Anniversaire
Je fête l’essentiel, je fête ta présence
Rien n’est passé la vie a des feuilles nouvelles
Les plus jeunes ruisseaux sortent de l’herbe fraîche
Et comme nous aimions la chaleur il fait chaud
Les fruits abusent du soleil les couleurs brûlent
Puis l’automne courtise ardemment l’hiver vierge
L’homme ne mûrit pas il vieillit ses enfants
Ont le temps de vieillir avant qu’il ne soit mort
Et les enfants de ses enfants il les fait rire
Toi première et dernière tu n’as pas vieilli
et pour illuminer mon amour et ma vie
Tu conserves ton coeur de belle femme nue.
(Paul Eluard)
Commentaire composé du poème Anniversaire de Paul Éluard
Introduction
Dans Anniversaire, Paul Éluard rend hommage à l’être aimé, en célébrant la vie et la beauté qui lui sont liées. Ce poème, qui pourrait être perçu comme une déclaration d’amour, déploie également une réflexion sur le temps et l’éternité, la jeunesse et la vieillesse. En choisissant le terme "anniversaire", Éluard nous invite à une célébration, non pas seulement de la date de naissance, mais de l’essence même de l’existence, symbolisée ici par l’image de l’amour. À travers cette méditation sur le passage du temps, il parvient à illustrer l’immuabilité de l’amour et de la beauté dans une vision poétique de la vie.
1. Une vision du temps : renouvellement et fugacité
Le poème commence par une déclaration qui établit une forme d’intemporalité : "Je fête l’essentiel, je fête ta présence". Cette première phrase, simple mais profonde, annonce que l'événement célébré n’est pas une date précise, mais plutôt l’essence de la relation et de l’être aimé. Le temps, dans cette perspective, est un concept fluide, presque secondaire face à l’évidence de l’amour et de la présence. Le poète souligne ensuite que "la vie a des feuilles nouvelles", une image qui évoque le renouvellement constant, comme une métaphore de la nature. Les feuilles, symboles du temps qui passe, ne sont pas figées, mais toujours renouvelées, rappelant que, malgré le passage du temps, la vie continue de se régénérer et d'offrir de nouvelles opportunités. L’image des "jeunes ruisseaux" qui surgissent de l’herbe fraîche renforce cette idée de renouvellement, de fraîcheur et de nouveauté. Cela suggère que, tant que l’amour persiste, il y a toujours de nouvelles façons de le vivre et de l'apprécier.
Dans les strophes suivantes, Éluard évoque les saisons, qui reflètent les cycles de la vie. "Puis l’automne courtise ardemment l’hiver vierge" représente la transition entre les moments de la vie, la beauté de l’automne se mêlant à la pureté de l’hiver. Ici, la métaphore saisonnière exprime les différents âges de la vie, de la jeunesse à la vieillesse, mais elle montre également la continuité de cette évolution naturelle, une transformation qui fait partie intégrante du cycle de la vie.
2. La confrontation entre vieillissement et jeunesse
Éluard s’intéresse ensuite à la question du vieillissement, mais sous un angle particulier. Il écrit que "L’homme ne mûrit pas il vieillit", une réflexion sur la différence entre la maturation et le simple passage du temps. "Mûrir", qui évoque une certaine sagesse, une évolution positive et naturelle, est ici opposé à "vieillir", qui désigne une perte de vitalité. Cette distinction entre mûrir et vieillir, renforcée par le vers suivant "ses enfants / Ont le temps de vieillir avant qu’il ne soit mort", suggère que la vieillesse ne se fait pas sans l’intervention du temps, mais qu’elle intervient plus tôt chez l’homme que chez ses descendants. Ce phénomène montre, par la succession des générations, que l’individu ne parvient jamais à rattraper le temps qui file, et que les enfants, eux, connaissent déjà la vieillesse avant même que leurs parents n’en fassent l’expérience complète.
Cela introduit un paradoxe : dans ce contexte, les enfants deviennent les porteurs de l’avenir, de la vie qui continue au-delà de la mort des ancêtres. Cependant, cette idée est contrebalancée par la dernière ligne de la strophe, où Éluard mentionne "les enfants de ses enfants [qui] le font rire". Cela apporte une touche d’optimisme et de réjouissance, comme si, malgré le passage inéluctable du temps, la jeunesse, la joie et l’amour demeuraient omniprésents.
3. L'immuabilité de l'amour et de la beauté
Enfin, dans les dernières strophes, Éluard revient à l’être aimé, qui est perçu comme une figure intemporelle. "Toi première et dernière tu n’as pas vieilli", déclare le poète, indiquant que l’être aimé échappe aux effets du temps. Cette image de l’immuabilité est renforcée par "tu conserves ton cœur de belle femme nue", qui suggère la pureté, la beauté et l’innocence préservées malgré le passage des années. Le poème, ainsi, devient une déclaration d’amour inaltéré par le temps, une célébration de l’âme et du corps de l’autre, qui restent jeunes et beaux. Cette image de la "belle femme nue" est une métaphore de la beauté éternelle, un symbole de l’amour intemporel, celui qui résiste à l’usure du temps et aux ravages de l’âge.
Conclusion
Anniversaire est un poème où Éluard parvient à marier la célébration de la vie, de l’amour et de la beauté à une réflexion profonde sur le temps. Le poème aborde avec douceur et tendresse les notions de vieillesse et de passage du temps, mais il les dépasse en affirmant que l’amour, dans sa forme la plus pure et la plus authentique, demeure toujours intact. L'être aimé, dans son éclat de jeunesse et de beauté, incarne une sorte d’éternité, une stabilité face aux fluctuations de l’existence humaine. À travers ce poème, Éluard invite à une célébration de l’essentiel, à savoir l’amour et la présence de l’autre, qui rendent le temps moins important que les émotions et les liens qui nous unissent.