LE LION ET LE MOUCHERON
Illustration de François Chauveau (1613-1676)
Illustration de André Hellé (1946)
[Ésope1]
Illustration de Benjamin Rabier (1906)
" Va-t-en, chétif Insecte, excrément de la terre ! " (1)
C'est en ces mots que le Lion
Parlait un jour au Moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.
" Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie (2) ?
Un bœuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie. "
À peine il achevait ces mots
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord (3) il se met au large,
Puis prend son temps (4), fond sur le cou
Du Lion, qu'il rend presque fou.
Le Quadrupède écume, et son œil étincelle ;
Il rugit, on se cache, on tremble à l'environ ;
Et cette alarme universelle
Est l'ouvrage d'un Moucheron.
Un avorton de Mouche en cent lieux le harcèle :
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.
La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux Lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air qui n'en peut mais (5) ; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat : le voilà sur les dents (6).
L'Insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée :
Il y rencontre aussi sa fin.
Quelle chose par là nous peut être enseignée ?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits ;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.
Vocabulaire
(1) La Fontaine s'inspire sans doute d'un vers de Malherbe composé contre le Maréchal d'Ancre (titre donné à Concini, dont Louis XIII commanditera l'assassinat) : " Va-t-en à la malheure, excrément de la terre " (Prophétie du Dieu de Seine)
(2) m'inquiète. A l'époque, le verbe n'était pas seulement pronominal comme maintenant
(3) dans la façon d'aborder, d'attaquer
(4) choisit son moment
(5) qui n'en peut plus, qui n'y peut rien. "Mais" vient du latin magis
(6) On dit que le grand travail a mis quelqu'un sur les dents pour dire qu'il est las et fatigué, qu'il n'en peut plus (dictionnaire de Furetière)
Du vers "Va-t-en, chétif Insecte, excrément de la terre !" au vers "Je le mène à ma fantaisie."
Dans cette première partie, La Fontaine introduit les deux personnages principaux : le Lion, roi des animaux, et le Moucheron, un insecte minuscule. Le Lion exprime son mépris envers le Moucheron, en le traitant d’« excrément de la terre » pour montrer sa petitesse et son insignifiance. Pourtant, le Moucheron déclare la guerre avec une audace incroyable. Dès ce début, La Fontaine joue sur le contraste entre la grandeur du Lion et la petitesse du Moucheron. Cette situation initiale installe l'intrigue de la fable.
Du vers "À peine il achevait ces mots" au vers "Le voilà sur les dents."
Le combat entre les deux personnages est raconté avec vivacité. Voici une analyse détaillée :
Les personnages :
Le Lion symbolise la force, la puissance et l’orgueil. Il incarne le pouvoir royal, mais aussi son impuissance face à une menace inattendue.
Le Moucheron est l’image de l’insignifiant qui, par sa détermination, parvient à triompher des plus forts. Il représente l'intelligence rusée et la persévérance.
La progression du combat :
Le Moucheron attaque avec agilité : il harcèle le Lion en choisissant les moments propices (« Puis prend son temps »). Ses attaques sont ciblées et efficaces, ce qui rend le Lion presque fou.
Le Lion, malgré sa puissance, se blesse lui-même dans sa colère. Il incarne l’échec de la force brute face à la ruse.
La situation du Lion devient ridicule lorsqu’il se fatigue seul dans un combat inutile : « Le voilà sur les dents ».
Les figures de style :
Antithèse : « Le Lion » (force) et « le Moucheron » (faiblesse) opposent le grand au petit.
Hyperbole : « Le Lion, qu'il rend presque fou » souligne l’intensité du combat.
Personnification : Le Moucheron devient un héros (« il sonna la charge »).
Métaphore : « un avorton de Mouche » donne une image péjorative du Moucheron.
Champs lexicaux :
Le combat : « guerre », « charge », « triomphe ». Cela donne une dimension héroïque à la bataille.
La fureur : « rugit », « écume », « la rage montée ». Ces termes traduisent l’impuissance du Lion face à l’agilité du Moucheron.
Du vers "L’Insecte du combat se retire avec gloire" au vers "Qui périt pour la moindre affaire."
La fin de la fable apporte un retournement ironique. Après avoir triomphé du Lion, le Moucheron meurt bêtement dans la toile d’une araignée. La Fontaine en tire deux morales :
"Les plus à craindre sont souvent les plus petits" : Les puissants peuvent être vulnérables face à des ennemis inattendus. Le Lion, malgré sa grandeur, est vaincu par un minuscule Moucheron.
"Tel a pu se soustraire, qui périt pour la moindre affaire" : Le Moucheron, victorieux face à un adversaire redoutable, meurt d’un simple piège. Cette morale souligne l’ironie du sort et rappelle l’humilité nécessaire face aux événements.
Dénoté : La fable décrit un combat entre un Lion et un Moucheron.
Connoté : Le texte symbolise le rapport de force entre les puissants et les faibles, montrant que l’intelligence et la ruse peuvent surpasser la force brute.
Péjoratif : Les mots associés au Moucheron (« chétif », « excrément de la terre ») montrent le mépris que le Lion lui porte.
Mélioratif : Le Moucheron, par ses actions, devient héroïque (« triomphe », « gloire »).
Introduction de la fable
Vers : "Va-t-en, chétif Insecte, excrément de la terre !"
Jusqu’au vers : "Je le mène à ma fantaisie."
Présentation des personnages et situation initiale.
Développement de la fable
Vers : "À peine il achevait ces mots"
Jusqu’au vers : "Le voilà sur les dents."
Déroulement du combat et triomphe du Moucheron.
Conclusion de la fable
Vers : "L’Insecte du combat se retire avec gloire"
Jusqu’au vers : "Qui périt pour la moindre affaire."
La chute ironique et les morales.
Dans Le Lion et le Moucheron, La Fontaine oppose avec brio la force physique et la ruse. Par une morale universelle et des situations pleines d’ironie, il enseigne que la grandeur ne garantit pas l’invincibilité et que le plus petit peut triompher du plus grand. Le style vivant, riche en figures de style et en images fortes, fait de cette fable une critique subtile des puissants et un éloge de l’intelligence.