté d'espoirs se resserrèrent. Plusieurs petits groupes se constituèrent pour organiser l'action de résistance. Ces petits groupes, autonomes, au hasard de leurs relations extérieures, prirent contact avec des éléments résistants locaux et s'affilièrent à eux. Nous ne nous occupons ici que de ceux qui se trouvèrent rattachés à l'Organisation Civile et Militaire, soit par le capitaine Duval, soit par le lieutenant Motte, soit par le capitaine Nevers.

Suivant scrupuleusement la loi impérieuse de la clandes­tinité que la sécurité imposait, ils poursuivirent pendant quatre ans leurs tâches parallèles sans chercher à prendre plus de contact avec leurs voisins que la nécessité n'obli­geait. Entre agents d'exécution poursuivant une même tâche, des rapports s'établirent, mais disciplinés, aucun n'essaya de remonter la fillière, tenant à conserver intact en cas d'alerte, le maximum de l'organisation.

Peu de temps avant l'insurrection, ces divers group-es se fondirent en un groupe unique O.C.M. qui aborda avec discipline les épreuves finales.

Pour les raisons énoncées ci-dessus, nous trouverons trois groupes distincts par leur position dans la hiérarchie de l'usine:

10

un rassemblant les éléments résistants des cadres supé­rieurs des usines;

20 un groupant des agents de maîtrise et de fabrication;

30 un groupant surtout des ouvriers et employés.

Tous trois s'employèrent avec une ardeur égale à la tâche commune et obtinrent dans l'exécution de leur mission d'importants résultats.

10 le groupe des chefs de service comprenait à l'origine : Astolfi, de Longcamp, Picard, Riolfo, qui se réunirent, à partir du printemps de 1941, à intervalles réguliers dans le bureau d'Astolfi, chef du département moteurs. Presque de suite vinrent s'y joindre : Courtes, ingenleur au service moteurs, Lhomme, agent de maîtrise, Leroux chef de fabri­cation des moteurs Diesel.

En avril 1941, par l'intermédiaire de Wintenberger (O.C.M. -XVie), Picard était mis en rapport avec Félix, agent de ren­seignements de l'Intelligence Service dans la région pari­sienne. Les 3 pilotes du groupe Caudron-Renault: Delmotte, Fouquet, Clément ayant manifesté à Picard leur volonté de passer en Angleterre, furent mis en contact avec Félix qui leur conseilla de demeurer en France et de lui transmettre des renseignements sur l'activité industrielle.

Dans l'intervalle, Astolfi était entré en contact avec Duval, vice-président du groupe O.C.M. de Boulogne-Billancourt, ce qui assurait la liaison avec un groupe organisé de résis­tance, d'où nous pourrions par la suite recevoir des mots d'ordre et peut-être des armes.

De son côté, fin 1941, de Longcamp prenait contact avec «Thomine» qui appartenait à « Brandy-Nord», organisation qui s'occupait de faciliter le passage en Angleterre de spécialistes de l'aviation et de la marine.

Début 1942, Dupuich, chef du service des renseignements techniques aux usines, rentra de zone libre où il avait été chargé, en liaison avec l'état-major français, de dissimuler les véhicules de l'armée française. Il entra en rapport avec Wintenberger et amena avec lui Perrin, chef du service des marchés.

Dupuich était, de son côté, en liaison avec «Duroc»

(O.C.M. -XVie) qui abritait chez lui «Sermoy", membre du comité directeur de l'O.C.M.

Il Y eut entre Dupuich, Perrin, Picard, Wintenberger, quel­ques réunions au cours desquelles l'action à l'intérieur des usines fut examinée. Il paraissait indispensable de se pro­curer d'abord des armes pour pouvoir constituer un groupe de choc. C'était la question la plus difficile à résoudre.

A la même époque, Picard était entré en liaison avec un de ses amis du Nord, immatriculé « 7 575 » dans une organi­sation parfaitement au point, en rapport avec l'état-major de la France combattante, ce qui fournissait une possibilité de plus d'acheminer les renseignements aux Alliés.

En novembre 1943, le chef pilote Delmotte entrait, comme agent de renseignements, au Bureau Central des Rensei­gnements Alliés (B.C.RA réseau Masséna), où il était inscrit sous le pseudonyme «Gastounet» et le matricule «Ri. 1202 ». Il était en liaison à l'usine pour cette tâche avec Picard et Riolfo qui lui apportèrent de nombreux documents entre mars et août 1944.

