09 - DOCUMENT : Les usines Renault en 1918

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Texte brut à usage technique. Utiliser de préférence l'article original illustré de la revue ci-dessus.

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DOCUMENT : Les usines Renault en 1918

Les services généraux de la Société Anonyme des Usines Renault, qui étaient sous la responsabilité de Paul Hugé, ont réalisé cette description des usines, aujourd'hui conservée aux archives de la Section d'histoire des usines Renault. Elle a été communiquée par Gilbert Hatry à Patrick Fridenson, qui a établi les notes qu'on trouvera au bas des pages où ce document est reproduit. Pour d'autres détails, le lecteur pourra ensuite se reporter aux livres de G. Hatry, (( Renault usine de guerre 1914-1918))) Paris, Lafourcade, 1978, et de P. Fridenson, (( Histoire des usines Renault )), tome l, Paris, Éditions du Seuil, 1972.

Cette description illustre bien quelques caractères essentiels des usines Renault, à ce stade de leur développement: la centra­lisation extrême des activités) entre les mains des services généraux et assimilés ; la variété des fabrications, due en partie à la guerre; la naissance des fabrications de machines­outils par Fentreprise elle-même; la polari­sation du personnel en deux catégories: des ouvriers surqualifiés, les outilleurs et la déqua­lification du reste de la main-d'œuvre, grâce notamment à l'introduction du travail des fem­mes, sur lesquelles le texte insiste longuement.

1 -Mouvement des marchandises. Parcs et magasins

Pour les étrangers qui n'ont pas eu l'occasion de visiter l'usine, et qui la connaissent uniquement par son aspect extérieur, la chose la plus frappante consiste dans le mou­vement considérable de marchandises qui se produit dans tous ses abords (1).

Il Y a, en premier lieu, une gare d'eau composée de trois estacades, munies d'appareils de chargement du dernier modèle et extrêmement perfectionnés.

L'une de ces estacades a été construite uniquement pour l'approche d'une chabotte de 170 t, fondue en Angleterre et amenée aux usines Renault, pour un mouton de forge d'une masse tombante de 10000 kg qui est, sans doute, l'appareil français de ce genre le plus puissant.

Cette chabotte ne pouvait pratiquement être approchée aux usines Renault que par voie d'eau et il s'agissait d'éta­blir un appareil de déchargement susceptible de la retirer du chaland spécial quL avait été affrêté à cet effet.

L'appareil, étudié aux usines Renault, a été construit par elle, par ses propres moyens (2) et conformément à tous les calculs établis; au déchargement des masses qu'il a fallu enlever, l'appareil n'a eu qu'un fléchissement inappréciable.

L'aménagement de cette estacade a constitué une nouvelle ressource de déchargement pour les usines Renault.

Les trois estacades sont, en général, affectées

-deux pour le déchargement des charbons; -la troisième, pour le déchargement des acie'rs et maté­riaux de construction, qui arrivent toûs les jours (3). Le travail total du port représente un, tonnage journalier de : (chiffre non précisé).

En outre, les usines Renault sont desservies par un raccor­dement de chemin de fer, avec la gare de Sèvres-Saint­Cloud (4).

Antérieurement à l'emploi de ce raccordement, le trafic des marchandises se faisait par l'intermédiaire de la gare de Sèvres-Saint-Cloud, de la gare des Moulineaux et par trans­bordement sur des camions automobiles/

Ce trafic, ainsi que le trafic entre le port et les parcs, nécessite un service de 40 camions de 3 à 5 t.

Pour les besoins intérieurs de l'usine, 25 camions légers sont en outre nécessaires, en sorte que le nombre de camions utilisés aux usines Renault atteint 65 unités. Les marchandises ainsi approchées sont réparties sur des parcs, dont les deux plus importants, parc à charbon et parc à gros acier, sont en bordure de Seine.

Au centre des ateliers d'usinage, se trouvent les parcs d'acier à décolleter et les parcs de pièces brutes, destinées à la fabrication.

En outre, dans l'usine, se répartissent des magasins divers, qui servent de régulateur aux différentes opérations de fabrication et sont l'âme du contrôle et de la répartition du travail dans les usines (5).

" -Stations centrales

En bordure de Seine et à proximité des principaux parcs, sont installées les centrales qui sont chargées de donner la vie à l'immense organisation constituée par les usines :

centrale de force motrice;

centrale d'oxygène;

centrale de gazogène;

centrale d'air comprimé;

centrale de distribution d'eau;

centrale de chauffage.

La centrale qui frappe en premier lieu le visiteur est la centrale de force motrice, installée en 1912, d'après les principes les plus modernes de ce genre d'installation (6).

