04 - Une mission transsaharienne

========================================================================================================================

Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

========================================================================================================================

Une mission transsaharienne

28 avril 1932. Devant le magasin Renault des Champs-Élysées, une foule considérable de curieux entoure les deux camions et leurs vaillants équipages qui se sont brillamment comportés au cours du périple saharien de 6 000 kilomètres.

Louis Renault, aux côtés de nombreuses personnalités de l'automobile et de représentants de la presse, préside à la réception de Charles Fouché, chef de la mission, et de ses colla· borateurs: Lucien Girard, Gaston Faule, Jean Lamagat, Bousquet, Martin et Garrault.

Au cours de son allocution de bienvenue, le patron de Billancourt devait féliciter chaleureusement les sept hommes et, par la même occasion, souligner "tout l'intérêt de l'emploi de l'huile lourde du point de vue colonial" (1) et rappeler que le champ d'action du diesel était immense. Il est vrai que Renault avait acquis une certaine expérience dans ce domaine.

Renault et le diesel

C'est en 1893 que l'ingénieur allemand Rudolf Diesel (2) prit son premier brevet. Son moteur était destiné à fonctionner à la poussière de charbon de bois; ce fut un échec. Il choisit alors l'huile lourde, mais ce n'est que vers 1900 que son moteur fonc­tionna réellement; le liquide était alors introduit en fin de compression dans le cylindre au moyen d'un violent courant d'air préalablement comprimé.

(1) "Omnia"· Juin 1932.

(2) Né en 1858, il devait disparaître en 1913 au cours du naufrage en mer du Nord du

navire qui l'emmenait en Angleterre.

Dans les années 1910-1911, le système d'injection directe de l'huile combustible fut inventé presque simultanément en Allemagne et en Angleterre. Mais les difficultés de réalisation étaient telles que ces moteurs, très lourds, ne tournaient qu'à faible vitesse. Ils ne purent donc être utilisés que pour des ins­tallations fixes. Ce n'est qu'à partir de 1912 qu'ils apparaissent sur des navires, en 1925 sur des locomotives et à partir de 1930 sur les autobus et les camions. Dès 1922, cependant, les moteurs à huile lourde ne correspondaient plus aux concep­tions initiales de Rudolf Diesel, ni au cycle de fonctionnement d'origine.

En 1919, sans recourir à l'exploitation de licences étrangères, Renault construit son premier diesel, un 250/270 CV tournant à 650 tours. Si cette vitesse était assez extraordinaire pour l'époque, elle demeurait nettement insuffisante. Il fallait donc perfectionner ce premier résultat. Le problème à résoudre était d'obtenir notamment le démarrage instantané à froid; jusqu'alors, en effet, il fallait chauffer préalablement la cham­bre à combustion.

En 1927, cependant que la Marine nationale avait déjà adopté pour certaines de ses unités des groupes Diesel Renault, le ren­forcement de l'équipe du bureau d'études est décidé. Un spé­cialiste d'origine suisse, Ernest Klaus (3), entre à l'usine. Il est chargé de la section "essais diesel". L'année suivante, c'est un

(3) Embauché le 27 septembre 1927, il quittera l'entreprise le 17 novembre 1937.

un autre Suisse, l'ingénieur Henri Wipf, diplômé de l'École technique de Winterthur (4) qui est affecté à la section "étude moteurs Diesel". Avec ces techniciens de qualité, les solutions Renault vont prendre forme.

En 1929, trois groupes Diesel de 250 CV chacun sont en cours de montage sur le croiseur Foch et le transport d'aviation "Commandant Teste". Au salon des véhicules industriels de la même année, Renault présente son premier châssis équipé d'un moteur Diesel. L'année suivante, à la Foire de Paris, ce sont deux nouveaux moteurs à deux temps qui figurent au stand Renault.

Désormais, les diesels Renault équiperont non seulement des camions mais également des automotrices (5), des tracteurs agricoles et des groupes industriels.

