« J'ai souvent touché le fond, sauf qu'à chaque tasse bue, je remonte plus vite qu'une torpille. »
Il est des auteurs qui écrivent avec leur encre, et d’autres avec leur âme. Yasmina Khadra appartient à cette seconde catégorie. Son dernier roman, Cœur-d’amande, s’impose non seulement comme une fresque intime, mais aussi comme une ode à la résilience, à la capacité d’un être brisé à s’élever au-dessus de son propre naufrage.
Mohammed Moulessehoul, alias Yasmina Khadra, n’est plus à présenter. Ancien officier de l’armée algérienne, il troque en l’an 2000 son uniforme pour la plume, livrant à la littérature mondiale des romans d’une intensité brûlante. Il est l’un des écrivains contemporains les plus traduits et les plus lus, un bâtisseur de ponts entre Orient et Occident, un explorateur des âmes en lutte. Cœur-d’amande s’inscrit dans cette quête : un livre où la douleur devient le socle d’une renaissance, où l’humour caustique flirte avec une lucidité désarmante.
Le protagoniste, rejeté dès son plus jeune âge pour son « anormalité physique », fait de la vie un défi perpétuel. Son combat n’est pas une lamentation, mais une déclaration d’amour à l’existence, un bras d’honneur à la fatalité. Rien ne l’arrête : ni le mépris maternel, ni les écueils sociaux, ni les contraintes corporelles. Il avance, béquilles ou non, en randonneur obstiné, trouvant dans le rire une arme redoutable et dans l’auto-dérision un art de survivre.
Ce qui frappe dans Cœur-d’amande, c’est la magie du verbe khadrien. Yasmina Khadra ne se contente pas de raconter une histoire, il la fait vivre avec une prose charnelle, vibrante, d’une musicalité envoûtante. Les phrases claquent comme des uppercuts, puis s’étirent en envolées lyriques où chaque mot semble pesé à l’or fin. Il y a du gouailleur dans son style, une gouaille tendre, celle des conteurs d’antan qui savaient mêler le tragique au comique, l’amertume à la tendresse.
Peut-on transformer le rejet en force ? Peut-on danser malgré les chaînes ? Yasmina Khadra répond par une littérature de l’élan vital, une prose qui ne plie pas, une écriture qui redresse ceux que la vie courbe.
Ainsi se referme ce roman, comme une mer qui jamais ne cesse de gronder, où le lecteur n’échoue pas, mais apprend à nager. Et, en guise d’adieu, un murmure, un écho, une strophe :
Sous le poids des silences et des rires brisés,
Il avance sans plainte, un cœur cabossé.
Même fendu, l’amande en son sein garde,
Un goût d’espoir, une flamme hagarde.
Pierre Bahgat