La force électrique générale de l'usine comprend :

10 du courant continu' à 125 V pour 10 000 à 12 000 kW; 20 du courant triphasé à 220 V, tension composée. Fré­quence : 53 -pour 4500 à 4800 kW environ.

La principale centrale dont nous venons de parler est celle qui produit le courant triphasé. Elle comprend une batterie de chaudières de Babcock, dont la vapeur alimente trois turbo-alternateurs de diverses puissances et qui sont utili­sées journellement pour une production de 3500 V environ, le complément de la consommation de l'usine étant pris sur un secteur étranger, par l'intermédiaire d'une sous-station de transformation, placée à un autre point de l'usine.

Ëgalement, dans un point central de l'usine, se trouve la sta­tion centrale de courant continu, alimenté par des chau­dières Larbodière et deux machines à vapeur: une machine à vapeur Lens et une machine à vapeur Dujardin, accouplées à des génératrices Pipper et Thomson-Houston.

(1)

Ce «mouvement oonsidérable» reflète non seulement le bond en avant de l'aotivité des usines. pendant la nuerre. mais enoore le fait Que. malnré des pro.Qrès notables dans oe sens. Renault reste enoore une entreprise peu inténrée. Qui s'approvisionne larnement à l'extérieur.

(2)

C'est de la nuerre de 1914-1918 Que date la fabrioation par les usines Renault d'une partie de leurs propres maohines. BerHet les avait préoédées dans oette voie un peu avant la nuerre.

(3)

Pendant la nuerre. les oharbons utilisés proviennent d'une part d'Annleterre. d'autre part des bassins du Centre et du Midi .. les aoiers. eux, viennent en partioulier de Saint-Étienne et du Creusot. mais auss, d'Annleterre et des États-Unis.

N) Ce raooordement a été ouvert en 1917.

(5)

Formule inspirée par les idées de l'innénieur amérioain F.W. Taylor et sans doute aussi. par oelles de l'ingénieur français H. Fayol.

(6)

L'aunmentation de la puissanoe motrioe de l'us:ne a fait partie d'une série d'initiatives. prises par Louis Renault après son retour des États-Unis. fin avril 1911. pour étendre et moderniser son entreprise. faoe à la ooncurrenoe amérioaine. Il les a réalisées de 1911 à 1913.

Cette sous-station assure l'alimentation de courant continu. Elle était la véritable centrale de force motrice de l'usine Renault, avant l'installation de la centrale triphasée, dont nous avons parlé plus haut.

La centrale d'oxygène a été établie suivant les procédés de la Société de l'Air liquide.

III -Forges et fonderies

Le visiteur est conduit aussitôt dans les ateliers de forge, où il subit l'impression puissante de l'alignement des pres­ses à emboutir, où, dans la lueur des fours, ces presses transforment des lopins massifs en cylindres réguliers, d'où l'usinage fera sortir des obus de types et de destinations divers.

On emboutit, en effet, sur ces presses, les obus explosifs du type français et du type russe, ou des obus à balles (7).

Plus loin, on fait l'emboutissage des obus de gros calibres de 155.

A côté, se forgent, par des procédés divers, d'autres pièces de détail et les ébauches les plus variées dont l'usine aura besoin, pour toutes les pièces d'acier rentrant dans les moteurs d'aviation et les camions. Ce sont les moutons qui estampent et écrasent en projetant des étincelles de toutes parts, ce sont des pilons qui mettent l'acier en forme et le pétrissent comme une pâte malléable, ce sont des presses qui matricent les essieux et les organes de plus grande importance.

Tout à côté des forges sont situées les fonderies diverses, et d'abord, la fonderie d'aluminium en coquille et la fonde­rie d'aluminium au sable (8).

Sous ces deux halls, sont fabriqués les carters et les pièces de moteurs d'aviation, dans lesquelles l'aluminium a rendu de si grands services en permettant des allégements d'organes conSidérables; on y traite aussi de nombreuses pièces, employées dans les camions et tracteurs (9).

Puis vient l'atelier de fonte, où sont traitées les pièces les plus diverses; l'intérêt du visiteur se concentre tout de suite sur le moulage et la coulée des cylindres et culasses de moteurs d'aviation, à ailettes, c'est-à-dire refroidis par circulation d'air (10) ; la construction des moules est un chef­d'œuvre de patience, facilité par la merveilleuse installation des ateliers, le tri, le malaxage et la circulation des sables par procédé automatique, en sorte que le mouleur peut se consacrer entièrement à la perfection de son travail, sans avoir aucun effort ni aucune préoccupation matérielle sus­ceptible de fatiguer son attention (11).

La série des fonderies se termine par la fonderie de bronze, avec ses fours et ses creusets, qui éclairent l'atelier des lueurs vertes et bleues des vapeùrs de cuivre et de zinc, et achèvent l'impression de puissance de toute cette organi­sation consacrée aux pièces brutes.

