Panurge était de stature moyenne, ni trop grand, ni trop petit, et avait le nez un peu aquilin, fait à manche de rasoir, et pour lors était de l’âge de trente et cinq ans ou environ, fin à dorer comme une dague de plomb, bien galant homme de sa personne, sinon qu’il était quelque peu paillard et sujet de nature à une maladie qu’on appelait en ce temps-là : « Faute d’argent, c’est douleur sans pareille » (toutefois il avait soixante et trois manières d’en trouver toujours à son besoin, dont la plus honorable et la plus commune était par façon de larcin furtivement fait), malfaisant, pipeur, buveur, batteur de pavés, ribleur[1] s’il en était en Paris, au demeurant, le meilleur fils du monde, et toujours machinait quelque chose contre les sergents et contre le guet.
À l’une fois, il assemblait trois ou quatre bons rustres, les faisait boire comme Templiers sur le soir, après les menait au-dessous de Sainte-Geneviève ou auprès du Collège de Navarre et à l’heure que le guet montait par là (ce qu’il connaissait en mettant son épée sur le pavé et l’oreille auprès, et lorsqu’il oyait son épée branler, c’était signe infaillible que le guet était près), à l’heure donc, lui et ses compagnons prenaient un tombereau et lui baillaient le branle, le ruant de grande force contre la vallée, et ainsi mettaient tout le pauvre guet par terre comme porcs, puis fuyaient de l’autre côté, car en moins de deux jours il sut toutes les rues, ruelles et traverses de Paris comme son Deus det.
Item, il avait une autre poche pleine d’alun de plume dont il jetait dedans le dos des femmes qu’il voyait les plus acrêtées[16] et les faisait dépouiller devant tout le monde, les autres danser comme jau[17] sur braise ou bille sur tambour, les autres courir les rues et lui après courait, et à celles qui se dépouillaient il mettait sa cape sur le dos, comme homme courtois et gracieux.
Item, en une autre il avait une petite guedoufle[18] pleine de vieille huile, et quand il trouvait ou femme ou homme qui eût quelque belle robe, il leur engraissait et gâtait tous les plus beaux endroits, sous le semblant de les toucher et dire : « Voici de bon drap, voici bon satin, bon taffetas, madame ; Dieu vous donne ce que votre noble cœur désire : vous avez robe neuve, nouvel ami ; Dieu vous y maintienne ! »
En l’autre, tout plein de petits gobelets dont il jouait fort artificiellement, car il avait les doigts faits à la main comme Minerve ou Arachné, et avait autrefois crié le thériacle[24], et quand il changeait un teston ou quelque autre pièce, le changeur eût été plus fin que maître Mouche si Panurge n’eût fait évanouir à chacune fois cinq ou six grands blancs, visiblement, apertement, manifestement, sans faire lésion ni blessure aucune, dont le changeur n’en eût senti que le vent.
Description de Panurge : Panurge est un homme de taille moyenne, ni trop grand ni trop petit. Son nez est un peu en forme de crochet, comme un manche de rasoir. Il a environ 35 ans et est bien fait de sa personne, charmant et élégant. Cependant, il a quelques défauts : il aime beaucoup les plaisanteries vulgaires et il souffre d'une "maladie" qu’on appelle « la faute d’argent » (c'est-à-dire qu'il est toujours dans le besoin d'argent, mais il trouve toujours des moyens pour en obtenir, même de façon malhonnête). Il est également un peu malhonnête, il trompe les gens, il aime boire, se battre et faire des blagues, mais malgré tout, c'est un "bon fils" et il est toujours en train de préparer des mauvais tours contre les sergents (les policiers) et le guet (les gardes de la ville).
Un mauvais coup contre le guet : Panurge rassemble quelques hommes peu recommandables, les fait boire beaucoup, puis les conduit à un endroit de la ville où les gardes passent. Il a un moyen spécial pour savoir quand ils approchent : il pose son épée sur le pavé et écoute le bruit. Quand il entend son épée bouger, il sait que les gardes sont proches. À ce moment-là, Panurge et ses compagnons attaquent les gardes de manière violente, les renversent, les mettent à terre comme des cochons, puis ils s'enfuient rapidement. Panurge connaît si bien les rues de Paris qu'en seulement deux jours, il sait comment s'y déplacer sans problème.