Alors que tous les constructeurs français exploiteront des licen­ces étrangères pour leur fabrication de diesels, Renault sera seul avec Panhard à construire selon ses propres conceptions.

Un concours de véhicules à huile lourde

Le concours, organisé sous les auspices du ministère de la Guerre, avait pour but de démontrer les possibilités de prévoir, à travers le désert, un service régulier et économique de transports de marchandises par automobiles.

Son déroulement était confié aux autorités militaires et notam­ment à celles des "Territoires du Sud" ; le contrôle devant être assuré par dix élèves-officiers du cours préparatoire au service des Affaires indigènes, le lieutenant-colonel Sigonney, directeur du cours, faisant fonction de chef de mission.

Les camions à huile lourde, au nombre de deux par marques engagées, représentaient: Berliet, la Compagnie lilloise des moteurs, Renault et Saurer. Ils étaient accompagnés de véhi­cules de contrôle (3 Renault à essence, 1 Citroën), et de voitu­res auxiliaires tenant lieu d'assistance technique (1 Berliet, 3 Renault, 1 Saurer) ; soit au total 17 véhicules.

Le rapport établi en fin de mission par le lieutenant-colonel Sigonney nous permet de connaître l'épreuve dans ses moindres détails (6).

Rapport du lieutenant-colonel Sigonney

... La plupart des voitures du concours n'étaient chargées, en raison de l'incertitude sur l'état de la piste, que de pièces de rechange, carburants, huiles de graissage, auxquels s'ajou­taient des vivres de route, l'eau et les bagages de tout le person­nel. A noter que les voitures de la Compagnie lilloise avaient pris en charge, à Alger pour Adrar, 2 tonnes d'engrais chimi­ques, et la maison Berliet transportait à Gao 3 300 kilogram­mes de moteurs et câbles en cuivre destinés à la création d'une ligne électrique à Niamey.

(4)

Entré le 2 octobre 1928, il ne sera pas repris après l'exode de juin 1940.

(5)

Dix exemplaires du type TE entreront en service le 1" janvier 1931.

(6)

Ce rapport a été publié dans" Renseignements coloniaux", supplément du "Bulle­tin du Comité de l'Afrique française", pages 179 à 186 (aimablement communiqué par Jacques Tribot-Laspière).

Sur la piste entre El-Goléa et Timimoun.

Le poids des camions du concours variait de 8 à 13 tonnes. C'était la première fois qu'un convoi de cette importance en personnel, en nombre de véhicules, et en poids par véhicule, allait affronter les pistes transsahariennes sur lesquelles n'avaient jusqu'à ce jour circulé que des voitures légères. Aussi, l'appréhension des chefs d'équipe était-elle grande et les rensei­gnements plus ou moins contradictoires qu'ils se procuraient, en particulier, sur le trajet Reggane-Gao dépourvu d'eau sur 800 kilomètres, peu faits pour les encourager. Mais l'un des concurrents avait déjà effectué ce parcours et, comme il était

animé de la plus grande confiance, on pouvait tenter la

chance.

L'itinéraire que devait suivre la mISSIOn était ainsi fixé:

Boghari, Laghouat, Ghardaïa, El-Goléa, Fort Mac-Mahon, Timimoun, Adrar, Reggane, Gao, Reggane, In-Salah, El-Goléa, Gardaïa, Laghouat, Boghari, Alger.

Exécution

Le 20 février, avant 8 heures, tout le monde était rendu au parc d'artillerie; la mission était prête à partir. Il pleuvait abondamment à Alger. Cette pluie et la baisse de température faisaient pressentir une chute de neige sur l'Atlas tellien. Il était bon de demander des renseignements sur la praticabilité de la route dans la région de Ben Chicao et du mont Gorno.