20 Parallèlement, depuis décembre 1940, des éléments isolés se groupaient autour de Cassagnes. Il s'agissait de : Sançon (agent technique au chronométragè), Polet (contre­maître) qui avait milité depuis 1940 dans un groupe de résistance présidé par Pierre Grenier, chef de service à la mairie de Boulogne-Billancourt, fusillé par les Allemands en mars 1942 et avait fait passer de nombreux prisonniers évadés en zone libre. Il venait à l'O.C.M. après la destruc­tion totale de l'organisation dont il faisait partie, lui seul ayant réussi à échapper aux griffes de la gestapo.

Cutard (agent de production), Dick (ajusteur) qui groupaient pour leur service en cloison étanche plus de 160 agents de renseignements dont : Cardinal (dessinateur au bureau d'études outillage), Clees (ajusteur), Chirat (chauffeur), Delettre (pompier), Duchez (dessinateur au bureau d'études installation), Félix (chef d'équipe), Gougne (menuisier), Gros (chef d'équipe), Monard (agent technique à la répara­tion), Mme Clees (tireuse de bleus).

Cassagnes était en rapport avec Duval, vice-président de l'O.C.M. de Boulogne-Billancourt et le lieutenant Motte du Service des renseignements généraux avec qui il avait des contacts fréquents. Les renseignements qu'il avait à faire parvenir aux Alliés étaient transmis par l'intermédiaire de Moron de Bougival à Hyacinthe (Pointeau) qui était en contact depuis avril 1942 avec Wertemer, agent de l'Intel­ligence Service. Hyacinthe appartenait au groupe clandestin du 2e Bureau à Paris, sous le matricule «Provel 202" (groupe dirigé par M. Croland jusqu'à son arrestation, puis par M. Pigagnol).

30 Bozzalla, agent de maîtrise, eut une action parallèle à celle de Cassagnes. Il travailla à partir de la fin 1940 à former une équipe qui se proposait d'accomplir la même tâche. Elle fut composée des chefs de secteur dont les noms suivent: Baury, Bourrely, Bonhomme, Chirat, Clausse, Clees, Delettre, Duchez, Hanauer, Lhomme, Pauch, Pollet, Ratier, Sançon.

Il se tenait, par ailleurs, en contact avec :

-Raynaud, chef du service décolletage qui, sans prendre une part active, l'aida dans l'exécution de sa mission;

-Mesdames Morel et Touche;

-Imbernotte, gardien, qui laissait entrer librement dans

l'usine.

Bozzalla était à l'extérieur en rapport avec le capitaine Nevers (O.C.M.) qu'il rencontrait couramment deux fois par semaines et qui le mit en rapport avec Félix et Jean Berliet.

Les renseignements et documents furent transmis par le capitaine Nevers et par Hyacinthe.

Quand Bozzalla fut arrêté le 1 er avril 1944, il fut remplacé comme chef de groupe par Bonhomme, contremaître, qui au moment de l'insurrection prit le commandement des F.F.I. de Boulogne-Billancourt.

Appuyée sur ces différents éléments, notre organisation de résistance agit au maximum jusqu'à la libération. Avant l'insurrection les différents noyaux O.C.M. de l'usine se réunirent et formèrent le groupe O.C.M. dont on trouvera plus loin la composi!ion.

Travail accompli par la section O.C.M. au cours de l'occupation

L'organisation, en dehors de l'action individuelle de ses membres à l'extérieur des usines, se proposait comme tâches principales :

10 de renseigner les armées alliées sur l'activité des usines et le résultat des bombardements effectués par la R.A.F. et l'aviation américaine;

20 de freiner au maximum la production au service de l'en­nemi;

30 de diminuer la qualité du matériel livré;

40 de lutter contre les déportations d'ouvriers en Allemagne;

50 de favoriser, par tous les moyens en son pouvoir, la résistance au boche et à Vichy.

1° RENSEIGNEMENTS :

Les renseignements sur l'activité des usines Renault fournis à l'état-major allié portaient sur:

-le détail du programme de fabrication;

-les chiffres de production en camions et en pièces déta­

chées;

-les difficultés d'approvisionnement en matières pre­

mières;

-l'activité des filiales du Mans, de Saint-Étienne et Saint­Michel-de-Maurien'ne ; l'activité de Caudron-Renault; l'activité des principaux fournisseurs des usines; le moral du personnel.

Tous les échelons de l'organisation y participèrent, souvent indépendamment les uns des autres, suivant les possibilités individuelles de transmission. Les moyens ont évidemment variés dans le temps, les arrestations de la gestapo ayant souvent interrompu nos liaisons avec Londres et Alger.

