04 - La Société des Aciers Fins de l'Est

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Eugène de Sèze

La Société des Aciers Fins de l'Est

La S.A.F.E. : faut-il que je mentionne le nom d'une entreprise à laquelle je me suis profondément identifié pen­dant quarante ans?

Elle a été juridiquement fondée en 1930 et je m'y suis intéressé dès 1932, par hasard, le Secrétaire de Monsieur Renault, Monsieur Rochefort, ayant recherché une personne de formation juridique pour rédiger une convention à passer entre la Société Anonyme des Usines Renault et l'U.C.P.M.I.

Un nom a été avancé par M. Lehideux, à qui était confiée la supervision de la Société des Aciers Fins de l'Est.

Ceci vous donne une indication sur ce qu'était l'encadrement de Billan­court à l'époque: en dehors du conten­tieux, j'y étais seul à répondre à la caractéristique demandée.

Quels progrès depuis lors!

Or, Monsieur Renault ne voulait pas du contentieux : «Vous comprenez, disait-il, je ne veux pas faire un pro­cès, je veux faire un accord ».

C'est ainsi que cela a commencé.

Je me suis occupé de la S.A.F.E., sans titre, sans fonction définie, de 1932 à 1945, où je suis devenu Président... cela a duré trois mois à peine.

Croyez-moi, il vaut mieux être Direc­teur Général, c'est plus sûr.

Et pourquoi la SAF.E.? Pourquoi cette création?

Monsieur Renault voulait utiliser des aciers faiblement alliés et des tôles laminées à froid que les forges fran­çaises ne lui livraient pas.

C'était chez lui une vieille idée, dès 1918 il avait fondé l'U.C.P.M.I. avec, déjà, le même souci. Mais l'acier Thomas était mal adapté à ses exi­gences et les autres partenaires ne voulaient rien entendre pour un chan­gement profond des méthodes et des moyens de fabrication.

Alors il paraît renoncer, et puis douze ans plus tard, en plein crise, il force la main au Conseil de l'U.C.P.M.I. et puisqu'il y a un mois de chiffre d'af­faires en caisse, et même beaucoup plus, il arrache un terrain et une convention d'exploitation.

Ce n'est certainement pas sans une intention profonde qu'il avait persuadé d'autres constructeurs, dont beaucoup ont disparu mais comprenaient Citroën et Peugeot, de jouer un rôle important dans une entreprise vouée à la fabri­cation des plus banals des laminés marchands et qu'il avait confié la pré­sidence du Conseil d'Administtation à un homme, à l'époque, constructeur d'automobiles: le Président Petiet.

La SAF.E.! En traitant de l'acier Thomas, acheté à l'état liquide, dans un four à arc, acheté d'occasion (il faut préserver l'encaisse) et nous avons fait de l'acier, avec l'aide du Ciel et l'assistance de M. Pomey.

Il faut saisir ce que représentait cette décision : un trait de génie.

Non pas que la réalisation se soit traduite par un succès financier ou technique grandiose, mais parce qu'elle procédait d'une intuition qui équivalait à une préfiguration de l'avenir l'obtention d'un métal de qualité à partir d'une conversion de la fonte par soufflage, même d'une fonte Thomas.

L'obtention des aciers de qualité à partir de la fonte, par soufflage à l'oxygène dans un convertisseur est l'un des termes de l'alternative qui s'offre maintenant à qui veut produire des aciers de qualité, l'autre étant le four électrique à arc.

J'ai donc fait la connaissance de la Lorraine pensant que l'accord passé, je retournerais à mon grand œuvre : la mécanisation de la tenue des comptes courants, clients et fournis­seurs et la mise sur machine de la paie des mensuels.

C'est alors qu'ont commencé mes nom­breux séjours à Hagondange avec Peltier et deux dessinateurs : Jouven­çon et Desombiaux. Nous avions une baraque là où est le poste de trans­formation de l'usine. Sans doute, par obsession professionnelle, la première personne embauchée, ou presque, a été un comptable : Monsieur Kierren.