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IV -Ateliers du bois

Ces ateliers sont entourés des immenses chantiers, Où les bois nécessaires aux consommations diverses des usines Renault attendent en piles, méthodiquement établies, d'avoir franchi les périodes de désévage et séchage, nécessaires à leur bonne utilisation.

Les ateliers comprennent d'abord un atelier de machines à installation moderne, avec aspirateurs de sciure et poussière.

Le matériel est composé de scies, raboteuses, dégauchis­seuses, perceuses, toupilles, etc., en quantité suffisante pour assurer le débit et la transformation d'un tonnage quotidien de : (chiffre non précisé).

Ce tonnage correspond aux besoins des usines pour les carrosseries, les menuiseries et les charpentes, le débit des bois pour les constructions d'avions étant dans un atelier à part.

Les ateliers de bois comprennent ensuite un atelier de menuiserie, un atelier de fabrication de roues avec l'instal­lation d'un battage à froid suivant les principes modernes, l'atelier de carrosserie pour la fabrication des voitures en série et l'atelier de carrosserie pour la fabrication des voi­tures de luxe (12).

L'atelier de construction de série est le premier qui ait été installé en France dans cet ordre d'idées.

Avant la guerre, on y faisait uniquement des voitures découvertes, d'un modèle unique, pour les châssis 11 et 12 HP.

Depuis la guerre, cet atelier a été développé en vue de la fabrication en série de caisses de camions fournis à l'armée.

(7)

Les obus du type TUSse sont destinés au gouvernement russe et lui sont fournis par l'intermédiaire de la filiale. installée depuis 1914. à Petrograd. Roussky Renault.

(8)

La première fonderie d'aluminium a été mstaZZée. dès le début de la guerre. pour permettre la fabrication des carters d'aviation. C'est un bon exemple des progrès de l'intégration de l'entreprise. au cours de la guerre.

(9)

Renault produit des camions depuis 1906. et a commencé à fabri­quer des tracteurs au début de 1914.

(10)

Depuis leurs débuts (1907) les moteurs d'avions Renault sont tous refroidis par air. Renault en a sorti environ 14000 durant la guerre. soit moins qu'Hispano-Buiza et Gnôme et Rhône.

(11)

Dès cette époque. les fabrications pour l'aviation utilisent une proportion de travail qualifié supérieure à celle que requiert l'industrie automobile. La fonderie de fonte. dont il est ici qUe8­tion. a été. eZZe aus8i. établie aprè8 le début de la guerre.

(12)

Louis Renault a doté 8es usines d'installations de carrosserie de luxe en 1910-1911 et de série. à partir de l'été 1912. C'est un des moments importants de sa politique d'intégration.

L'atelier de carrosserie de luxe fabrique des voitures sui­vant la demande et les goûts de la clientèle et dans les formes les plus variées, avec un soin et un fini poussés jusqu'à la plus grande perfection (13).

v -Ateliers d'usinage mécanique

Le visiteur passe ensuite dans les ateliers consacrés à l'usinage. Il parcourt successivement l'atelier des machines où sont traitées les pièces de moteurs d'aviation, et dans lequel sont réunis les tours, les machines à fraiser, les machines à rectifier les plus complexes et les plus perfec­tionnées de l'usine (14).

Puis il passe aux ateliers de montage des moteurs, dans lesquels il est forcément impressionné par la minutie et le soin apportés à l'ajustage de tous les organes.

Les magasins divers, appliqués aux pièces en cours de fabrication, donnent au passage l'impression de l'organisa­tion puissante, qui doit forcément présider à l'usinage d'une quantité de pièces si variées et qui est la condition indis­pensable de la précision demandée dans un tel genre de fabrication.

On accède au principal atelier de fabrication par un long vestibule souterrain, aménagé en vestiaires et lavabos pour les ouvriers et dont la perspective et la multiplicité des armoires donnent une idée de l'importance du personnel aux besoins duquel il faut pourvoir. Et puis, tout de suite, ce sont les tours qui mettent la cote pour les ébauches d'obus que nous avons abandonnées aux ateliers de forge et les préparent pour l'opération d'ogivage, effectuée sur des presses à forger qui sont à proximité de l'atelier. Puis les obus sont filetés, mis à la forme extérieure, et passent aux diverses épreuves exigées par les tables de construc­tion et qui s'effectuent sous la surveillance du contrôle militaire (15).