Le groupe de renseignements organisé par Bozzalla et Cassagnes comprenait un grand nombre d'agents informa­teurs répartis dans la plupart des services de l'usine : dessinateurs, ouvriers, contremaîtres, agents de fabrication, chauffeurs, pompiers, gardiens, tireuses de bleus. Il lui parvenait ainsi une foule de renseignements dont la valeur était, par origine, très variable. Bozzalla transmettait docu­ments et informations au capitaine Nevers au cours des visites bihebdomadaires qu'il lui rendait. Celui-ci assurait leur transmission. Beaucoup de ces renseignements pas­sèrent à Londres par Wertemer qui les recevait de Hyacinthe.

En dehors de ce réseau d'agents de renseignements, des informations nombreuses furent transmises par des voies diverses. Les informateurs touchant à la direction des usines, ces renseignements étaient précis et d'une portée générale.

-Wintenberger fournit à différentes reprises, d'avril 1941 à mai 1942, puis au cours de l'année 1944, des renseigne­ments sur la production et les programmes à Félix (Intel­ligence Service) qui les passait directement à Londres. Pendant l'interruption de mai 1942 -janvier 1944, où Félix recherché par la gestapo dut prendre la fuite, ces rensei­gnements passèrent par Rouzée (O.C.M.).

-Dupuich, de mars 1942 à octobre 1943, transmit par l'ïhtermédiaire de « Duroc» (O.C.M. -XVie) tous les rensei­gnements généraux qui lui étaient demandés sur l'activité des usines et tous les programmes de fabrication dont il avait connaissance. Il signala à «Clément» (O.C.M.) la nécessité de saboter les usines françaises et de détruire les usines allemandes de roulements à billes.

-Picard transmit de janvier 1942 à mai 1943 à chacun des voyages à Paris de «7575 », tous les documents et renseignements qu'il pouvait se procurer. L'arrestation de « 7 575 » interrompit cette liaison mais, à partir de mars 1944, une nouvelle fut établie, beaucoup plus fréquente, par l'in­termédiaire de Delmotte du B.C.RA

Les bombardements de 1942 et 1943 donnèrent lieu à un travail très précis d'information qui prit, comme le précédent, une forme individuelle.

a) Bombardement du 3 mars 1942 :

Après le bombardement du 3 mars 1942, toutes les voies énumérées ci-dessus furent utilisées pour transmettre à l'état-major de Londres les renseignements les plus précis sur l'efficacité du bombardement, l'ampleur des dégâts causés et la répartition des points de chute.

Sançon prit 20 clichés. 18000 épreuves furent tirées et réparties parmi le personnel des usines qui les diffusa à l'extérieur, ce qui permit de contrecarrer la propagande de la presse et de la radio de Vichy qui affirmaient que, seule, la population civile avait été atteinte.

Des collections de ces photographies furent transmises à Londres par « 7 575» qui les tenait de Picard, par Michaud (I.S.) qui les recevait de Gros et par d'autres voies que nous n'avons pu identifier.

La gestapo, alertée par les collections qui circulaient dans le public, fit des descentes chez les photographes de Boulogne-Billancourt. Le commissaire de police rechercha activement les clichés. Sançon, alerté à temps par Laurent (atelier 307) arrêta le tirage pendant un mois et mit en sécurité les clichés.

Riolfo avait pris lui aussi des photographies qui furent transmises à « 7 575» qui, du Nord, avait un moyen de les faire parvenir en Angleterre.

A la première tentative de passage, les photos tombèrent à la mer. De nouvelles épreuves furent envoyées par la même voie en mai 1942.

« 7 575» était venu spécialement à Paris après le bombar­dement. Picard lui facilita la visite des usines afin qu'il établisse le rapport des dégâts causés.

A partir de mai 1942, Hyacinthe transmit à Wertemer des rapports très complets -venant de Cassagnes et Bozzalla, et qui lui furent remis par Moron, sur les travaux de déblaie­ment et la remise en état des ateliers.

b) Bombardement du 4 avril 1943 :

Après le bombardement du 4. avril 1943, Sançon prit à nouveau de nombreuses photographies des dégâts. Ces documents furent diffusés au nombre de 32000. Ils furent transmis à Londres par les mêmes voies et par Dupuich.

« 7 575» fit à nouveau un voyage à Paris et remporta des renseignements précis sur les effets du bombardement.

Wintenberger, de son côté, avait fait parvenir à l'état-major allié, par l'intermédiaire de l'O.C.M. des réductions photo­graphiques du plan des points de chute dans les usines et dans Boulogne-Billancourt. Les mêmes plans furent transmis par Hyacinthe qui les avait reçus de Bilquey.

Peu après, un message venant de Cassagnes fut transmis par l'intermédiaire de Wertemer. Ce message demandait à l'état-major des forces alliées de renoncer aux raids, l'usine étant gravement touchée et la population ayant cruellement souffert.