En même temps, arrivait pour diriger l'usine: Styczynski, métallurgiste polo­nais formé à Ugine à l'école de son beau-frère, le célèbre Paul Girod, et travaillant, au moment de son embau­che à Aoste où il était passé après que l'arrêt des hostilités en 1918 eût ruine tant Ugine que Paul Girod.

En 1932, embauche de Reynaud; on achète toujours d'occasion, un train à tôles moyennes, de marque Sack ins­tallé dans une usine de Borsig, près de Kœnigsberg, j'ai bien fait de voir la Prusse Orientale alors, personne ne pourra plus s'en prévaloir... sans doute. En 1933, on commande le train à tôles fines qui démarrera en 1934, cependant qu'on double le train à bar­res par un train à petits profils qui a fonctionné jusqu'en 1961, mais qui datait de 1912.

Au total.. en 1936, en allant de temps en temps demander de l'argent au secrétaire de Monsieur Renault quand il n'yen avait plus dans la caisse, il avait été investi 60 millions de l'épo­que, cela doit représenter près de deux cents millions de nos francs actuels.

Mais Billancourt avait des aciers au chrome, des nickel-chrome à 1,5 de nickel seulement, et surtout des chrome-molybdène.

La SAF.E. était aussi la première usine de France à avoir un train suscep­tible de laminer à froid des tôles en bandes.

Marchant comment? Il fallait voir ça, avec des coïls reconstitués à partir de feuilles de tôles, laminées à chaud sur notre trio Lauth et soudées bout à bout jusqu'à représenter un rouleau de 2 à 3 tonnes.

C'est un ingénieur, détaché par Mon­sieur Dalodier, qui avait réussi, après deux à trois mois de travail, à faire des soudures qui ne cassaient pas au laminage, vous le connaissez tous : Longcamp. Lui, Desombiaux, et Jouvençon, rivés à leur chantier, en perdaient le boire et le manger.

Le dimanche, nous allions tirer des perd re a u x, dans les seigles qui venaient alors là où est maintenant installé le T.B.F., il Y en avait à foison. Le mot environnement n'était pas trouvé, il se prononçait: progrès.

Je reviendrai plus tard sur l'évolution des productions de la S.A.F.E., je poursuis le survol de son histoire.

1936 survient à Hagondange dans une version très atténuée par rapport à Billancourt, mais surprend encore plus au pays des «maîtres de forges". L'animateur local du mouvement qui signe pour les syndicats la convention passée avec le groupement patronal à la fin de la grève s'appelle Schwob, nous le connaissons encore ... à la tête de F.O.

Mais arrive la guerre, la Drôle de Guerre d'abord qui est aux portes de l'usine, puis Juin 1940, la SAF.E. prend la route avec ses camions et les voi­tures de certains : le personnel, du moins celui qui est parti, se disperse; nombreux sont ceux qui retournent à Hag'ondange, les autres : Limousin -Périgord -Saint-Étienne -Région parisienne.

A Billancourt, avec Monsieur Kierren qui nous a suivis, nous nous efforçons de reprendre contact avec chacun, de tenir la liaison et d'aider tous ceux qui nous le demandent. Plus tard, grâce à ce secrétariat nous pourrons remettre en place les effectifs de manière rationnelle.

Plus aucune nouvelle de l'usine!

Pendant plus de quatre ans, nous ne saurons rien de ce qui s'y passe. A peine sommes-nous informés qu'elle est reprise par les Hermann Goering Werke. Il est vrai qu'au mois d'août 1940 le Président Petiet avait, avec moi, reçu la visite d'Ernst Rochling qui venait faire une offre d'achat por­tant sur l'U.C.P.M.I. et la SAF.E.... sans suite.

Ce même Ernst Rochling, condamné en 1919 par uliConseil de guerre fran­çais, grâcié en 1940, que je devais revoir en 1952, assis à côté du ministre de la Production industrielle, français, de l'époque, à l'inauguration de l'I.R.S.ID. à Maizières-Ies-Metz.