Un tour contre les femmes : Panurge a aussi une poche pleine de poudre qu’il utilise pour tromper les femmes. Il la jette sur le dos des femmes qui sont habillées de manière prétentieuse, ce qui les fait se déshabiller ou danser de manière ridicule devant tout le monde. Certaines courent dans les rues, et Panurge les suit. Pour les femmes qui se dépouillent de leurs vêtements, il leur met sa cape sur le dos pour se donner l'air galant, comme un homme courtois, même s'il est en réalité un farceur.
Il salit les belles robes : Panurge a aussi un petit flacon rempli d'huile vieille et sale. Quand il voit une personne avec une belle robe, il touche la robe de manière à l'abîmer, en prétendant la complimenter. Il fait semblant de toucher les tissus pour dire qu’ils sont beaux et que Dieu bénisse les personnes qui portent ces vêtements, mais en réalité, il salit et gâte les habits avec son huile. Il se montre bienveillant et poli, mais ses intentions sont malhonnêtes.
Le jeu avec de l'argent : Panurge joue aussi avec des gobelets et des pièces de monnaie. Il a des mains très habiles et il sait manipuler les pièces de manière très astucieuse. Il a l'habitude de faire des tours de magie, notamment en changeant des pièces d'argent (comme des testons, une ancienne monnaie). Il réussit à faire disparaître des pièces sous les yeux des autres sans qu'ils s'en aperçoivent, rendant l'échange de monnaie très difficile à suivre. En fait, même un changeur professionnel ne pourrait pas être aussi habile que lui. Panurge utilise des astuces pour tromper les gens sans qu'ils s'en rendent compte.
Portrait physique
Le portrait physique de Panurge dans l'extrait de Gargantua et Pantagruel de Rabelais est assez détaillé et en même temps caricatural, typique de l'esprit de la Renaissance, où les personnages sont souvent dépeints de manière à souligner leurs caractéristiques physiques tout en les associant à leur personnalité.
Stature et apparence physique :
Panurge est de stature moyenne, ni trop grand ni trop petit, ce qui le rend une figure assez ordinaire sur le plan physique.
Il est décrit comme ayant un nez un peu aquilin, un trait qui le distingue légèrement, mais qui reste dans le cadre de la caricature. Ce nez est comparé à un manche de rasoir, accentuant l'idée d'un caractère acéré, tranchant, voire rusé.
L'âge de Panurge est de trente-cinq ans environ, ce qui est relativement jeune mais dans la pleine maturité de l'individu.
Caractéristiques de son apparence :
Il est décrit comme "fin à dorer comme une dague de plomb", suggérant que son apparence est soignée et élégante, mais d'une manière un peu artificielle ou superficielle. Cette comparaison à une dague de plomb suggère aussi qu'il est peut-être brillant en apparence, mais pas d'une grande solidité ou pureté.
Bien galant homme de sa personne : Panurge a une apparence qui plaît, mais l'élégance est teintée de superficialité et d'une certaine fausseté, ce qui pourrait refléter son caractère.
Portrait moral
Le portrait moral de Panurge, quant à lui, est très révélateur de sa personnalité et de ses comportements dans l'histoire. Il est dépeint comme un personnage complexe, à la fois comique, immoral, et rusé.
Comportement et caractère :
Panurge est décrit comme étant "paillard", c'est-à-dire incliné vers les plaisirs charnels et les comportements débauchés. Cette caractéristique le place dans une catégorie de personnages qui s'adonnent aux plaisirs sans retenue.
Il souffre d’une maladie qu’on appelait à l'époque "Faute d’argent, c’est douleur sans pareille", une manière humoristique de dire qu'il manque constamment d'argent, et que cela le pousse à adopter des comportements douteux. Cependant, il trouve toujours "soixante et trois manières" pour s'en procurer, dont la plus "honorable" et la plus courante consiste à "voler furtivement".
Actions et stratégies :
Panurge est un malfaisant et un pipeur, un manipulateur et un menteur, qui utilise la ruse pour parvenir à ses fins. Il incarne la figure du personnage rusé et sans scrupules.
Il n’hésite pas à utiliser des techniques subtiles pour se jouer des autres : "jetait dans le dos des femmes" un produit pour les faire danser ou se déshabiller en public, ce qui montre son côté moqueur, manipulateur et dénué de respect envers les autres.