Afin d'éviter le retour de tels bombardements, il fut envisagé d'arrêter toute l'activité de l'usine en sabotant les deux centrales et le poste de jonction avec la centrale de Gennevilliers. Nous reviendrons sur cette partie de notre action dans le chapitre «Sabotage".

c) Bombardement du 15 septembre 1943 :

Le même travail de renseignements fut fait après le bom­bardement du 15 septembre sur l'usine 0 où étaient concen­trées les fabrications d'aviation.

2° FREINAGE DE LA PRODUCTION :

Le fn:~inage de la production fut la partie la plus importante de l'action de notre groupe au cours de l'occupation. Il prit des formes multiples à tous les échelons de la hiérar­chie. L'action la plus efficace fut effectuée au point de départ même par l'effort combiné du bureau d'études et des départements chargés de l'exécution du travail.

Nous exploitâmes au maximum, dans ce but, la complexité de la réglementation allemande. Chaque fois qu'une commande de pièces détachées destinées à du matériel allemand était envisagée, nous cherchions à reculer le moment où la commande effective serait passée par les services allemands, en prenant prétexte de la destruction des dossiers de dessins lors du bombardement du 3 mars 1942, des réglementations en usage dans la Wehrmacht, de la pénurie de métaux non ferreux et d'aciers spéciaux, de la réglementation sur l'emploi de ces matières.

Connaissant la répugnance des Allemands à prendre des responsabilités personnelles, nous avons toujours tenu à leur faire endosser celle du changement de matériaux; dans les entrevues que nous avions avec eux, nous leur mar­quions la gravité des décisions qu'ils avaient à prendre, si bien que pour des affaires secondaires, des commissions de spécialistes furent envoyées de Berlin à Paris. Ceux-ci hésitaient à leur tour à prendre position.

Nous citerons quelques exemples de cette action de retardement.

Une commande urgente de pièces détachées pour réparation de chars R. 35 pour laquelle la direction des usines fut vivement sollicitée début octobre 1942, ne fut jamais passée. En mars 1944, après de multiples voyages, discussions, essais et atermoiements, nous fûmes avisés que le matériel était déclassé et que la commande envisagée était désor­mais sans objet. On trouvera en annexe l'historique détaillé de cette affaire.

Il en fut de même chaque fois que des spécialistes allemands firent des propositions pour économiser les matières pre­mières rares. Sauf dans le cas où l'adoption d'une matière de remplacement amenait une baisse de qualité telle qu'elle entraînait la mise hors de service rapide de ce matériel, aucun changement de matière n'a été spécifié dans la demande d'essai d'endurance prolongée, qui en retardait sérieusement l'application.

Tous les motifs pour reculer l'exécution des pièces d'essai étaient invoqués, en particulier, les destruction dues aux bombardements, les difficultés d'approvisionnement et de transport.

Nous insisterons notamment sur le cas de 3 commandes de matériel passées en 1941 et qui n'avaient subi, au moment de la libération, qu'un début d'exécution.

. Il s'agit de :

-1 000 groupes marins de 150 CV destinés primitivement à l'équipement de péniches de débarquement qui devaient être construites par les chantiers Blhom et Voss à Hambourg;

-200 moteurs 300 CV destinés à l'équipement de bateaux d'assaut;

-145 groupes électrogènes destinés à des groupes de

D.C.A. qui devaient être construits par la société Siemens.

La discussion de la commande des 1 000 groupes marins commença le 15 septembre 1941. Les premiers de ces groupes devaient être livrés en mars 1942, la totalité avant mars 1943.

L'action de freinage décrite plus haut fut menée dans cette affaire parallèlement par Picard du bureau d'études et Astolfi, chef du département moteurs, aidé de Leroux, chef de fabrication.

Les discussions sur les substitutions de métaux et les carac­téristiques techniques du matériel traînèrent d'abord en lon­gueur, puis l'exécution des prototypes fut retardée sous le prétexte que le bombardement du 3 mars 1942 avait détruit une grande partie des pièces en fabrication. En mai 1942, se rendant compte des difficultés qu'elle avait pour obtenir un résultat des usines, la Kriegsmarine réduisait la commande de 1 000 à 300 unités.

Fin juillet de la même année, l'O.K.M. de Paris intervenait énergiquement auprès de la direction des usines pour que les essais du moteur prototype soient enfin entrepris. De nou­veaux retards furent apportés sous prétexte du manque de gas-oil et d'huile de graissage, quoique les stocks de l'usine aient été suffisants pour mener à bien ces essais.

Le moteur prototype ne fut mis à la disposition de la Kriegsmarine qu'en octobre 1942.

Pour freiner la sortie de la série, Astolfi allégua le manque d'outillage, des destructions de pièces dues aux bombar­dements des 3 mars 1942 et 4 avril 1943. Il fit rebuter, pour des causes multiples, des pièces qui, en temps normal, eussent été utilisées; si bien que, fin juillet 1944, 73 moteurs seulement étaient livrés sur les 1 000 commandés.