Ce n'est pas seulement en nous effor­çant d'atténuer la détresse de ses réfugiés que nous nous efforcions de préparer l'avenir de la S.A.F.E.

Dès 1941 est entamée l'étude de l'ins­tallation d'un train continu à tôles à chaud à implanter sur les terrains de l'U.C.P.M.I. à Hagondange. Nous étions cinq sur ce travail, deux sont morts : Reynaud et Desombiaux; les trois autres étant Peltier, Genestoux et moi. A cette étude supervisée par M. Louis, Monsieur Renault avait associé Mon­sieur Marcel Champin qui avait chargé Monsieur Crouzier de suivre celle-ci.

Curieusement, alors que la nationali­sation de la Sidérurgie était à l'ordre du jour, ce projet a été la victime de la nationalisation de Renault, malgré les efforts de Monsieur Lefaucheux pour le faire aboutir. Une union sacrée s'est établie entre le Comité d'Orga­nisation de la Sidérurgie dont les inté­rêts étaient évidents, et certaines administrations qui trouvaient que le domaine de la Régie et de la Direc­tion des Industries Mécaniques était suffisant.

Par la suite, la SOLLAC a été consti­tuée -le cœur n'y était plus, Renault avait d'autres problèmes, la nationa­lisation de la Sidérurgie était renvoyée à plus tard et la S.A.F.E. se retrou­vait un peu en porte-à-faux avec son train à froid.

1944. Nous retournons à Hagondange dans des conditions précaires, l'offen­sive de von Rundstedt se développe pendant que les Américains s'effor­cent de déloger une unité allemande qui tient encore le crassier.

Je ne m'étends pas sur l'état de l'usine: indescriptible! Nous manquons de tout! Cependant, des mesures de prévoyance, prises en j\:lfllet 1940 sont d'un grand secours, il est pos­sible d'acheminer de Billancourt sur Hagondange :

-300 tonnes de déchets de nickel à 50 %, en souffrance sur une péniche abandonnée sur la Seine dans la pagaïe des jours qui ont suivi l'armis­tice et sur quoi Fauquembergue a veillé pendant quatre ans;

-une paire de cylindres neufs du train à tôles minces, débarquée à Rouen en juin 1940 et dont, après entente, nous convenons M. Le Goff et moi, de la dissimuler dans les stocks de caoutchouc à la pointe amont de l'Ile Seguin.

Vaille que vaille, on démarre à nou­veau et nous progressons.

1950 -Installation d'un second four à l'aciérie.

La même année, après une hésitation entre Le Mans et Hagondange, la

S.A.F.E. était choisie pour la création d'un atelier d'estampage qui démarre en 1952.

1953 -Installation d'une presse à for­ger pour le dégrossissage des lingots.

1957 -La décision de principe est prise d'installer une tour de coulée continue et un train moderne à petits profils.

1960 -Démarrage de ces deux ins­tallations.

1964 -Démarrage d'un nouveau four électrique.

1965 -No us arrêton s 1 a t ô 1 e rie moyenne et supprimons les achats de Thomas liquide. En même temps, la forge était développée après la mise en place de la Peltzer.

1968 -Démarrage de la forge à froid.

1969 -1 n st aIl a t i on d' u n nouveau transfo sur le four III.

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1970 -Installation d'un nouveau transfo sur le four Il.

Au mois de janvier, démarrage à la tôlerie du train d'Hennebont.

Au mois de février, démarrage de la 4500 tonnes à chaud.

1971 -Démarrage de l'installation Hasenclever.

Trois faits dominent cette perspective rapidement tracée :

-implantation de l'estampage décidée en 1950 avec ses développements les plus récents : forge à froid -4500 tonnes à chaud -Hasenclever;

-adoption du système de la coulée continue;

-création de la S.M.R. à Revigny.