Il joue également avec des gobelets de manière artificielle, prouvant son habileté et sa dextérité dans l'art de la tromperie. Son "change" fait référence à sa capacité à duper et à manipuler l'argent, ce qui suggère qu'il utilise des méthodes de tromperie habiles et visibles, mais sans laisser de trace.
Caractéristiques sociales :
Bien qu'il soit un mauvais sujet dans de nombreux aspects de sa vie, il est aussi décrit comme "le meilleur fils du monde". Cette apparente contradiction montre la complexité du personnage : un homme qui, bien qu'immoral et malicieux, possède une certaine fidélité et loyauté dans ses relations personnelles.
L'aspect comique et critique :
En tant que personnage principal du texte, Panurge incarne la satire sociale et l'humour qui sont caractéristiques de l'œuvre de Rabelais. Son comportement et ses actions ne sont pas seulement des instruments de critique sociale, mais également une manière de ridiculiser les conventions de son époque. L'exagération de ses défauts, sa manipulation des autres et son esprit de tromperie sont utilisés par Rabelais pour critiquer la société de son temps et ses hypocrisies.
Le portrait de Panurge dans cet extrait de Gargantua et Pantagruel combine une description physique ordinaire et une moralité complexe marquée par la ruse, la débauche, et l'ingéniosité. À la fois comique et profondément critique, Panurge représente un type humain paradoxal, à la fois immoral et attachant, brillant dans ses tromperies, mais aussi parfois loyal. Il incarne la satire sociale et morale qui traverse l’œuvre de Rabelais, offrant un regard critique et humoristique sur les mœurs de son époque.
Analyse de l’idée principal de chaque paragraphe
Idée principale :
Panurge est un personnage aux traits caractéristiques et contradictoires. Il est un homme de taille moyenne, ni trop grand ni trop petit, avec un nez aquilin. Bien que physiquement plaisant, il présente de nombreux défauts de caractère : il est un voleur, un buveur, un farceur et un manipulateur. Sa principale caractéristique est sa capacité à trouver des moyens malhonnêtes pour se procurer de l'argent, ce qui en fait un personnage à la fois comique et immoral. Ce paragraphe introduit ainsi la nature de Panurge comme un homme rusé et paillard, mais aussi un "bon fils" malgré ses nombreux défauts.
Idée principale :
Panurge utilise sa connaissance de la ville et ses ruses pour tromper les gardes de Paris. Il organise des mauvais coups avec ses compagnons, les menant à attaquer les gardes de manière violente et en toute impunité. Ce paragraphe montre à quel point Panurge est malin et agile dans la ville, capable de se déplacer facilement sans se faire prendre, et à quel point il se moque des autorités, en particulier du guet, qu'il parvient à duper.
Idée principale :
Panurge joue des tours aux femmes en utilisant une poudre magique pour les faire se déshabiller ou danser de manière ridicule. Bien qu'il se donne l'apparence de la courtoisie, il ne fait que les manipuler pour son propre amusement. Ce passage souligne la nature farfelue et moqueuse de Panurge, ainsi que son plaisir à ridiculiser les autres, notamment les femmes qu'il juge prétentieuses.
Idée principale :
Panurge utilise également un flacon d'huile pour gâcher les vêtements des personnes bien habillées, tout en feignant de les complimenter. Il se montre courtois et galant en prétendant que les vêtements sont magnifiques, mais en réalité, il salit les habits et les détruit sous prétexte de les apprécier. Ce passage souligne l'hypocrisie et le comportement rusé de Panurge, qui manipule les apparences pour cacher ses intentions malveillantes.
Idée principale :
Panurge est également un maître des tours de magie liés à l'argent. Il utilise ses compétences pour manipuler des pièces de monnaie, faisant disparaître des pièces sous les yeux des autres, sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Il montre ainsi son habileté à tromper les autres, même les changeurs professionnels, en usant de ses talents pour manipuler l'argent avec finesse. Ce passage montre l'astuce et l'habileté de Panurge dans les affaires, où il parvient à jouer avec la perception des autres et à les tromper sans qu'ils ne réalisent le subterfuge.
Les méfaits du personnage essentiel du texte:
Dans l'extrait, Panurge est un personnage qui multiplie les méfaits, montrant un comportement moralement douteux et souvent malhonnête. Voici une liste des méfaits qu'il commet :
Le vol : Panurge a soixante-trois manières de se procurer de l'argent, dont la plus commune est le larcin furtif.