La commande de 200 moteurs 300 CV destinés aux péniches d'assaut subit des retards du même ordre et pour les mêmes raisons. Les défauts du moteur, qui avait été corrigés avant mai 1940, réapparurent et les remèdes trouvés alors ne furent pas appliqués. Les contrôleurs allemands se désespéraient quand ils constataient que les segments des pistons étaient rayés. Aucune solution ne fut proposée. Sur les 200 moteurs commandés en octobre 1941, 21 seulement furent livrés.

L'action de freinage de la production prit, dans les ateliers, des formes multiples.

En 1941, au service décolletage, sous l'impu Ision de Bozzalla, de nombreuses machines furent immobilisées par manque de pièces de rechange, les commandes de ces pièces étant oubliées systématiquement ou retardées dans leur exécution. 60 tours Gridley furent arrêtés par défaut de pignons de rechange.

Au département Artillerie, des machines à rectifier R.P.V. tra­vaillant sur les vilebrequins de char Edelstahlwerke furent sabotées par addition d'iode et de poudre d'émeri à l'huile de graissage.

3° SABOTAGE DE LA PRODUCTION:

Le sabotage de la production fut mené, lui aussi, à tous les échelons de l'usine. Il consista, pour les services tech­niques, à n'appliquer aucune des modifications que l'expé­rience révélait indispensables à un bon usage du matériel, et à retarder au maximum celles que les services techniques allemands imposaient. Nous citerons quelques exemples.

Les véhicules étaient munis d'un silencieux-filtre d'aspiration suffisant pour l'utilisation en Europe occidentale. Dès les premiers jours de l'emploi du matériel en Russie, des usures considérables de moteurs se révélèrent par défaut de filtrage de l'air aspiré. Les services techniques ne prirent aucune initiative et attendirent que les Allemands imposent un filtre à air de conception allemande. La mise en fabri­cation de ce filtre dura plus d'un an pendant lequel les véhicules livrés continuèrent à s'user avec une rapidité déconcertante.

En décembre 1942, la Wehrmacht demanda que tous les véhicules fussent munis de dispositifs assurant une étan­chéité parfaite à la poussière, suivant le règlement D. 635/50 «Ëquipement tropical". Cette application fut retardé'e jusqu'en novembre 1943; la campagne d'Afrique était ter­minée depuis longtemps quand les premiers véhicules entrèrent en service.

En avril 1942, après la désastreuse campagne de Russie de 1941/1942, des missions vinrent à Paris pour nous imposer le montage, sur les camions, d'un équipement d'hiver destiné à faciliter la mise en route par grand froid. Cet équipement ne fut appliqué sur le matériel de série qu'en mars 1943.

Enfin, en février 1943, l'O.K.M. exigea le montage, sur tous les camions 3,5 t d'un réchauffage de cabine destiné à rendre le véhicule plus habitable pour la troupe par très grand froid. Après de multiples discussions et essais, cet appareillage fut monté en série en mars 1944.

De même, les défauts que révéla l'utilisation en tous terrains d'un matériel conçu et exécuté pour rouler sur bonne route, ne furent corrigés qu'après de très longs délais. Nous exploitâmes, dans ce but, la réglementation allemande qui exigeait que toutes les propositions de modification fussent approuvées par Berlin.

Entre Dupuich et Picard, il avait été convenu un circuit d'arrivée et de départ des notes allemandes qui, sous prétexte d'organisation, compliquait et retardait considéra­blement la transmission. Les notes étaient rédigées de façon telle que des compléments d'information étaient tou­jours nécessaires; ce qui, étant donné la longueur des courriers entre Paris et Berlin,· retardait les décisions. Ensuite, tous les motifs étaient invoqués pour allonger les délais d'exécution des décisions prises. C'est ainsi que des accidents de pont arrière qui se révélèrent dès l'automne 1941, ne furent jamais corrigés.

Sous prétexte que les roulements à galets que l'on trouvait en France étaient de mauvaise qualité, ces pièces furent commandées à Schweinfurt. Les bombardements massifs de l'aviation américaine sur les usines de cette ville retar­dèrent les livraisons; aucun roulement ne parvint à Billancourt.

Au département moteurs, en octobre 1941, Astolfi fit utiliser pour la fabrication des ressorts de soupape, des couronnes de fil qui avait été attaqué par l'oxydation. Systématiquement ces ressorts cassèrent et nous reçûmes les plaintes les plus amère du haut commandement allemand. Au cours de la retraite de Russie de l'hiver 1941/1942, de nombreux véhicules furent abandonnés par suite de cet incident.

