Je veux brûler, pour m’envoler aux cieux,
Tout l’imparfait de cette écorce humaine,
M’éternisant1, comme le fils d’Alcmène2,
Qui tout en feu s’assit entre les Dieux.
Jà3 mon esprit, chatouillé de son mieux,
Dedans ma chair, rebelle se promène,
Et jà3 le bois de sa victime amène
Pour s’enflammer aux rayons de tes yeux.
Ô saint brasier, ô feu chastement beau,
Las4, brûle moi d’un si chaste flambeau
Qu’abandonnant ma dépouille connue,
Net, libre, et nu5, je vole d’un plein saut,
Outre le ciel, pour adorer là-haut
L’autre beauté dont la tienne est venue6.
Ronsard - Premier livre des Amours - Amours de Cassandre, sonnet 167
1 M’éternisant = devenant immortel
2 le fils d’Alcmène = comparaison à Hercule de la mythologie romaine : Hercule est le fils du dieu Jupiter et de la mortelle Alcmène. Hercule est connu pour ses 12 travaux, sa mort l'est moins : Hercule se donna la mort sur le bûcher après avoir ressenti une grande douleur car un de ses ennemis avait mis le sang empoisonné de son amante (Iole) sur sa tunique. Dans la mythologie grecque, Héraclès (équivalent d'Hercule chez les Romains), juste avant de mourir brûlé, est emmené par un nuage divin dans l'Olympe (la demeure des dieux), où il accède à l'immortalité.
3 jà = déjà
4 las = hélas
5 Net, libre, et nu = débarrassé de son enveloppe corporelle
6 L’autre beauté dont la tienne est venue = admirer la beauté céleste d'où la mortelle Cassandre tire elle-même sa beauté, selon Ronsard
Introduction
Le sonnet « Je veux brûler, pour m’envoler aux cieux », extrait du Premier livre des Amours de Pierre de Ronsard, illustre une quête amoureuse qui dépasse le cadre terrestre pour se projeter vers une dimension divine. Composé de décasyllabes, ce poème témoigne du désir intense du poète d’atteindre une forme d’immortalité à travers l’amour et la beauté, notamment celle de Cassandre, l’objet de son désir. La métaphore du feu, liée à la figure mythologique d’Hercule, illustre le chemin de la purification par la souffrance, afin de s’élever vers un amour divin. Ce commentaire analysera comment Ronsard utilise la forme du sonnet et les images mythologiques pour exprimer cette élévation spirituelle et amoureuse.
I. Le sonnet comme cadre d’un désir de transcendance
1. La structure formelle du sonnet et la quête d’immortalité
Le sonnet est une forme poétique stricte, composée de deux quatrains et deux tercets, ce qui permet à Ronsard de développer une progression vers une idée centrale, celle de l’immortalité. La forme du poème, bien structurée, aide à organiser les métaphores et à intensifier l’expression des émotions. Le premier quatrain pose la problématique de l’imperfection humaine (le corps) et de la quête de la pureté divine, tandis que les tercets, dans leur progression, introduisent la solution à cette quête : la mort par le feu, suivie de l’élévation vers les cieux.
2. Le mouvement rythmique : du corps vers l’âme
La structure du sonnet, combinée à l’alexandrin (décasyllabe), crée un rythme cadencé qui reflète cette ascension vers l’immortalité. Le poème commence par une plainte liée à l’enveloppe corporelle, pour se conclure sur l’image d’une pureté sans corps, une libération totale, marquée par l’expression « Net, libre, et nu ». Ce passage du corps à l’esprit est souligné par le rythme fluide et régulier des alexandrins, comme pour signifier que la transition vers le divin est à la fois un acte naturel et inéluctable.
II. L’utilisation des métaphores mythologiques pour théâtraliser la quête spirituelle
1. La référence à Hercule et l’immortalité
Le poème s’ouvre sur une comparaison avec le fils d’Alcmène, Hercule, une figure de la mythologie grecque. En choisissant Hercule, héros mythologique, Ronsard ancre son poème dans une tradition épique où l’acquisition de l’immortalité par le sacrifice et la souffrance est valorisée. Hercule se fait immoler pour atteindre l’Olympe, et, de la même manière, le poète souhaite abandonner son corps pour accéder à une autre forme d’existence spirituelle et éternelle. Le feu est donc ici à la fois un instrument de purification et un moyen d’atteindre une vie posthume.
2. Le symbolisme du feu : purification et ascension
Le motif du feu est omniprésent dans le poème. Il symbolise à la fois la souffrance et la purification, ainsi que l’élévation spirituelle. Le poète désire être consumé par un « saint brasier », un feu pur, presque sacré, afin de se débarrasser de son « écorce humaine » et d’être « libre, et nu », à l’image d’une âme qui quitte son corps. Le feu ici n’est pas seulement destructeur, il est un moyen d’atteindre une forme d’élévation divine, en harmonie avec la beauté céleste. La transformation du poète, du terrestre au divin, se fait par la souffrance et le sacrifice, une thématique qui rappelle les grandes épreuves des héros mythologiques.
III. L’aspiration à la beauté divine et la fusion amoureuse
1. La beauté de Cassandre comme reflet du divin
Le poème s’adresse à Cassandre, dont la beauté terrestre est perçue par Ronsard comme un écho de la beauté divine. Le poète exprime le désir d’atteindre cette beauté sous sa forme pure, idéalisée, et au-delà de la simple incarnation terrestre. Dans le dernier vers du poème, « L’autre beauté dont la tienne est venue », il suggère que Cassandre, en tant que modèle de beauté sur Terre, est elle-même un reflet de la beauté divine, qui est la source ultime de tout désir. L’amour de Cassandre devient ainsi une quête pour une beauté plus grande, celle des cieux.
2. La fusion entre l’humain et le divin
L’aspiration du poète à quitter son corps pour « adorer là-haut » révèle une recherche d’une union idéale entre l’humain et le divin. Par l’extinction de son enveloppe corporelle, le poète espère non seulement échapper à la mort, mais aussi rejoindre une forme d’amour absolu, éternel, loin des contingences humaines. L’image finale d’une élévation spirituelle, où le poète rejoint l’adoration de la beauté céleste, marque cette fusion entre le désir humain et le monde divin. Ce processus de purification par le feu, du terrestre vers l’éthéré, est l’aboutissement de la quête amoureuse du poète.
Conclusion
Dans ce sonnet, Pierre de Ronsard, par l’utilisation de la forme du sonnet et des métaphores mythologiques, donne une dimension à la fois tragique et sublime à la quête amoureuse. La métaphore du feu et la référence à Hercule permettent au poète de théâtraliser son désir de transcender la condition humaine pour atteindre une forme de beauté divine et d’immortalité. La structure formelle et le rythme du sonnet contribuent à intensifier cette aspiration, en mettant en lumière la tension entre le corps, la souffrance et l’élévation spirituelle. Ronsard nous livre ainsi une méditation sur l’amour et la beauté, qui dépasse les limites du terrestre pour s’inscrire dans l’éternité.