Effectivement, la nouvelle nous parvenait bientôt que la route

était impraticable par suite d'une abondante chute de neige. Le départ était remis au lendemain, le service des Ponts et Chaussées devant, dans la journée du 20, dégager la route à l'aide de chasse-neige.

Le 21 février, le départ eut lieu. La mission rencontra la neige avant Médéa et ne la quitta qu'à quelques kilomètres avant Boghari. Les thermomètres placés à l'intérieur des voitures ouvertes marquaient 0 degré. On arrivait à Boghari vers 16 heures (170 kilomètres).

Au cours de cette étape on n'eut à signaler que la glissade hors de la route de deux camions et l'enlisement dans le fossé détrempé d'un troisième. Ces incidents retardèrent peu la marche du convoi.

Le 22, étape de Boghari à Laghouat (230 kilomètres). Peu avant Djelfa, un camion crève ses chambres à air. Cet incident imputé à un chargement excessif détermina le dépôt à Djelfa des 2 tonnes d'engrais prises à Alger.

A Djelfa, l'une des voitures du Gouvernement général doit réparer un roulement à billes de roue arrière, ce qui retarde de plusieurs heures son arrivée à Laghouat.

Température toujours voisine de 0 degré.

La lutte contre l'ensablement.

Ici se termine la partie du voyage sur routes ferrées (100 kilomètres) ; à partir de Laghouat jusqu'à Reggane, on utilisera les pistes aménagées.

Devant un bordj de la Compagnie générale transsaharienne.

Le 23, sejour à Laghouat, motivé par le mauvais état de la piste à la sortie de Laghouat par suite des pluies abondantes tombées les jours précédents.

Une déviation praticable aux poids lourds est reconnue et le départ est fixé pour le 24 au matin.

Le 24, l'étape Laghouat·Ghardaïa (193 km) est parcourue sans autre incident que la mise hors service d'un camion ravitail· leur. On laisse à Ghardaïa un militaire dont l'utilité n'est pas indispensable.

M. Rème, directeur du service des Travaux publics des Terri­toires du Sud, rejoint la mission avec la voiture neuve du Gouvernement général.

La température s'améliore.

Le 25, la mission gagne El-Goléa (322 kilomètres). M. Rème

l'accompagne car, à El-Goléa, des éliminations doivent ètre

décidées, s'il y a lieu.

L'étape étant très longue et les voitures Berliet ne faisant en moyenne que 35 kilomètres à l'heure, on les fait partir trois heures avant les autres voitures.

Le parcours s'accomplit dans de bonnes conditions.

Séjour, le 26, à El-Goléa, point de ravitaillement des automo­biles. Aucun concurrent n'est éliminé. Le 27, on se met en route directement sur Timimoun (380 kilomètres), brûlant l'étape de Fort Mac-Mahon pour rattraper le temps perdu. Mais la piste, au passage de Sebkha, paraît trop mauvaise (détrempée) aux véhicules les plus lourds, qui font un détour par le plateau à l'est d'EI-Goléa et augmentent de 24 kilomètres leur trajet. Aux abords de Fort Mac-Mahon, certaines voitures font connaissance avec les ensablages ; il en est de même entre Fort Mac-Mahon et Timimoun.

Autre incident plus grave: la voiture neuve, type saharien, amenée par M. Rème (qui est reparti pour Ouargla) et devant servir au capitaine Pradelle, rompt son arbre de transmission à

Sur le reg, près de Bidon 5.

peu près à mi-chemin entre Fort Mac-Mahon et Timimoun. On la remorque d'abord, puis, la nuit survenant, on l'aban­donne. On arrive à Timimoun de nuit (20 heures) et on décide d'y séjourner le 28 pour aller rechercher la voiture en panne. Ce qui fut fait.

Cette panne nous oblige à laisser à Timimoun 2 militaires non indispensables.