De nombreux ouvriers sabotèrent leur travail, surtout les opérations de montage. Fréquemment de la limaille fut trou­vée dans la graisse des roulements à billes et des moyeux de roues. Des huiles de qualité non appropriée furent utili­sées dans les boîtes de vitesse et les ponts arrière. L'exemple le plus marquant de ce sabotage fut, au printemps de 1941, le graissage des coussinets de pompe à eau avec de l'huile fluide au lieu de graisse. Ce sabotage entraîna de graves difficultés pour le déplacement des divisions alleman­des vers la Normandie au moment du débarquement de juin. La division SS «Gotz von Berlinchingen », partie de Paris avec 200 camions A.H.N. neufs, n'arriva à Thouars qu'avec 7 véhicules seulement. Les 193 autres restèrent en panne, soit par grippage des pompes à eau, soit par destruction des garnitures de frein qui avaient, elles aussi, été l'objet d'un sabotage.

Ce fut un des rôles les plus délicats du service technique de l'usine et de Picard de prouver aux autorités allemandes, chaque fois qu'un sabotage était découvert, qu'il s'agissait d'incidents dus à la baisse de qualité des matières premières et des lubrifiants utilisés. Le manque de compétence des officiers allemands chargés de ces enquêtes, permit, dans tous les cas, d'éviter des sanctions sur le personnel des usines.

En mars 1944, sous l'impulsion de Bozzalla et de Cassagnes, le sabotage des deux centrales électriques de Billancourt, des transformateurs des ateliers annexes Renault de Saint­Denis et de la SAP.R.A.R. fut préparé. Ce sabotage avait pour but d'éviter un nouveau bombardement de la région de Boulogne-Billancourt. Au cours de cette préparation, Bozzalla fit visiter les abords de la centrale au capitaine Nevers, à Félix et à Jean Berliet. Jamais l'ordre ne fut donné d'opérer cette destruction.

4° LUTTE CONTRE LA DÉPORTATION DU PERSON­NEL EN ALLEMAGNE :

A partir de septembre 1942, notre section O.C.M. entreprit la lutte contre la déportation en Allemagne du p'ersonnel.

Nous nous organisâmes pour :

-favoriser le départ en Angleterre d'ouvriers spécialistes

qui y faisaient défaut;

-procurer des fausses cartes d'identité et de faux certi­

ficats de travail à tous ceux qui voulaient échapper aux

recherches de la gestapo ;

-placer en province, chez des fermiers ou des garagistes,

les ouvriers dont la situation de famille ne permettait pas

de prendre le maquis.

Cette action fut menée par tous les agents de notre orga­nisation. Il est impossible de dénombrer aujourd'hui la quantité des fausses cartes d'identité et des faux certificats de travail qui furent délivrés. Ces pièces nous arrivèrent d'abord de l'extérieur de l'usine, par l'intermédiaire de Wintenberger, de Longcamp, Jean Berliet, Félix. Puis, elles furent fabriquées à l'intérieur de l'usine. Les timbres furent dessinés à la main jusqu'au jour où nous pûmes nous pro­curer des timbres caoutchouc.

Le passage en Angleterre des spécialistes était opéré par l'organisation « Brandy-Nord» avec qui nous fûmes mis en contact par de Longcamp. Astolfi et Leroux se chargèrent d'assurer la liaison entre l'usine et cette organisation. En février 1943, par cette voie, Picard permit à Fouquet, pi lote de la société Caudron, de passer en Afrique du Nord. Il était le cinquantième spécialiste qui utilisait cette filière.

Ce fut de Longcamp qui se chargea de placer en province les réfractaires. Visitant, par suite de sa fonction de chef de service des tracteurs agricoles, de nombreux agents et cultivateurs, il put mettre sur pied un réseau de dispersion du personnel à travers la campagne, qui fonctionna très efficacement de septembre 1942 à juillet 1943. Mentionnons, en particulier, l'aide que nous apporta dans cette tache

M. Lecat, agent Renault à Tours.

5° PROPAGANDE ET INTENSIFICATION DE LA

RÉSISTANCE:

Tous les membres de l'organisation entreprirent, par la parole, autant que les circonstances le permettaient, une active propagande contre l'Allemagne et la politique du gouvernement de Vichy.

A partir de 1943, la distribution des journaux clandestins et des tracts fut organisée dans l'usine par Bozzalla et Cassagnes. Mensuellement 4 000 numéros de « L'Avenir" et 4 000 de «L'Effort» furent distribués dans l'usine par les différents agents O.C.M. Ces journaux étaient livrés au domicile de Bozzalla et rentraient à l'usine par mesdames Morel Hélène et Touche Marguerite.