Pour les uns, ce sont les épreuves de pression hydraulique, pour d'autres, des épreuves de poinçonnage et un à un, toute la production de l'usine, qui atteint plus de 10000 obus par jour, défile et se dirige vers les tables de vérification, où les obus sont mensurés sur toutes leurs faces et soumis à une suite régulière de contrôles, puis des piles impres­sionnantes sont constituées pour s'en aller, une à une, suivant les destinations dont elles sont l'objet (16).

Des obus à balles sont préalablement garnis de leurs éléments et emplis de balles, à l'aide de mécanismes ingé­nieux, qui permettent d'utiliser le concours presque exclusif de la main-d'œuvre féminine (17).

Ils sont ensuite garnis de résine, montés, ajustés et peints de couleur orange ou violette.

Au premier étage, d'autres ateliers sont consacrés à la fabrication de gaines relais destinées aux obus explosifs, composées de corps, têtes et bouchons, dont l'usine assure une production de 5000 séries par jour (18).

A côté, sont les fusées détonateurs type Schneider (19) ou type 1A.

Ces fusées, composées de 10 à 12 éléments, sont livrées journellement par séries complètes de plus de 8000.

C'est ici que le concours des femmes a pu être utilisé.de la façon la plus complète.

Il est curieux de voir l'activité des machines automatiques qui s'agitent avec une activité fébrile dans leur hâte, par des personnes qui n'ont qu'un léger levier à manœuvrer et dont le rôle se borne à prévoir si la moindre anomalie se produit dans le fonctionnement de la machine (20).

D'autres femmes font de multiples petites opérations de perçage, ébarbage et l'on voit notamment tout un groupe occupé à limer les bavures de minuscules segments de fusées, qui sont soigneusement vérifiés sous toutes leurs faces et dont il passe entre leurs mains plus de 32000 exemplaires par jour.

Puis, après le nettoyage et le magasinage, commencent les travaux de vérification entièrement faits, également, par des femmes.

Ici apparaît l'ingéniosité d'une multitude de petits appareils qui prennent, enserrent certaines pièces de toutes parts et, par des aiguilles ingénieusement disposées, indiquent les multiples cotes dont il faut assurer la vérification. D'autres appareils consistent, au contraire, en plaques sur lesquelles sont des rainures dont l'écartement est calculé de façon à admettre les cotes bonnes et refuser les mauvaises; un doigt rapide fait suivre à la pièce le cheminement nécessité par les vérifications variées et la conduit jusqu'à l'issue réservée aux seules pièces qui remplissent les conditions voulues.

(13)

La carrosserie de luxe reste donc un terrain ,d'élection pour le travail très qualifié.

(14)

Une partie de ces machines ont été achetées aux États-Unis.

(15)

Des contrôleurs militaires ont été mis en vlace dans les usines d'armement. par le ministère de la Guerre. à partir de 1915.

(16)

La production d'obus de Renault est cependant inférieure à celle réalisée par Citroën, dans son usine du quai de Javel, créée en

1915.

(17)

L'expression mécanismes ingénieux suggère que cette main­d'œuvre féminine est très peu qualifiée. Pour l'ensemble des fabrications d'obus, en 1916, 38 % du personnel étaient odes femmes.

(18)

Alors qu'aux États-Unis, depuis 1913-1914, la tendance est à la construction d'usines à étage unique, les bâtiments des usines européennes continuent à avoir plusieurs étages.

(19)

Il s'agit d'un modèle mis au point par les usines Schneider du Creusot. Renault en a beaucoup exporté en Russie.

(20)

Les «machines automatiques» sont le troisième grand stade de l'évolution de la machine-outil, après les machines universelles et les machines spécialisées. Le texte fait donc le lien, très nette­ment, entre l'automation et la déqualification du personnel, réa­lisée ici à coup d'emplois féminins.

Et l'on s'attarde, sans fin, à l'étude de ces appareils dont la minutie et l'ingéniosité captivent même les moins préve­nus.

Des ateliers speciaux fonctionnent d'après les mêmes principes existants pour chaque genre de fabrication : fusée détonateur, fusée instantanée allongée, éléments de gaines, pièces de fusils.

En suivant, en effet, on voit d'autres femmes qui travaillent à la fabrication de certaines pièces de fusils : ressorts, percuteurs, poignées d'épées baïonnettés. Puis on passe dans un atelier où la même fabrication se poursuit pour des pièces de fusils plus complexes, principalement le pontet : c'est alors la fabrication de précision dans son application la plus stricte.

On est frappé par la succession de machines effleurant successivement la pièce qui, finalement, sort avec tous les contours multiples et complexes qu'il a fallu lui donner et les dimensions qui lui permettent de subir avec succès des vérificationsd'emboitement et de brochage, dont les diffi­cultés laissent le visiteur rêveur sur les calculs innombrables qu'il a fallu faire pour arriver à franchir des difficultés si nombreuses.