Le 29 février, départ pour Adrar (190 kilomètres) ; nous y arri­vons de très bonne heure et les élèves du cours préparatoire sont heureux de voir, dans une tenue impeccable et montés sur de très beaux méhara, les méharistes du peloton de Menthon que le capitaine Rongieras a eu l'amabilité de rassembler pour notre arrivée.

Le 1" mars, nous gagnons Reggane (100 kilomètres) et, là, nous avons le regret de constater que la camionnette destinée à l'annexe du Touat n'étant plus susceptible de continuer (bloc de cylindres fondu), force est de laisser à ce poste 2 sous­officiers dépanneurs du 27' escadron du train.

L'équipe Renault au repos à Timimoun.

A noter les ensablages sérieux qui se produisent à 2 kilomètres avant Reggane au passage d'un oued. Les équipes en cause sont impressionnées et, devant l'inconnue de 1 300 kilomètres qui s'ouvre, les courages faiblissent.

Les chefs d'équipe, après renseignements défavorables donnés par M. Estienne, me demandent d'autoriser le retour par Adrar-Timimoun et non par In-Salah comme il était prévu: cette piste très sablonneuse étant, de l'avis ~e M. Estienne, impraticable aux poids lourds de la mission. Je transmets télé­graphiquement la demande à la direction des Territoires du Sud et, le 2 mars, nous abordons le Tanezrouft; effectif de la mission: 40 personnes, 14 automobiles.

Entre Adrar et Reggane, l'attente des retardataires. Entre Reggane et Bidon 5, Charles Fouché inspecte l'horizon.

Ravitaillement à Ghardaïa.

La piste Reggane-Gao ne nous étant pas connue, il est déCidé que le départ aurait lieu habituellement à 6 heures ; que la marche par équipe serait obligatoire; qu'en outre, les voitures de tête s'arrêteraient après un parcours de 120 kilomètres ou 3 heures de marche pour permettre au convoi de se reformer, puis de faire un nouveau bond. En principe, on bivouaquerait chaque jour à 16 h 30 environ.

Enfin, pendant la traversée de cette région, les élèves-officiers du cours préparatoire prendraient le quart pendant la nuit.

Dès le départ de Reggane, sur la piste ancienne des courriers transsahariens (où nous suivons un camion de la Compagnie transsaharienne), entre le 4' et le 10' kilomètre, nous sommes dans un terrain affreusement mou. Tous les gros véhicules s'ensablent et après de gros efforts, où le personnel des maisons, aidé vaillement par les élèves-officiers du cours préparatoire dont la gaieté et l'ardeur ranimaient tous les courages défail­lants, on en sort puis, sans accroc, on parcourt 270 kilomètres.

Le 3 mars, on continue sur une bonne piste pendant 130 kilomètres et l'on aborde les ergs Tidjidit-EI Hofer et El Morat qui, sur plus de 40 kilomètres, occasionnent des ensablages et donnent beaucoup de travail au personnel. C'est le bap­tême du passage du tropique du Cancer. Mais on retrouve la piste solide et nous couchons à Bidon 5 après avoir parcouru 250 kilomètres.

Aux abords nord de l'erg Egatalis, nous avons relevé des traces suspectes de 15 ou 20 méharistes allant de l'est à l'ouest, puis au sud de cet erg des traces d'un troupeau de chèvres et moutons allant de l'est vers l'ouest et un peu plus loin les traces de méha­ristes (20 environ) allant de l'ouest à l'est. Bidon 5.

A 100 kilomètres de Bidon 5, l'équipe Renault plante un poteau indicateur.

Est-ce le peloton d'Ouallen qui est passé par là ? Est-ce la petite bande suspecte vue, vers le 20 février par M. Estienne et le lieu­tenant Bonamy de l'aviation? Il nous est impossible de répondre à ces questions.