Les escroqueries et tromperies : Il trompe les changeurs en faisant disparaître des pièces de monnaie sans qu'ils s'en aperçoivent, grâce à ses talents de manipulation et de magie.
La violence et le trouble public : Il organise des méfaits violents avec des compagnons en attaquant le guet, les renversant et s'enfuyant ensuite, après avoir commis un acte de violence publique.
Les comportements dégradants envers les femmes : Panurge jette de l'alun de plume sur les femmes qu'il trouve "acrêtées" et les déshabille publiquement, en les forçant à danser ou courir dans les rues, tout en se montrant "courtois" en les couvrant de sa cape.
L'escroquerie vestimentaire : Il enduit les vêtements des gens de vieille huile, gâtant ainsi leurs habits sous le prétexte de les examiner ou de les complimenter, tout en les ridiculisant.
Ainsi, Panurge incarne un personnage qui, par ses ruses, son habileté et son immoralité, provoque la perturbation, l'humiliation et la tromperie dans son environnement.
Les comparaisons dans le texte:
"Le nez un peu aquilin, fait à manche de rasoir"
Cette comparaison décrit le nez de Panurge en le comparant à un manche de rasoir. Cela suggère que son nez est assez pointu et un peu recourbé, comme un instrument coupant. Cette image donne l'impression d'une certaine dureté ou de l'acuité du visage de Panurge.
"Fin à dorer comme une dague de plomb"
Ici, l'auteur compare Panurge à une dague de plomb qui serait "fin à dorer". La comparaison implique que, bien que l'apparence de Panurge soit soignée et peut-être séduisante, elle cache une nature un peu plus brute, comme la dague de plomb, qui est à la fois dure et précieuse par son apparence.
"Il les faisait boire comme Templiers sur le soir"
Cette comparaison fait référence à une tradition médiévale des Templiers, qui étaient réputés pour leurs festins. On peut interpréter cette comparaison comme une manière de dire que Panurge faisait boire ses compagnons de manière excessive et festive, un peu comme des chevaliers après une journée d'actions.
"Mettaient tout le pauvre guet par terre comme porcs"
Ici, la comparaison fait allusion à la violence avec laquelle Panurge et ses compagnons renversent les membres du guet. Les membres du guet sont comparés à des porcs, ce qui accentue la brutalité de l'attaque et l'humiliation de leurs adversaires. Cela suggère également un manque de dignité dans la façon dont le guet est traité.
"Les autres danser comme jau sur braise ou bille sur tambour"
Cette comparaison fait référence à la manière dont Panurge provoque les femmes qu’il attaque avec de l’alun de plume. Il les fait danser de façon chaotique, comme si elles dansaient sur des braises ou une bille sur un tambour. Ces images suggèrent un mouvement désordonné, presque contraint et douloureux, donnant l'idée d'une situation très inconfortable et dégradante pour les femmes.
"Comme homme courtois et gracieux"
Dans cette comparaison, Panurge est décrit comme étant courtois et gracieux quand il couvre les femmes qu'il a déshabillées de sa cape. Bien que ses actions soient cruelles, il se présente sous une apparence de courtoisie, ce qui ajoute une dimension de faux-semblant à sa personnalité.
"Les doigts faits à la main comme Minerve ou Arachné"
Panurge est comparé à des figures mythologiques, Minerve et Arachné, qui sont associées à l'intelligence et à l'habileté. Cela met en lumière la dextérité et l'habileté de Panurge dans ses escroqueries, en particulier lorsqu'il manipule les gobelets et effectue des tours de magie pour tromper les changeurs.
Quelques synonymes:
Pipeur : Trompeur, escroc, filou, arnaqueur. Ce terme désigne quelqu'un qui pratique des tromperies, en particulier des petites escroqueries.
Branler : Secouer, balancer, agiter. Dans ce contexte, "branler" fait référence à l'action de secouer ou d'agiter quelque chose de manière violente.
Tombereau : Chariot, charrette, brouette. Il s'agit d'un véhicule utilisé pour transporter des matériaux, en particulier des charges lourdes.
Jau : Saut, danse, bond. Ce mot désigne un mouvement vif et rapide, souvent associé à des danseurs ou à des gestes agités.
Guédoufle : Flacon, bouteille, cruche. C’est un petit récipient, souvent utilisé pour contenir des liquides comme de l’huile dans le texte.