VI -Ateliers de montage

En quittant les ateliers d'usinage et même souvent intercalés parmi des ateliers, on rencontre les magasins et les halls cons.acrés au montage (21).

Un atelier spécial procède au montage des moteurs, où sont employés d'excellents ajusteurs professionnels.

Un autre atelier est spécialisé dans le montage des boites de vitesses et des essieux arrière, puis on arrive au hall de montage des châssis, dans lequel tous les organes arrivent entièrement terminés : moteurs, boites de vitesses, essieux arrière et même les assemblages de direction et autres organes de détail.

Le montàge des châssis se fait d'après l'application des principes du travail en série (22).

L'atelier est sillonné transversalement de voies, composées de rails doubles, sur lesquels se déplacent de petits chariots à petites roues métalliques. Ces chariots se déplacent parallèlement.

Les équipes d'ouvriers, en effet, sont spécialisées : par exemple, une équipe montera les directions, l'équipe sui­vante les radiateurs, une autre le moteur, une autre la boite de vitesses, etc.

A chaque opération nouvelle, les différents chariots qui supportent chacun un châssis sont avancés parallèlement, de sorte qu'un chariot qui part à vide au commencement de l'atelier arrive avec un châssis monté à l'autre extrémité.

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A l'heure actuelle s'exécutent dans l'atelier de montage la fabrication des gaines, la vérification des shrapnells, le chargement, la peinture et l'expédition des obus à balles.

L'atelier de montage des camions est établi d'après les mêmes principes, qui leur permettent de fonctionner avec une régularité et un calme surprenants, étant donné l'im­portance de la production.

Dans une autre partie du même hall, sont montés les trac­teurs à quatre roues motrices et les tracteurs caterpillars.

VII -Atelier d'essais et de réparations

Quels que soient le soin et la méthode apportés à une fabrication, il est indispensable qu'avant la fourniture des matériels, ceux-ci soient l'objet d'essais minutieux et d'épreuves, qui permettent de contrôler que les résultats correspondent aux prévisions qui ont été faites.

Celui de .ces ateliers qui frappe le plus le visiteur est l'atelier d'essai de moteurs d'aviation.

Chaque moteur est soumis à un essai de résistance d'une durée de quatre heures, après lequel il est procédé dans un atelier annexe au démontage et à l'examen de toutes les pièces, puis au remontage et à un essai définitif de contrôle.

La production journalière est de 10 à 12 moteurs et les moteurs réparés sont également essayés dans le même atelier. Il est rare que sur les quinze bancs, une dizaine ne soit pas en même temps en fonctionnement et le crépite­ment simultané de tous ces moteurs fait vivre ce coin d'usine dans un état de trépidation et d'assourdissement, qui surprend et édifie sur l'endurance des hommes auxquels ce travail peut être confié.

Les essais des voitures automobiles et des camions sont préparés dans un hall qui est à proximité du hall d'essai des moteurs d'aviation.

Le châssis préparé est amené sur la route où il doit effec­tuer un itinéraire déterminé, et, au retour, son parcours fait l'objet d'un ,rapport minutieux sur la consommation faite et les divers incidents de route et il est porté remède à tous les points qui sont signalés comme devant être améliorés.

(21)

Le terme «intercalés» est significatif de la croissance sans plan

, préétabli des usines. C'est aux États-Unis. après 1900. Que s'est développée une conception rationnelle du plan des usines.

(22)

Renault est un des premiers constructeurs francais à avoir intro­duit le travail à la chaîne. mis au point aux usines Ford de Detroit. en 1913.

VIII -Atelier d'outillage central

L'outillage central est l'atelier qui fabrique les outils cou­rants, spéciaux, les montages, les équipements, soit, en un mot, l'outillage destiné à toute l'usine (23).

Par ce seul fait, il en est l'âme, car il n'y aurait pas de fabrication possible sans un outillage approprié et renouvelé sans cesse, répondant aux besoins multiples et variés des diverses fabrications (obus, canons, fusils, châssis, camions, tracteurs, moteurs d'aviation, avions, etc.).

L'atelier couvre une superficie d'environ 7 000 mètres carrés et occupe un personnel d'environ 1 000 ouvriers, dont 600 à 650 le jour et le reste la nuit (24).

On peut dire de l'outillage central que c'est une usine complète se suffisant par elle-même et comprenant à peu près tous les corps de métiers de l'industrie mécanique.

On y compte, en effet, plusieurs centaines d'ajusteurs, tourneurs, fraiseurs, raboteurs, rectifieurs, affûteurs, for­gerons, frappeurs, mortaiseurs, trempeurs, marqueurs, véri­ficateurs, femmes sur machines, etc.