Pour l'estampage, le dégagement de Billancourt était la nécessité à laquelle Renault avait à faire face, du point de vue transport la localisation à Hagon­dange était la plus rationnelle, du point de vue des débouchés l'intérêt de la SAF.E. est évident.

A mon sentiment, cet atelier a répondu à sa mission, sa très rapide croissance des années les plus proches pose des problèmes; ils sont sérieux, je pense qu'il suffit de ne pas les multiplier dans un proche avenir, pour qu'ils soient dominés. La SAF.E. a besoin de l'assistance des services de métho­des de Renault, ceux-ci ne l'ont pas mesurée, ce faisant ils ont pu juger leurs interlocuteurs et doivent être à même de faciliter leur adaptation à des techniques nouvelles.

L'adoption de la coulée continue pro­cédé mis en œuvre en 1960 a été offi­ciellement décidée en 1957. En fait, les perspectives ouvertes par ce procédé et les premiers contacts avec Junghans remontaient à 1951, date à laquelle nous avons décidé l'installation de la presse à forger: le blooming du pau­vre. Nous ne voulions pas obérer notre trésorerie par l'installation d'un bloom­ing, alors que nous étions obligés de renoncer au dégrossissage de nos lin­gots sur les trains de l'U.C.P.M.I., nous ne voulions surtout pas, en nous lançant dans une installation lourde, prendre une voie de non-retour. Nous voulions, dès cette époque, sauvegarder la pos­sibilité d'adopter cette technique, seule à notre avis, susceptible de nous don­ner un avantage sur nos concurrents. Nous l'avons adoptée après plusieurs années de réflexions et d'essais, réflexions dénuées de bases, essais sans signification. En fait, nous n'avons

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rencontré après la mort de Junghans que des vendeurs d'un procédé dont ils parlaient avec autorité mais sans connaissance approfondie et qui por­taient de grands noms: Mannesmann, Bohler, Demag, Rossi et d'autres.

La mise au point, maintenant indiscuta­ble, du procédé a été : notre œuvre.

Mais rétroactivement, quelles sueurs froides!

Dans l'immédiat, la coulée en continu de l'acier se développe, très lentement il est vrai, dans le domaine des aciers de qualité, encore que Volklingen de son côté fonce dans cette voie. Les préventions de la clientèle tombent, et si elles se manifestent encore de ci de là, nous constatons avec plaisir qu'à l'exportation, là où la clientèle est la plus dure, en Àmérique, là où le procédé dans le domaine des barres est le plus discuté, nos ventes pro­gressent, comme en Allemagne. Fort heureusement, les possibilités de pro­grès, pas suffisamment cernés encore, paraissent multiples; les clarifier et les mettre en œuvre sera la grande tâche des années à venir.

La création de la S.M.R. à Revigny a correspondu tant pour Renault que pour la S.A.F.E. aux mêmes préoccu­pations qui ont été à l'origine des forges et traitement : gain de super­ficie à Billancourt, maîtrise de débou­chés à la SAF.E.

Encore que la décision qui est à l'origine de cette création ait été prise en un instant, celle-ci s'est avérée très heureuse.

La S.A.F.E., devant l'importance des investissements correspondant à la création d'un atelier d'étirage moderne et devant l'incertitude de l'existence de débouchés correspondant à un emploi suffisant des moyens à mettre en œuvre, avait pratiquement renoncé à faire de l'étirage. La sous-traitance avait commencé à Billancourt et c'est un coup de téléphone de Monsieur Scaillier qui nous a signalé que Mon­sieur Dupré, responsable de Giros, cherchait un partenaire pour une décentralisation.

Ainsi est née en 1959 une collabo­ration qui dure toujours. A l'heure actuelle, le débouché Revigny est pour la S.A.F.E. essentiel, c'est son point de livraison le plus important.

Cette usine est intéressante, montrant tout le parti qu'il est possible de tirer de l'homogénéité des problèmes tech­niques à résoudre dans une entité industrielle donnée.

Comment ont évolué les productions de la SAF.E.?