De Bidon 5, nous avertissons par T.S.F. que tout va bien et que nous espérons être à Gao le 7, en avance de 2 jours sur nos pré­visions; secrètement, nous espèrons, si tout va bien, y arriver le 6. Malheureusement, 25 kilomètres après Bidon 5, le terrain devient moins favorable, ce sont des montagnes russes pendant 50 kilomètres. D'autre part, la piste est insuffisamment jalon­née, des traces vont en sens divers; aussi, espérant éviter un passage d'aspect mauvais, les voitures de tête s'engagent-elles sur deux traces isolées allant droit au sud, mais qui nous conduisent dans une dépression barrée par un erg infranchissa­ble. Des camions s'y ensablent, usent leurs engrenages qu'il faut remplacer. Il n'est que midi, nous n'avons parcouru que 90 kilomètres ; il faut stopper et surtout retrouver la bonne piste.

Dans le courant de l'après-midi, c'est chose faite. Mais on cou­che sur place et le lendemain, 5 mars, nous rejoignons la piste qui n'était qu'à 11 kilomètres au nord-ouest. Vers 11 heures nous franchissons la frontière algéro-soudanaise et avons l'agréable surprise d'y trouver le lieutenant aviateur Bézy, de l'Afrique occidentale française, chargé du jalonnement de la piste par balises de la frontière à Gao, qui nous accueille avec une cordialité touchante.

A la frontière de l'Afrique occidentale française.

Il met à notre disposition jusqu'à Gao un guide, le sergent-chef Desmurs, qui nous rendra de grands services dans la traversée des mauvais terrains.

Nous continuons ensuite notre route sur bonne piste et cam­pons après avoir parcouru 223 kilomètres. Nous sommes entrés dans la zone où reparaît la végétation et où le gibier foisonne.

Le lendemain 6 mars, après 25 kilomètres de parcours en bon terrain, nous rencontrons du "terrain pourri"; les étourdis ou trop confiants s'y enterrent et l'on perd un temps précieux. Heureusement, il n'est pas très étendu et nous roulons convena­blement pendant 60 kilomètres. A ce moment, nous rencon­trons une dune peu élevée, parsemée de touffes de végétation, mais au sable peu consistant et ce sont de nouveaux ensablages, de nouveaux efforts, de grosses fatigues pour le personnel pen­dant 5 kilomètres. Enfin, nous continuons sur assez bon terrain pendant 40 kilomètres et nous nous arrêtons. La voiture serre­file vient annoncer qu'un camion est en panne et qu'on est obligé de le remorquer. Il n'est que 11 h 30, nous avons par­couru 130 kilomètres depuis 6 heures du matin. Quelques heu­res plus tard, la voiture en panne irréparable arrive. Tout ce qu'elle porte est pris en surcharge sur les autres voitures. Nous campons sur place.

Le 7 mars, abandonnant la voiture éclopée, nous partons et, sur 40 kilomètres parcourus, les "Markouba" (terrain assez mou, couvert de touffes d'herbages dont le pied est protégé par des mottes d'argile plus ou moins grosses et très dures), où les voitures sont soumises à des cahots, des heurts, des sauts incroyables, à chaque moment on s'attend à des ruptures de ponts, d'essieux ou au moins de ressorts. Il n'en est rien heureu­sement, mais un violent vent de sable de l'est se lève.

Bientôt nous trouvons une bonne piste qui, après 80 kilomè­tres, nous amène à Tabankort. Dans l'après-midi du même jour, nous parcourons la distance qui sépare Tabankort de Gao (200 kilomètres) où nous arrivons à 17 heures. Nous avons parcouru ce jour 336 kilomètres.

Séjour à Gao

Notre séjour à Gao, motivé par le repos et la détente qu'il est indispensable de donner au personnel de conduite, par la révi­sion des voitures, la remise du matériel emporté, se prolonge du 7 mars au soir au 13 mars au matin.

Les autorités administratives et plus particulièrement les offi­ciers de Gao nous accueillent cordialement et rendent notre séjour très agréable. Seules la température et une atmosphère très lourde et brumeuse, suite du vent de sable du 7, contra­rient notre repos.

