O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
Dans le dernier poème de Les Fleurs du mal, intitulé Le Voyage, Baudelaire aborde le thème du voyage sous un prisme sombre et désillusionné. Ce poème reflète la quête incessante du poète pour une expérience nouvelle, une échappée vers l’inconnu, mais aussi la vanité de cette quête, qui, finalement, se termine dans l'acceptation de la mort.
La Mort comme Capitaine et le Voyage vers l'Inconnu
Dès le début du poème, la Mort est personnifiée et élevée au rang de capitaine. Elle devient l'instrument d'une fuite ultime, un guide vers l'inconnu :
“O Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre ! / Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !”
Le voyage devient ici une métaphore de la quête de sens et d’évasion, mais il s’agit d'un voyage qui ne mène pas à une destination géographique, mais bien vers la fin ultime de la vie. La Mort, en tant que "vieux capitaine", incarne l'expérience et la fatalité, offrant au poète une manière de fuir l'ennui et la souffrance du quotidien.
Le Poids de l'Existence et la Recherche d'une Évasion
Le poème se poursuit avec l’expression d’un profond ennui et d’une lassitude de la vie :
“Ce pays nous ennuie”
Le poème exprime la frustration d’un monde qui ne satisfait plus les désirs du poète, le poussant à chercher une issue. C’est le désir de quelque chose de nouveau, de mystérieux, quelque chose qui pourrait combler ce vide existentiel. Mais cette quête se révèle vaine, car elle se dirige inéluctablement vers la mort.
Le Ciel et la Mer, Symboles de l’Inconnu
Les éléments naturels, le ciel et la mer, sont utilisés pour renforcer l'idée de l'inconnu et de l'infini. Baudelaire décrit un ciel et une mer noirs comme de l'encre :
“Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre”
Ces images sombres et profondes soulignent le mystère, l'incertitude et l’immensité du voyage que le poète désire entreprendre, mais aussi le danger inhérent à cette traversée vers l'inconnu.
Le Poison comme Confort et Reflet de la Souffrance
Baudelaire fait ensuite une demande ironique et désespérée :
“Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !”
Le poison, ici, devient un moyen de soulager la souffrance mentale et spirituelle du poète. Ce poison pourrait symboliser la recherche de l’extase, du plaisir, ou de l’anesthésie face à la douleur de l’existence. L'acceptation du poison reflète l'envie de mettre fin à la tourmente intérieure, de plonger dans l'inconnu, que ce soit l'Enfer ou le Ciel, sans préférence.
La Mort comme Solution Finale
Le poème se termine sur une note tragique mais libératrice. Le poète et son narrateur cherchent l’oubli ou la rédemption dans l’inconnu, et la Mort devient le moyen d’échapper à la souffrance et à l’ennui du monde. Baudelaire laisse entendre que peu importe la destination — enfer ou ciel —, ce qui importe, c’est de fuir l’angoisse du quotidien :
“Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ? / Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !”
Cela suggère une recherche insatiable de nouveauté et de sens, mais aussi une résignation face à l’incertitude du sort.
Le Voyage (VIII) de Baudelaire, dans son atmosphère lourde et désenchantée, nous plonge dans l’idée que le voyage, loin d’être une quête d’accomplissement ou de découverte, est en réalité une fuite vers l’inconnu, une tentative d'échapper à la souffrance de l’existence, et une acceptation ultime de la Mort. Ce poème se fait le chant désespéré d’un poète qui cherche désespérément à échapper à un monde qui ne le satisfait plus, tout en sachant que le seul véritable voyage possible est celui qui mène à la fin de la vie.