C'est en 1947 que les laminoirs à barres ont retrouvé leur volume de pro­duction de 1938 : 22000 tonnes, dou­blé en 1951 : 40000 tonnes, triplé en 1956 60000 tonnes, quadruplé en 1962 : 81 000 tonnes, quintuplé en 1966 : 115000 tonnes, sextuplé en 1968 : 133000 tonnes, multiplié pres­que par huit en 1970 : 168000 tonnes. Ce chiffre n'a pas été atteint en 1971.

La S.A.F.E. vue générale.

Il est difficile de comparer les chiffres de production de tôles, compte tenu des variations intervenues dans nos équipements; parlons seulement de la tôle mince : 25 000 tonnes en 1947, variations de 90 000 tonnes à 102 000 tonnes de 1960 à 1969, 118 000 tonnes en 1970, 135 000 tonnes en 1971.

Record d'expéditions de tous produits sidérurgiques confondus en 1970 avec 300 000 tonnes.

Expéditions des forges : progression régulière de 1952 à 1959 où nous tou­chons un point haut avec 12500 ton­nes et 8 000 000 de pièces, 1966 : 20 863 tonnes et 12 138 000 pièces, 32 000 tonnes et 27 384 000 pièces en 1970 dont 4450 tonnes pour la forge à froid avec 11 000 000 de pièces. Ces chiffres, sauf pour la forge à froid, n'ont pas été atteints en 1971.

Les effectifs de la S.A.F.E. sont pas­sés de 1 200 personnes en 1947, sans forges ni tréfilage, à 3 000 personnes à fin 1971 avec 720 personnes dans les ateliers non sidérurgiques.

Me voilà au terme de cette vue cava­lière de la vie de la SAF.E.

C'est une chance extraordinaire d'avoir vu naître une entreprise et de l'avoir accompagnée au cours d'une crois­sance rapide pendant 40 ans.

Bien sûr, je ne me prévaux pas d'avoir seul le mérite de cette croissance, c'est une coutume de rappeler que sans l'équipe dont les mérites etc., etc., on n'aurait rien fait.

J'ai toujours été choqué par la fausse modestie de pareils propos : à qui croient s'adresser ceux qui les tien­nent? Qui peut penser qu'une entre­prise industrielle peut être l'œuvre d'un homme? Je passe... j'ai trop d'es­time pour ceux qui sont réunis ici pour me livrer à ces manifestations rituelles.

Trop d'estime et trop d'amitié aussi, je sais ce que je leur ai dû, et le prin­cipal avantage que je vois à cette réunion est de pouvoir leur exprimer mes remerciements sans qu'il puisse plus s'agir d'un prélude cousu de fil blanc à un échange de bons procédés.

Je tiens à exprimer très spécialement ma reconnaissance à M. Dreyfus pour la confiance qu'il m'a faite, sans que jamais je l'ai sentie se relâcher.

Ayant parlé longuement, trop longue­ment du passé, spécialement de celui de la SAF.E., je voudrais dire un mot de l'avenir qui s'offre à celle-ci, avenir qui, j'en suis persuadé, est en de bonnes mains, conviction plus facile à se faire pour vous tous qui connais­siez M. Le Chatelier depuis longtemps, que pour moi.

Je lui demande d'excuser ce dérapage sur ses plate-bandes, de toutes façons il ne laissera pas de traces, encore moins d'ornières.

La S.A.F.E. se trouvera d'abord confrontée aux problèmes généraux de l'industrie -ne parlons que du prin­cipal celui que pose les relations du travail.

Je rappelais tout à l'heure 1936, depuis nous avons eu 1968 -réflexion faite, je pense que 1968 place l'industrie devant une situation beaucoup plus sérieuse que 1936 -à cette époque la revendi­cation était simple : une amélioration des conditions de vie -rémunérations ­congés payés -limitation des horaires.