La plupart des ouvriers sont des spécialistes ou ouvriers de choix et, sans les circonstances actuelles, on ne rencon­trerait, dans cet atelier, exclusivement que des spécialistes­

outilleurs (25).

Actuellement, on a dû utiliser, par manque de ce personnel de profession, beaucoup de manœuvres et plus d'une cen­taine de femmes qui, conduits par des monteurs et régleurs, fournissent d'ailleurs des résultats assez satisfaisants.

L'atelier n'est exclusivement composé que de machines de choix de la plus haute précision, généralement de prove­nance américaine. Un certain nombre de machines et dispo­sitifs spéciaux ont été construits par l'atelier lui-même, pour répondre à ses propres besoins (26).

Il existe, au premier étage, un atelier de preCISion, specia­lement destiné à la fabrication des calibres, tampons, bagues, et tous instruments de précision et de vérification, demandant des soins particuliers infinis et une justesse au millième.

Des appareils de mesure speciaux se trouvent renfermés dans cet atelier, qui permettent d'exécuter des travaux de la plus haute précision.

Une salle de trempe se trouve aussi annexée, qui permet non seulement de faire des essais de trempe intéressants, mais aussi de tremper tout le petit outillage que l'atelier fabrique.

Ce qui frappe particulièrement, à l'outillage central, c'est la diversité des commandes. Chaque jour, cet atelier reçoit des divers services de l'usine plusieurs centaines de commandes représentant plusieurs milliers de pièces.

Ainsi, une statistique récente indique que cet atelier d'outil­lage central livre approximativement, chaque jour, quelque 3500 à 4000 pièces, rentrant généralement dans les caté­gories suivantes :

-outils ......................... . 600 à 800 pièces; -lames de forme, grains, etc. . .... . 600 pièces; -fraises diverses ............... . 500 piè,ces ; -alésoirs, mèches, forets, demi-

rondes ....................... . 350 pièces; -calibres, bagues, tampons, instru­

ments de précision et vérification .. 100 pièces; -filières, tarauds ................ 100 pièces; -Divers ........................ environ 1 500 pièces.

Nous ne connaissons pas, dans notre pays, de fabrique d'outillage aussi importante.

Cet atelier ne pourrait être égalé que par une puissante société d'outillage, qui brasserait quelque 15 à 20 millions d'affaires par an, chose que nous ne connaissons pas et, cependant, l'atelier d'outillage central ne répond encore que difficilement aux besoins toujours croissants des fabrications incessamment nouvelles de l'usine ...

La direction de l'outillage central reçoit donc les commandes et après les avoir examinées, analysées, les fait établir d'une façon très détaillée, les répartit dans ses divers services administratifs de montage, d'outils coupants, de réparation, de précision, chargé du lancement et du gra­phiquage des travaux, etc.

Grâce aux systèmes existants, on connait donc, à tout moment, la position exacte de toutes pièces en fabrication ou en circulation dans l'atelier.

Malgré la diversité des travaux, les ouvriers et ouvrières travaillent généralement aux pièces (27).

Un service spécial, dit «service des agents d'outil/age» a été créé, en vue d'assurer la liaison entre les différents ateliers clients et l'outillage central. Ces techniciens sont,

(23)

L'A.O.C. a été créé vers 1909.

(24)

Proportion conforme à celle de l'ensemble des usines pendant la guerre : 213 des effectifs forment les équipes de .iour. 113 les équipes de nuit.

(25)

Le passage au travail en série entraîne. en effet. l'accroissement du pourcentage d'outilleurs parmi les ouvriers professionnels. même si la proportion globale d'O.P. au 8ein de la main-d'œuvre tend à diminuer.

(26)

Malgré les efforts du marquis de Dion. la France a été incapable de développer une grande industrie de la machine-outil. Les machines américaines sont généralement chère8 et ne répondent pas à tous les besoins des constructeurs francais.

(27)

Avant la guerre, les outilleurs et les monteurs étaient payés au temps. non à la production (E. RicM. «La situation de8 ouvriers dans l'industrie automobile », Paris, 1909. P. 40). La généralisation du travail aux pièces est donc récente.

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en quelque sorte, des représentants ou agents commer­ciaux, constamment en circulation dans les ateliers et ayant pour mission d'analyser les urgences, d'activer les pièces pressées, de se rendre compte des besoins et de certaines mises au point.

Le connaisseur trouvera à l'outillage central plusieurs machines intéressantes, que l'on rencontre assez rarement dans les ateliers ordinaires; machines à détalonner, machi­nes spéciales à affûter les outils standardisés (selon les principes du grand ingénieur américain Taylor) (28), dispo­sitifs à rectifier les pointes de tour, dispositifs à faire auto­matiquement les entrées de filières, dispositifs à détalonner automatiquement les forets à centrer, machines automa­tiques à affûter les forets hélicoïdaux, etc.

