13e poème : Jésus est descendu de la Croix
Ici la Passion prend fin et la Compassion continue.
Le Christ n'est plus sur la Croix, il est avec Marie qui l'a reçu: Comme elle l'accepta, promis, elle le reçoit, consommé.
Le Christ qui a souffert aux yeux de tous de nouveau au sein de sa Mère est caché.
L'Église entre ses bras à jamais prend charge de son bien-aimé.
Ce qui est de Dieu, et ce qui est de la Mère, et ce que l'homme a fait, Tout cela sous son manteau est avec elle à jamais.
Elle l'a pris, elle voit, elle touche, elle prie, elle pleure, elle admire; Elle est le suaire et l'onguent, elle est le sépulture et la myrrhe, Elle est le prêtre et l'autel et le vase et le Cénacle.
Ici finit la Croix et commence le Tabernacle.
Introduction :
Le treizième poème de Chemin de la Croix de Paul Claudel, intitulé "Jésus est descendu de la Croix", marque un tournant dans la narration de la Passion. Après la souffrance de la Croix, la scène se transforme en un moment de tendresse et de réconfort, où Jésus est pris dans les bras de sa Mère, Marie. Ce poème, empreint de la dimension mystique du christianisme, met en lumière la continuité de l'œuvre divine après la crucifixion, marquée par la Compassion. Nous analyserons ce poème sous trois angles : la symbolique du corps du Christ descendu de la Croix, la figure de Marie dans ce moment d’intimité et de transition, et l’ouverture vers la dimension spirituelle de l’Église.
1. La symbolique du corps du Christ : de la souffrance à la paix
Le poème commence par un constat simple mais essentiel : "Ici la Passion prend fin et la Compassion continue." Claudel marque ainsi la transition entre la souffrance manifeste du Christ sur la Croix et le passage vers un autre type de relation, plus intime, entre le Christ et l'humanité. Le corps de Jésus, qui a été exposé à la douleur et à la mort, est désormais descendu de la Croix, et il entre dans une autre forme de présence, cachée, presque sacrée. Il est maintenant dans les bras de Marie : "Le Christ n'est plus sur la Croix, il est avec Marie qui l'a reçu." Ce passage de la souffrance à la paix est symbolisé par ce mouvement où Jésus, retiré du spectacle de la crucifixion, devient une figure discrète et intime, repliée dans le sein de sa Mère.
Le Christ "consommé", "accepté" et "reçu" par Marie devient un symbole de réconciliation et de tendresse. La souffrance est derrière lui, mais la Compassion, cette capacité de se faire proche, de consoler, se déploie. Cette scène évoque aussi l’accomplissement d’un cycle, où le corps du Christ est à la fois réclamé par l’humanité souffrante et emporté dans un silence réparateur. Le Christ, qui a souffert aux yeux de tous, est désormais "caché" et "enveloppé" dans la maternité divine, et ce geste souligne la transition du Calvaire vers le mystère de la rédemption, où la souffrance physique laisse place à la consolation spirituelle.
2. Marie, figure centrale de la Compassion : Mère et Église
Marie joue ici un rôle central et unique. Elle n’est plus seulement la mère du Christ, mais elle devient la figure de l’Église, qui accueille son Seigneur dans un acte de compassion sans fin. Le poème souligne la totale union de Marie et du Christ : "Ce qui est de Dieu, et ce qui est de la Mère, et ce que l’homme a fait, Tout cela sous son manteau est avec elle à jamais." Ce manteau devient une image forte, une protection et une couverture, symbolisant à la fois la maternité et la garde spirituelle. Marie, en acceptant son fils dans ses bras, prend la responsabilité de l’humanité tout entière et devient la figure maternelle de l’Église, portant en elle à la fois la divinité et l’humanité du Christ.
Le poème attribue à Marie des rôles spirituels multiples : "Elle est le suaire et l'onguent, elle est le sépulture et la myrrhe, Elle est le prêtre et l'autel et le vase et le Cénacle." Ces multiples images renvoient à différents aspects du christianisme, allant du rite funéraire (le suaire, la myrrhe) au sacré de l’Eucharistie (l'autel, le prêtre). En elle, Marie devient l’archétype de l’Église qui accueille, qui enseigne, qui sanctifie, et qui nourrit spirituellement. Elle est aussi le "Tabernacle", le lieu sacré où réside la présence du Christ.
3. La fin de la Croix et l’ouverture vers le Tabernacle
La fin du poème marque un changement de registre. Là où la Croix représentait la souffrance et la mort, le Tabernacle devient désormais le lieu de la présence continue du Christ dans le monde. "Ici finit la Croix et commence le Tabernacle" est un vers fort qui exprime le passage de la mort à la vie, de la souffrance à la gloire. Claudel, à travers cette transition, invite le lecteur à comprendre que la Croix n’est pas un acte isolé, mais qu’elle trouve sa continuité dans la communion spirituelle et le sacrement. La Croix se termine dans le Corps du Christ qui, bien qu’il soit mort, continue de vivre dans l’Église et dans le sacrement de l’Eucharistie, qui est représenté par le Tabernacle.
Le Tabernacle, en tant que lieu de l'adoration eucharistique, devient ainsi la continuité de la Passion dans la vie chrétienne, un espace où Dieu, bien que caché, reste présent à tous, et où chaque croyant est invité à participer à ce mystère.
Conclusion :
Dans Jésus est descendu de la Croix, Paul Claudel nous conduit dans une réflexion mystique où la Passion trouve son accomplissement dans l’acte de Compassion. En mettant l’accent sur la relation intime entre Marie et Jésus, le poème dévoile l’unité de l’humanité et de la divinité du Christ, tout en suggérant une continuité spirituelle qui dépasse la souffrance de la Croix. Ce poème souligne la maternité de Marie, mais aussi la transformation du Christ en présence vivante dans l’Église à travers le Tabernacle. Il invite à comprendre que la fin de la souffrance n’est pas la fin de l’œuvre divine, mais le commencement d’une nouvelle manière de vivre la rédemption.