Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu'elle arriva, l'on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu'un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser, et pendant qu'elle cherchait des yeux quelqu'un qu'elle avait dessein de prendre, le Roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu'elle crut d'abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par- dessus quelque siège pour arriver où l'on dansait. Ce prince était fait d'une sorte qu'il était difficile de n'être pas surprise de le voir quand on ne l'avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu'il avait pris de se parer augmentait encore l'air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.
M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu'il fut proche d'elle, et qu'elle lui fit la révérence, il ne put s'empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s'éleva dans la salle un murmure de louanges.
"La princesse de Clèves" Mme de La Fayette, XVIIème
Dans cet extrait de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette, la rencontre entre Mme de Clèves et M. de Nemours lors d’un bal royal au Louvre constitue une scène clé du roman. Ce moment, empreint d’éclat et de raffinement, marque le début d’une admiration réciproque et d’une tension émotionnelle qui structureront l’intrigue. À travers une écriture élégante et précise, Mme de La Fayette met en scène le rôle central de la beauté, du regard et de l’admiration collective. Nous analyserons tout d’abord l’importance du décor fastueux de la cour, puis la mise en scène de la rencontre entre les deux protagonistes, avant de nous pencher sur le rôle du regard social.
I. Un décor fastueux au service de la mise en scène
L’extrait s’ouvre sur une description somptueuse du bal au Louvre, qui constitue un cadre idéal pour introduire la rencontre entre Mme de Clèves et M. de Nemours. Le bal, moment de magnificence et de splendeur, reflète le raffinement de la cour royale sous Henri II. Mme de Clèves, préparée avec soin, se distingue par sa beauté et sa parure qui suscitent une admiration unanime. Cette mise en avant de la princesse souligne son caractère exceptionnel et la place qu’elle occupe dans la société.
Mme de La Fayette renforce la théâtralité de cette scène en décrivant l’entrée spectaculaire de M. de Nemours. L’agitation provoquée par son arrivée attire immédiatement l’attention : « il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle ». L’utilisation de termes comme « bruit » et « place » suggère un mouvement collectif qui met en valeur l’importance de ce personnage. Ce décor, à la fois fastueux et théâtral, sert à magnifier le moment de la rencontre.
II. La naissance d’une fascination réciproque
La rencontre entre Mme de Clèves et M. de Nemours est décrite comme un moment d’éblouissement et de surprise. La princesse, en se retournant, est immédiatement frappée par l’apparence du duc : « elle vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours ». L’auteure insiste sur la perfection physique du personnage masculin, dont « l’air brillant » est encore amplifié par le soin qu’il a pris à se parer.
De son côté, M. de Nemours est tout aussi captivé par la beauté de Mme de Clèves. Son admiration se manifeste par des « marques » visibles, témoignant d’un trouble sincère. Ce double regard, qui mêle fascination et émerveillement, marque la naissance d’un lien unique entre les deux personnages. La danse qui suit devient alors une métaphore de leur harmonie naissante, tandis que leurs gestes et expressions traduisent une émotion profonde.
III. Le rôle du regard social
Enfin, Mme de La Fayette intègre la réaction collective de la cour pour inscrire cette rencontre dans un contexte social. Lorsque Mme de Clèves et M. de Nemours dansent, « un murmure de louanges » s’élève dans la salle. Ce murmure, bien plus qu’un simple témoignage d’admiration, symbolise le poids du regard collectif sur leur relation.
La société, omniprésente dans le roman, observe, commente et juge les interactions des personnages. Ce poids social, qui impose des normes et des attentes, sera une source de tensions dans la suite de l’intrigue. Ici, il accentue le caractère exceptionnel de leur rencontre tout en annonçant les conflits à venir entre leurs sentiments et les conventions de la cour.
Conclusion
En conclusion, cet extrait illustre avec subtilité le talent de Mme de La Fayette pour mêler description élégante et analyse psychologique. La rencontre entre Mme de Clèves et M. de Nemours, mise en valeur par un décor somptueux et des regards chargés d’émotion, est à la fois un moment d’émerveillement et un point de départ pour les tensions à venir. À travers cette scène, l’auteure explore les thèmes centraux du roman : la beauté, le rôle du regard social et les dilemmes entre passion et devoir. Ce passage, emblématique du classicisme, révèle l’équilibre entre le respect des règles sociales et l’expression des émotions humaines.