Le 11 mars arriva à Gao le premier courrier postal transsaha­rien : ce fut une joie pour les Français de Gao et un concert de louanges pour ce nouveau service qui apportait des lettres de France en 15 jours, alors que par la voie Dakar elles parve­naient après 40 ou 60 jours. Toute la colonie du Soudan fran~ çais et celle du Niger sont appelées à bénéficier de cette heureuse organisation. .

La panne du camion laissé à 136 kilomètres au nord de Taban­kort m'oblige à retenir des places, pour le personnel en sur­charge, dans le car transsaharien qui doit quitter Gao pour Reggane le 12 mars. Pour arriver à Gao, des membres de la mission avaient voyagé, juchés sur les toits ou bâches des camions. La température pénible ne permettait plus d'exposer du personnel à des insolations.

Le car ayant besoin d'une réparation ne peut repartir que le 13 mars. Toute la mission reprendra à cette date le chemin du retour. Mais la provision d'eau réservée à la popote militaire (30 personnes) n'étant que de 800 litres pour 6 jours de route prévue, il y a lieu de ne pas perdre de temps dans la traversée du Tanezrouft.

Nous connaissons aujourd'hui la piste et nos appréhensions à son sujet sont beaucoup plus faibles qu'à l'aller.

Une halte dans le Tanezrouft.

Le retour

Le 13 mars, le départ fixé à 6 h 30 n'a lieu qu'à 7 h 20, le car transsaharien n'étant pas prêt; nous parcourons ce jour-là 286 kilomètres. A la mission se sont jointes 2 voitures de tou­risme transportant chacune 3 personnes qui auront besoin d'eau en cours de route.

Le 14 mars, arrêt de 7 heures à 8 h 20 près du camion en panne où une équipe est laissée, avec vivres, eau et une voiture auxiliaire, pour attendre le moteur de rechange demandé.

Le gros du convoi s'arrête à 16 h 30 et est rejoint une heure plus tard par la voiture serre-file qui annonce qu'un camion lutte péniblement pour se désensabler avec l'aide d'une deuxième voiture de son équipe, la troisième nous ayant rejoint.

Nous avons parcouru 237 kilomètres. Le 15, les deux voitures retardataires n'ayant pas rejoint, je prescris au troisième camion d'attendre ses coéquipiers et à la voiture serre-file d'attendre cette équipe, au besoin, d'aller à sa rencontre et de venir me rendre compte. Une autre équipe attend de son propre gré. Avec deux équipes, je reprends la route du Nord. A 10 heures, nous arrivons à un passage délicat (seuil rocheux). Nous nous y arrêtons et recher­chons aux environs un passage plus accessible aux poids lourds. Vers midi, laissant en ce point la voiture du capitaine Pradelle (qui attendra jusqu'à 16 heures), je continue avec deux équipes en direction de Bidon 5 qui n'est qu'à 120 kilomètres; lorsque, à 50 kilomètres de ce point, nous rencontrons la mission Charles Roux (6 personnes), qui a quitté Reggane depuis 11 jours, et se trouve en panne. Elle avait quitté Reggane avec deux camionnettes ; l'une fut mise hors d'usage à 85 kilomètres au sud de Reggane, l'autre n'ayant pu faire encore, malgré sa surcharge, 500 kilomètres avait brisé son pont arrière.

Le personnel, très vaillant, avait commencé à se rationner, et se contentait d'un quart d'eau par personne toutes les trois heures; ration nettement insuffisante. Cette mission ne possédait plus que 60 litres d'eau. Aucune réparation n'étant possible sur place, nous avons pris toutes les per­sonnes à bord, avec bagages réduits et avons continué sur Bidon 5. Étape parcourue: 250 kilomètres; c'est encore 6 personnes de plus qu'il faut alimenter en eau.