L'outillage central, tant pour ses besoins que pour les besoins de l'usine en général, est pourvu de plusieurs magasins:

Le magasin central d'outillage est un dépôt d'outillage neuf, tel que limes, alésoirs, forets, tarauds, meules, etc. Il ren­ferme aussi un stock précieux d'aciers spéciaux d'outillage, aciers rapides et autres, représentant une valeur impor­tante. Ainsi, dans un seul coin de ce magasin, sur un espace de quelque 50 mètres carrés seulement, on peut voir un stock d'aciers rapides, représentant peut-être 1 500000 à 2 000000 F.

Le magasin de l'outillage central a pour but de distribuer aux ouvriers tout l'outillage courant: pièces de vérification, calibres, instruments de mesure et de précision, dont ils ont besoin pour l'usinage des pièces en cours de fabrication.

On peut voir dans ce magasin une très belle collection de tampons filetés, cylindriques et autres, évalués à quelques centaines de mille francs.

Le magasin stock d'outils centralise tous les outils courants standardisés, et maintient un stock aussi constant que pos­sible, pour permettre l'affûtage et le renouvellement des milliers d'outils en usage dans l'usine.

Ce magasin doit posséder un stock permanent très impor­tant d'outils neufs qui, en cas de manque d'acier ou autre accident, pourrait suffire à répondre, pendant plusieurs semaines, aux besoins énormes de l'usine.

Tous ces outils sont établis rigoureusement à des formes et à des angles déterminés selon les principes de Taylor (29).

Le magasin vérification reçoit les pièces brutes venant des forges, fonderies, aciéries, etc., les catalogue, les numé­rote, les vérifie, les lance à la fabrication, les classe à nouveau, etc. selon un processus déterminé, et selon les instructions et ordres des· services administratifs.

Il existe aussi, dans un bâtiment VOISin, des magasins annexes qui ont été provisoirement disposés en dehors, par suite du manque de place.

D'après ces quelques données générales, on voit l'impor­tance de l'outillage central dans l'usine.

QuOi qu'il en soit, et malgré sa production toujours crois­sante, due aux effolts incessants de ses dirigeants, cet atelier risque bientôt de ne plus suffire aux besoins toujours grandissants d'une usine énorme, dont le développement est sans précédent, et qui, par son allure intensive, est forcé­ment un fantastique gouffre d'outillage.

Aussi est-il probable que cet atelier sera assez prochai­nement transféré ou agrandi, sous la forme de quelque bâtiment à étages du type le plus moderne ...

IX -Atelier d'artillerie

Cet atelier, qui est absolument nouveau et a été étudié pour permettre à la maison Renault d'assurer le concours qui lui avait été demandé dans les fabrications de matériel dE! 155 G.P.F., est constitué par une immense travée cen­trale, sur laquelle se ramifient, de part et d'autre, 7 travées latérales, aména·gées avec tous les perfectionnements nécessaires pour ces importantes fabrications (30).

Chaque travée est pourvue d'un pont roulant et des appa­reils de levage nécessaires à faciliter les manutentions et à utiliser, dans les meilleures conditions, la main-d'œuvre spéciale qui est affectée à ces fabrications.

X -Ateliers d'avions

Ces ateliers occupent un terrain qui est quelque peu dis­tant du surplus des usines (31).

Le caractère même de leur construction est parfaitement approprié aux fabrications qu'ils sont destinés à abriter.

Les formes légères sont étudiées de façon à comporter le minimum d'assises et de piliers possibles, pour que les appareils fabriqués puissent être élevés sous un espace

(28)

Les machines ins'Pirées des travaux de Taulor ont été introduites chez Renault par l'innénieur G. de Ram. à 'Partir de 1907-1908. Louis Renault a rencontré Taulor aux :États-Unis. en avril 1911 et s'est constamment réclamé des idées de celui-ci. de'Puis lors. Voir 'Par exemple. ce qu'il dit de la standardisation dans sa note du 30 août 1918. re'Produite dans «l'Histoire des Usines Renault ». O'P. cit.. P. 317.

(29)

Les nouvelles formes d'outils 'Préconisées 'Par Taylor avaient particulièrement intéressé G. de Ram : voir son article : «Quel­ques notes sur un essai d'a'P'Plication du système Taulor. dans un nrand atelier de mécanique français ». «Revue de Métallurnie ». se'Ptembre 1909. 'P. 929-933.

(30)

Cet atelier a été créé en 1916. C'est encore un élément de Z'inté­.Qration à laquelle pousse la nuerre.