En 1944, Bozzalla entra en rapport avec Claude Desjardins pour collaborer à la rédaction de «L'Avenir" et de « L'Effort ».

Répression

Au cours de ces 4 années de lutte, nous eûmes constam­ment à nous garder contre l'action des 300 agents de la gestapo disséminés parmi le personnel de l'usine. La sou­plesse de notre organisation permit d'effectuer notre tâche avec le minimum de dommages.

En 1942, Delettre fut arrêté par la police judiciaire et trans­féré à la gestapo qui le remit en liberté après deux jours de cellule et une sévère correction.

En septembre de la même année, la gestapo perquisitionna chez Hyacinthe. A l'issue de cette opération, il fut emmené à la Kommandantur de la mairie de Montrouge et sauva­gement frappé au visage. Il fut libéré sur l'intervention per­sonnelle du colonel Heurtaux.

Le 19 mai 1943, Riolfo et Courtes furent arrêtés par la gestapo, incarcérés à la prison militaire du Cherche-Midi et inculpés de «reproduction et diffusion de tracts gaul­listes ». Malgré les perquisitions faites à domicile et l'inter­rogatoire de la dactylo qui avait reproduit les tracts, la gestapo ne put faire la preuve de l'accusation. La machine à écrire qui avait servi à cette opération avait été changée en temps voulu par les soins d'Astolfi. Riolfo et Courtes furent relâchés le 3 juillet 1943.

En septembre 1943, la gestapo perquisitionna sans résultat au domicile de Leroux. Dans la nuit du 1 er au 2 avril 1944, Bozzalla, Duchez, Maresquet, Delettre, Sançon et Mme Morel, furent arrêtés pour infraction aux lois des 27 octobre 1940 et 25 octobre 1941.

Notre service de sécurité ayant normalement joué, les preuves furent détruites avant les perquisitions. Tous les inculpés furent mis en liberté surveillée après une détention à la Santé variant de 4 jours à 2 mois et demi.

A aucun moment cette action répressive ne ralentit l'activité des agents de l'O.C.M. On peut estimer qu'étant donné le travail effectué, nos difficultés avec la gestapo et la police de Vichy furent réduites au minimum. Ce résultat remar­quable fut obtenu grâce au cloisonnement de nos différents éléments à l'intérieur des usines. De nombreux agents travaillèrent côte à côte sans soupçonner, à aucun moment, quelle était leur action réciproque et qu'ils agissaient pour une organisation commune. Les réunions indispensables entre les membres de l'état-major se faisaient dans le cadre de l'activité professionnelle, afin d'éviter tout soupçon de la part des agents de l'ennemi.

Période d'insurrection

Après le débarquement, l'O.C.M. étendit son réseau. Bozzalla avait donné pour mission à chaque chef de secteur de former 10 hommes, chacun de ceux-ci devant, à son tour, en recruter 10 autres.

Le déclenchement de l'insurrection, en pleine période de désorganisation de l'usine par suite de l'ouverture de chantiers extérieurs, mise en congé du personnel au mois, difficultés de transport, et le manque d'armement ne per­mirent pas d'entreprendre à l'intérieur des usines l'action qu'on aurait pu espérer.

Cependant, le 21 août au matin, sur l'initiative d'Astolfi et sous le commandement du lieutenant Motte, les portes de l'usine furent occupées par le corps-franc F.F.1. de l'O.C.M. de Boulogne-Billancourt.

Au cours de cette période se distinguèrent particulièrement: le sergent-chef Félix, le sergent Gros, le caporal-chef Gougne.

