06 - Mon témoignage

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Mon témoignage

On ne peut pas, en quelques lignes, retracer toute une vie de travail. Il y aurait trop à dire et ça manquerait d'intérêt. Il y a cependant des faits marquants que la mémoire a conservés et ce sont ceux-là que je voudrais rappeler.

Si, il Y a soixante ans on m'avait dit que je terminerais ma vie ac­tive dans la métallurgie, je serais certainement resté incrédule. Mes parents me destinaient au métier de joaillier. Je suivais les cours de l'École de la rue de la Jussienne et ensuite j'entrais comme apprenti chez un artisan. En 1930, avec la crise écono­mique qui frappa la plupart des pays, je me trouvais au chômage; ce fut pour ma famille et moi un moment difficile. Il n'était plus question de rester joaillier : je devais me reconvertir. Heureu­sement, grâce à un ami je pus entrer chez Chausson comme contrôleur. Mais mon désir était d'entrer aux Usines Renault; j'habitais à proximité et je pen­sais que dans une grande entre­prise, il me serait plus facile de gagner ma vie. Grâce à la recom­mandation de Monsieur Labal­lerie je fus embauché le 12 jan­vier 1933 comme ouvrier spé­cialisé à l'atelier 138 au taux horaire de 2 francs 50.

Mais mon intention était d'être affecté au contrôle. Après plu­sieurs mois de tôlerie, je fis ma demande de mutation. Je passais un essai qui dura deux jours et je fus accepté.

En 1935, je tombais gravement malade. Les cinq années précé­dentes avaient été très dures pour moi. Il n'est pas facile de devenir ouvrier d'usine quand on a été joaillier. Certains soirs, retrouvant les miens, je me de­mandais si je trouverais les forces nécessaires pour retourner au travail le lendemain. Mais il fallait vivre. A peine guéri, je me représentais au tra­vail, mon absence avait duré trois semaines. Jugez de ma stu­peur quand j'appris que je ne faisais plus partie de la maison. On n'avait pas besoin, me dit-on, de gars qui s'absentaient trois semaines! Heureusement que je rencontrais M. Laballerie qui, voyant ma mine déconfite, me demanda ce qui se passait. « Je vais arranger ça)} me dit-il. C'est ainsi que je me retrouvais à l'Usine a à l'atelier d'aviation. Là, l'état d'esprit était tout dif­férent. On me fit un excellent accueil et je me souviens encore de l'amabilité que me témoi­gnèrent les différentes personnes que je rencontrais. Quelques mois plus tard c'était mai 1936 et l'explosion popu­laire qui restera toujours dans la mémoire de ceux qui ont vécu ces moments-là. On parle aujourd'hui de la condition des O.S.; à l'époque elle était beau­coup plus pénible. La sécurité de l'emploi n'existait pas et j'en avais fait l'expérience à l'occa­sion de ma maladie. «Aller à la pêche)} était une expression connue et redoutée. Les jour­nées étaient longues à certaines occasions et il n'était pas ques­tion de congés payés. Les sa­laires étaient variables et la « tête du client)} entrait pour une grande part dans leur fixation. Tout cela et bien d'autres choses encore expliquent le formidable mouvement qui secoua le monde ouvrier à l'époque.

A l'aviation, je débutais comme compagnon et, par la suite je devins chef ouvrier, quand le groupe Caudron-Renault fut constitué, et par la suite contre­maître. Entre-temps l'atelier avait été transféré à Issy-les-Mouli­neaux. Pendant les années de guerre, je fus envoyé à Four­chambault avec une soixantaine de compagnons. Je connus là des moments difficiles et j'ai bien cru n'en jamais revenir mais cela est une autre histoire. Après la guerre, l'industrie aéro­nautique étant nationalisée un grand nombre de changements intervinrent et en 1950, je quittais la S.N.C.A.N. pour réintégrer la

R.N.U.R.

Les quatorze années qui sui­

virent furent pour moi sans his­

toire. Affecté au service des

méthodes tôlerie, je fus successi­

vement préparateur de fabrica­tion et agent de méthodes. Aujourd'hui retiré dans un petit

village des Alpes-Maritimes, j'ai retrouvé mon établi de joaillier et je me livre en toute quiétude à ce qui a été la passion de toute ma vie : la radio.

Georges CHOQUENOT