(31)

Il s'anit de l'usine O. quai du Point du Jour. commencée en 1913 et com'Plétée en 1917. Voir l'article de Geornes Desquaires. «L'usine 0 ». «De Renault frères à Renault Rén1e Nationale ». décembre 1972. P. 165-175.

étendu et dont la clarté et la propreté soient parfaitement en rapport avec le travail soigné et minutieux qu'une fabrication de ce genre nécessite (32).

XI -Services généraux

Après avoir procédé à la visite de tous les ateliers qui composent l'immense organisme constitué par une telle usine, une curiosité vient nécessairement à l'esprit, qui consiste à savoir comment le cerveau d'un organe aussi complexe arrive à donner une impulsion uniforme à tous les divers services qu'il a sous ses ordres, et quels peuvent être les moyens employés pour l'ordonnancement du travail aussi varié, aussi complexe et aussi considérable.

Il est, par conséquent, intéressant, en premier chef, de parcourir les immenses bureaux qui comportent le service central de la maison.

Ces bureaux occupent deux immenses bâtiments construits à plusieurs étages, dans lesquels sont centralisés tous les services d'ordre administratif, M. Renault ayant adopté pour principe que les ateliers doivent être exclusivement consacrés au travail et qu'il est indispensable de dégager les contremaîtres et chefs d'atelier de tout travail de bureau, susceptible de les distraire de la préoccupation unique qu'il y a lieu de leur laisser (33).

Au centre de ces bureaux se trouve la direction propre­ment dite de l'usine, avec les services de comptabilité, le service de construction et d'entretien.

Puis, suivant une organisation parfaitement méthodique, un bureau d'études où de nombreux dessinateurs conçoivent et détaillent les nouvelles fabrications à entreprendre, ainsi que les outillages et adaptations nécessaires à leur mise à exécution.

Ce bureau d'études est chargé d'établir tous les éléments d'une fabrication et les documents qui serviront de base au travail des services qui doivent suivre.

Le service d'approvisionnement est ainsi mis en mouvement pour réunir la matière première, nécessaire à l'alimentation des ateliers et bureaux centraux d'outillage, détailler le travail et le subdiviser, en suivant les opérations entre les divers ateliers qui doivent les exécuter, indiquer les époques auxquelles chaque opération doit passer, de façon à coor­donner l'ensemble des travaux de l'atelier et à faire aboutir chaque pièce au moment opportun, pour concourir au montage de l'ensemble auquel elles appartiennent (84).

Un bureau d'établissement de prix étudie parallèlement la technique même de l'opération, ainsi que le temps néces­saire à cette opération et détermine ainsi la durée du travail, en fixant en même temps les prix qui serviront de base aux payes de l'ouvrier.

L'ensemble des services généraux de l'usine est complété par un service du personnel, chargé de l'embauchage des ouvriers et de la réglementation du travail (35).

Accessoirement à ce service, il y a lieu de citer l'organisa­tion du livret individuel ouvrier, qui est tout spécial aux usines Renault et permet de suivre les efforts faits par chacun et les soins apportés aux outillages confiés à l'ouvrier, pour l'exécution des fabrications (36).

Ce livret, reconstituant à chacun le dossier de ses mérites, supplée avantageusement à l'impossibilité pratique où le patron se trouve de sanctionner, par des moyens pécu­niaires, les préjudices que peuvent lui causer la malveillance ou la mauvaise volonté de certains (37).

Enfin, l'organisation générale de l'usine est complétée au point de vue fabrication, par un laboratoire, où les métaux employés sont étudiés suivant tous les procédés. dégagés par la science moderne (38).

(32)

Nouvelle indication de la forte proportion d'O.P. nécessaire aux fabrications d'aviation.

(33)

Ces bdtiment8 ont été construit8 en 1912. Leur ordonnancement peut avoir été in8piré par les usines Ford, Que Loui8 Renault avait vi8itées, en avril 1911,

(34)

Ornanisation conforme aux nrande8 linne8 du taulorisme,

(35)

Le service du personnel est apparu pendant la nuerre, Aupara­vant, le comptable de l'usine, Desmurs, faisait office de chef du per80nnel, «La rénlementation» fait référence aux nombreux textes sur le travail Que l'État a promulnués, au cour8 de la nuerre,

(36)

Sur le livret ouvrier, voir G, Hatru, «Renault usine de nuerre », oP. cit.. P. 171-He,

(37)

Allusion aux pratiaues de freinane, Qui se développent alors, face à l'accélération des cadences.

(38)

Le laboratoire de8 usine8 Renault a été créé en 1904, 5 ans après celUi de8 usines de Dion. La nuerre lui a permis de beaucoup se développer. Voir l'article d'André Cadilhac. «Le laboratoire central », «De Renault frères à Renault Rénie Nationale », décembre 1976, P. e58-e64.