Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous deux adoraient la belle
Prisonnière des soldats
Lequel montait à l'échelle
Et lequel guettait en bas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Qu'importe comment s'appelle
Cette clarté sur leur pas
Que l'un fut de la chapelle
Et l'autre s'y dérobât
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Tous les deux étaient fidèles
Des lèvres du coeur des bras
Et tous les deux disaient qu'elle
Vive et qui vivra verra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Par deux fois et l'un chancelle
L'autre tombe qui mourra
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Ils sont en prison Lequel
A le plus triste grabat
Lequel plus que l'autre gèle
Lequel préfère les rats
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
Commentaire composé du poème La Rose et le Réséda de Louis Aragon
Introduction
Le poème La Rose et le Réséda de Louis Aragon, extrait du recueil La Diane française publié en 1943, illustre l'idéal d'unité nationale au moment de la Seconde Guerre mondiale. Le poème a été écrit dans le contexte de l'Occupation allemande en France et de la collaboration entre les différents groupes résistants, qu'ils soient communistes ou royalistes. L'une des principales métaphores du poème réside dans les fleurs, la rose rouge et le réséda blanc, qui symbolisent respectivement les deux pôles politiques de l’époque : le socialisme (et l'athéisme) d’une part, et le catholicisme (et la monarchie) d’autre part. Aragon propose ainsi une vision de l’unité entre les différents courants idéologiques face à l’ennemi commun. À travers ce poème, l’auteur nous invite à considérer l’importance de l’unité dans la lutte contre l’oppresseur, soulignant l’humanité commune qui transcende les différences politiques et religieuses.
1. L’unité dans la lutte contre l’oppression
Le poème s’ouvre sur une opposition entre deux hommes aux croyances différentes : "Celui qui croyait au ciel" et "Celui qui n'y croyait pas". Ces deux hommes, malgré leur divergence de croyance, partagent la même dévotion envers une "belle / Prisonnière des soldats". Cette image de la femme, symbolisant la liberté ou la patrie, se trouve au cœur du poème, représentant l’objet de leur lutte commune. Aragon souligne, à travers cette opposition, que les différences religieuses ou idéologiques ne doivent pas être un obstacle à la solidarité dans un combat commun.
Dans les vers suivants, il continue de marteler cette idée : "Qu'importe comment s'appelle / Cette clarté sur leur pas". L’important n’est pas l’appellation ou l’origine de la clarté, mais ce qu’elle représente : une lumière guidant les résistants vers l’idéal de la liberté. L’unité se manifeste par la fidélité au même objectif, "Vive et qui vivra verra", un appel à la persévérance et à l’espérance dans la lutte.
2. La fraternité et l’égalité dans la souffrance
Le poème poursuit avec une réflexion sur la souffrance partagée entre les résistants. Lorsqu’Aragon écrit : "Quand les blés sont sous la grêle / Fou qui fait le délicat", il critique ceux qui, dans des moments de crise, se préoccupent de leurs querelles idéologiques et politiques au lieu de se concentrer sur l’essentiel : la lutte contre l’occupant. L’image des "blés sous la grêle" évoque la violence de la guerre, un cataclysme qui affecte tous les Français sans distinction de croyance ou d’appartenance politique. Le poème suggère qu’en temps de guerre, les divisions doivent être mises de côté au profit de la solidarité et de la résistance commune.
Plus loin, l’auteur évoque les souffrances physiques et psychologiques endurées par les résistants : "Du haut de la citadelle / La sentinelle tira / Par deux fois et l'un chancelle / L'autre tombe qui mourra". Loin de toute distinction, tous partagent le même sort tragique : "Ils sont en prison", qu'ils soient croyants ou non, ils souffrent ensemble, soumis aux mêmes douleurs et à la même répression.
3. La réconciliation à travers la mort et le sacrifice
La fin du poème développe l’idée que la mort, loin de séparer, rapproche les hommes. Les deux résistants, "Celui qui croyait au ciel" et "Celui qui n'y croyait pas", partagent un même destin : leur sang, "rouge, ruisselle", "Même couleur même éclat". Cette image de la couleur du sang, identique pour tous, symbolise l'égalité entre les hommes, quel que soit leur passé idéologique. La mort, tragique mais aussi unificatrice, efface les différences superficielles entre les individus et laisse place à une humanité commune.
Le poème se termine sur une image de renaissance et d’espoir : "Il coule il coule il se mêle / À la terre qu'il aima / Pour qu'à la saison nouvelle / Mûrisse un raisin muscat". Le sang, qui se mêle à la terre, prépare la renaissance de la nature, comme un symbole de l’avenir et de l’espoir d’une société nouvelle, plus unie et plus juste. L’image de la nature et des fruits qui mûrissent au printemps suggère une réconciliation, un renouveau possible après la guerre et les souffrances qu’elle a imposées.
4. La pluralité des symboles : la rose et le réséda
La rose rouge et le réséda blanc, emblèmes des deux camps opposés, se rejoignent dans le sacrifice et l’amour du pays. Aragon termine le poème en évoquant "le double amour qui brûla / L’alouette et l’hirondelle", deux oiseaux symbolisant respectivement la liberté et le voyage, la légèreté et la quête. L’alouette et l’hirondelle, comme la rose et le réséda, portent des significations multiples : elles incarnent les forces de l’unité et de la résistance, malgré les divergences.
Conclusion
Dans La Rose et le Réséda, Louis Aragon propose un poème d’unité et de fraternité en période de guerre, où les divisions idéologiques sont transcendées par la lutte commune pour la liberté. À travers les métaphores des fleurs et des oiseaux, il célèbre l’amour et la solidarité entre ceux qui, malgré leurs différences, se battent pour un idéal commun. Le poème, tout en étant ancré dans un contexte historique précis, porte un message universel : la nécessité de l’unité face à l’adversité. Par sa beauté et sa profondeur, il reste un appel à la réconciliation et à la paix, transcendant les frontières idéologiques et religieuses.