Maintenant, ce sont la nature même des conditions de vie, les relations hiérarchiques, la nature du travail, l'assiduité au travail qui sont mis en cause, et, fait nouveau, cette remise en

cause n'émane pas seulement du monde du travail mais aussi, à la fois, de cette tranche de l'opinion publique qui peut laisser croire qu'elle est toute l'opi­nion publique puisque les moyens d'expression dans leur ensemble, sont à sa disposition et, d'une grande partie de la jeunesse, ou de ses éléments les plus bruyants.

Il est vite dit que nous devons repen­ser notre cadre social, j'avoue ne pas discerner encore la voie à suivre, espérons qu'elle apparaîtra aux respon­sables de tous niveaux avant que trop d'incohérence ne perturbe la produc­tion qui reste le but à atteindre et le seul moyen de multiplier les richesses.

Excusez cette digression, je pense que vous tous êtes obsédés, comme je le suis, par les difficultés où nous nous débattons, je souhaite que vous trou­viez les moyens de les atténuer, faute de les faire disparaître.

Il est banal de rappeler que de la qualité des produits fabriqués par la

S.A.F.E. dépendra sa survie. Cepen­dant, il faut remarquer que cette exi­gence est plus grande pour les entre­prises qui vendent des prodUits stan­dardisés, que pour celles qui peuvent personnaliser leurs productions.

Sans doute la réputation de la femme de César doit-elle toujours être irré­prochable, mais il est néanmoins con ce­vable que la femme de César soit de quelque attrait.

Nos produits sont sans attrait, nous ne pouvons prétendre leur en conférer, nous ne pouvons que nous employer à défendre leur réputation, sans en cela et peut-être à l'inverse de la femme de César, être aidé le moins du monde, par leur manque d'attrait.

L'avenir financier de la S.A.F.E., demain comme hier, dépendra des moyens techniques mis à sa disposition et ceci d'autant plus que, pour des raisons multiples et complexes, les niveaux de rémunération à la SAF.E. handicapent celle-ci par rapport à ses concurrents.

Les moyens techniques, ce sont ceux dont elle est dotée et dont elle se dotera dans l'avenir par les investis­sements qu'elle décidera.

Mais l'avenir de la S.A.F.E. dépend aussi du cadre industriel où elle évoluera.

Il change très vite.

Deux colosses naissent dans le domaine des aciers spéciaux : Creu­sot-Loire et Ugine. D'ici deux à trois ans, il n'y a pas à craindre leur action, il ont à digérer leur naissance si j'ose risquer cette image!

Après? Après la SAF.E. devrait béné­ficier sans doute des investissements auxquels elle achève de donner forme, mais comment se présentera le rap­port des masses et les plus fortes entraîneront-elles toute l'Industrie des Aciers spéciaux?

C'est la question qui se posera dans quelques années : cinq, sept?

Il sera toujours possible d'envisager les moyens matériels de se donner une masse comparable à celle de la concurrence.

Les problème financiers seraient énor­mes et... le mois de chiffre d'affaires, dont je rappelais le principe il y a un instant, n'y suffirait pas à beaucoup près.

A moins que ...

A moins que ne se produise dans notre industrie ce qui se passe dans le domaine de la Sidérurgie lourde, où les David des mini usines réussissent à inquiéter les Goliath des unités de dix millions de tonnes.

Alors avons-nous, peut-être, dès main­tenant, surtout si nous réussissons à les affiner, les structures de l'avenir.

A parler de l'avenir, qui a été la pré­occupation de mon passé, je sors de mon dernier rôle -j'y resterai en exprimant le vœu que cet avenir cou­ronne les espoirs de ceux qui l'auront en mains, pour le plus grand bénéfice de la S.A.F.E. et de Renault.

Je me suis laissé aller à un trop long propos vous faisant ainsi mesurer l'in­convénient qu'il y a à trop bien connaî­tre son sujet, ce n'est pas sans une mélancolie que vous comprendrez que je l'ai traité une dernière fois.

Eugène de SÈZE

Vue aérienne de la S.A.F.E.