AVENIR Quand une Nation s'appelle la FRANCE, elle ne capitule pas pour trois batailles perdues. CLEMEN~EAU Journal provlsolrt:ment clandesUn destiné aux Jeunes de France LE SENS DE LA RESISTANCE Résister c'est d'abord refuser ne pas admettre, savoir dire non. Non à la défection à la lacheté, au déshonneur. Non à la soumission: On peut subir le mal, on ne doit jamais l'accepter. Une erreur si elle réussit ne devient pas vérité etla victoire de l'Allemagne n'a pas rendu juste sa cause. Collaborer c'est se souiller car on ne pactise pas avec un fléau, on le détruit. Résister c'est ne pas s'avouer vaincu, ne pas abandonner. C'est « tenir le COUp», farouchement férocement. C'est continuer la lutte même si eire parait inutile: « Plutôt périr que faillir JJ. •• C'est aimer son pays jusqu'à donner sa vie pour lui. .. et le prouver. Résister c'est continuer la France d'hier et permettre celle de demain. Nous ne voulons pas faire œuvre purement des­tructive: Par delà la défaite de l'Allema­gne c'est le salut de la France que nous poursuivons. C'est pour elle que nous nous battons, pour la rendre plus forte et plus belle, libre et respectée, égale en dignité à toutes les autres nations. l'ous aussï, nous voulons établir·un régime nouveau, mais un régime qui permettra le libre épanouissement de l'homme et le respect de sa dignité dans la nation orga­nisée. La Résistance porte en elle l'avenir du pays. Unissant dans la même lutte tous les patriotes, ceux de France et d'Afrique, ceux de tous les partis et de toutes les conditions, elle rend possible l'union de tous plus tard. Grace à elle nous ne dé­sespérons pas. Mais pour que demain la France compte parmi les grandes puis­(Suite page 4) MESSAGE DE FIDÉLITÉ " A VENIR " : assure le Comité Français de Libération Nationale de son indéftctible attachement et de sa foi iné­branlable dans la délivran. e du pays et sa reconstruction. Salut en la personne du Général de Gaulle, l'Organisateur te la Résistance et le promoteur d'une France libre de toute entrave. 'Voit dans le Général Giraud l'héritier de toutes les traditions militaires fran­çazses. Souhaite que les Gouvernements. et Peuples alliés reconnaissent le Comité li: Alger comme une autorité pouvant trai­ter aveceux sur lepied de parfaite égalité qui seul convient entre nations libres et unies. Après de nombreux autres clandestins. Après Francs-Tir~rs, Libération, Résis· tance, Défense dela France, F. U. 1. Com­bat, La Voix du l'\ ord, Bir-Hachim, France. Et de nombreux autres. Voici un nouveau journal secret. Dont nous voudrions vous dire. Ce qu'il représentent ou plutôt ceux qu'il représente. Pourquoi il a été créé. Destiné à tous les Jeunes, AVENIR représente les jeunes qui depuis long­temps déjà militent dans les groupements de résistance et assurent souvent des be­sognes adaptées à leur âge où aussi par fois, ils prennent des responsabilités et des risques qui semblent à d'aucuns dis­proportionnés avec leur jeunesse. (Suite page 3)

Le détachement F.F.I. assura la police et la garde des usines pendant toute l'insurrection, en liaison et sous le contrôle des formations F.F.I. de Boulogne-Billancourt.

Dans la nuit du 24 au 25 août 1944, des Allemands en retraite s'étant infiltrés dans l'usine, un groupe composé de : sergent-chef Félix, sergent Durin, caporal-chef Gougne, quartier-maître Carpentier, 2e classe Minne, 2e classe Auger, 2'e classe Albert, 2e classe Lhuillier partit à leur recherche et parvint à les désarmer. 12 prisonniers furent faits dont un capitaine.

Neuf Allemands qui s'infiltrèrent par la suite furent à leur tour désarmés après échange de quelques coups de feu.

Les membres de notre organisation qui étaient éloignés des usines par suite des circonstances, se mirent à la dispo­sition des unités F.F.I. de la région où ils se trouvaient.

De Longcamp, chargé par Dominique Tinchebray d'organiser les F.F.I. dans la région de Longny (Orne) se consacra, à partir de la fin juin, à cette tâche. Il organisa la réception des armes parachutées, les dissimula dans sa propriété et commanda l'insurrection de cette région au moment du soulèvement d'août.

Cassagnes fut affecté par le capitaine Jacquinot du sous­secteur nO 8 de Rosay-en-Brie, au groupe Goussard de Lumigny où il participa avec l'armée américaine aux opé­rations du 27 au 30 août (citation).

Bozzalla, qui après sa libération de la Santé avait rejoint le maquis d'Auvergne (section Thiers), agit dans cette région où il fut nommé sous-lieutenant à la milice patriotique. Delettre collabora avec les premiers chars alliés à l'action contre les centres de résistance de la Tour Maubourg et de l'École militaire.

Leroux servit en qualité de' franc-tireur dans un groupe franc en liaison avec les F.F.I. de la région de Saumur, du 15 août au 2 septembre, et participa au nettoyage de grou­pes isolés dans les villages de Gennes, Milly, Louerre, Sarrau.

Le capitaine Bonhomme, Monard, Cardinal, Duchez, Gros intervinrent activement sous les ordres du commandant Duval et du lieutenant Motte, dans les combats des barri­cades dressées dans les rues de Boulogne-Billancourt les 24 et 25 août, et particulièrement à l'action du pont de Saint­Cloud.

Le capitaine Bonhomme et Hanauer ont contracté un enga­gement dans la division Leclerc et sont actuellement enga­gés sur le front des Vosges.

Le 15 novembre 1944

Dans notre prochain numéro nous publierons les différentes annexes jointes à ce rapport sur l'action de l'O.C.M. pendant les années d'occupation.