Entre 19 et 22 heures, rejoi­gnent les voit~res Pradelle, serre-file et l'équipe qui avait attendu les retardataires. Ceux-ci sont arrivés à 120 kilo­mètres de Bidon 5, les voitures sont en état de marche ; mais le personnel est fatigué et cette équipe préfère se reposer que

A l'arrivée devant l'agence Renault d'Alger.

Le 16, laissant à Bidon 5, pour attendre l'équipe retardataire, les voitures Pradelle et serre-file, je continue en direction de Reggane avec trois équipes et nous nous arrêtons après avoir parcouru 330 kilomètres.

Les voitures Pradelle et serre-file ne nous rejoignent que le 17 à 4 heures, nous annonçant que l'équipe en retard s'est arrêtée à la nuit au kilomètre 430 (erg El Hofer) qu'elle veut passer de bon matin.

Comme elle est à court d'eau, ces deux voitures continuent de

suite sur Reggane pour revenir s'il y a lieu avec de l'eau. A 6 heures (17 mars), laissant sur la piste 200 litres d'eau (que l'approche de Reggane permet de distraire) pour les retarda­taires, je continue avec trois équipes sur Reggane, où nous arrivons à 11 heures (200 kilomètres).

de rejoindre. La voiture nO 1 de la mission Charles Roux abandonnée en plein désert.

Le capitaine Pradelle repart à Il h 30 à la rencontre des retar­dataires qui, ayant pris les 200 litres d'eau, campent le 17 à la nuit à 30 kilomètres de Reggane et nous rejoignent le 18 à 8 heures.

Un long repos est nécessaire à ce personnel et nous séjournons à Reggane les 18 et 19 mars.

Nous remettons à deux commerçants· de Taourirt 700 kilo­grammes de beurre envoyés par un commerçant de Gao.

Le 20 mars, la direction des Territoires du Sud nous ayant autorisés à ne pas passer par In-Salah, nous reprenons la direction du nord via Adrar-Timimoun.

Il nous serait possible d'arriver à Alger le samedi 20 mars, mais il faudrait allonger les étapes et occasionner de nouvelles et inutiles fatigues au personnel. Il est décidé d'arriver à Alger le mardi 29 mars dans l'après-midi, ce qui nous permet de faire commodément le dernier quart du parcours et les dernières étapes sont ainsi réglées :

20 mars: Adrar; 21 : Timimoun ; 22 : Fort Mac-Mahon; 23 et 24: El-Goléa, où nous attend le lieutenant-colonel Maison, de l'Inspection générale du service automobile ; 25 : Ghardaïa ; 26 et 27 : Laghouat ; 28 : Boghari ; 29 : Alger à 15 heures.

Renault pionnier colonial

Le rapport du lieutenant-colonel Sigonney, malgré son laco­nisme tout militaire et sa discrétion en ce qui concerne le comportement des différents véhicules, montre néanmoins la rude tâche que les hommes de la mission durent accomplir.

Un seul camion manqua à l'arrivée, c'est dire que les construc­teurs participants purent marquer leur satisfaction et exploiter leur succès.

Pour Renault qui considérait l'épreuve comme "la plus dure que des camions aient jamais accomplie", il rendait hommage " à la belle leçon d'énergie humaine" donnée par"le chef de la mission, M. Fouché, et les six hommes qui l'accompagnaient dont la technique et le courage ont triomphé des angoisses, des misères et des difficultés de toutes sortes qui les accablaient".

Et la publicité Renault pouvait proclamer : "Par l'avion, par l'auto de tourisme, par les camions, Renault s'est affirmé comme un grand pionnier colonial. Déjà il avait ouvert la route au tourisme africain. Aujourd'hui, il a prouvé qu'avec des matériels simples et robustes, un trafic industriel régulier et économique pouvait être organisé à travers le Sahara. "

Georges FLORIS