Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanies1 ;
Qui ne les eût à ce vêpre2 cueillies
Chutes à terre elles fussent demain.
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries
En peu de temps cherront toutes flétries
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame,
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame3 ;
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle :
Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle4.
1 épanouies
2 ce soir
3 la pierre du tombeau
4 pendant que vous êtes belle
Pierre de Ronsard - Continuation des Amours
Le poème "Je vous envoie un bouquet que ma main" est un extrait du recueil Les Amours de Pierre de Ronsard, écrit au XVIe siècle. Dans ce poème, Ronsard met en valeur un thème récurrent dans la poésie de la Renaissance : la fugacité de la beauté, du temps et de l’amour. À travers l’image des fleurs et du bouquet, il invite sa destinataire à saisir l’instant présent, à vivre pleinement avant que la beauté ne se fane et que la mort ne vienne tout effacer. Ce poème s’inscrit dans la lignée des carpe diem, incitant à profiter des plaisirs de la vie avant qu’il ne soit trop tard.
Dès les premiers vers, Ronsard utilise l’image d’un bouquet cueilli pour introduire le thème de la jeunesse éphémère. Le poème commence par :
"Je vous envoie un bouquet que ma main / Vient de trier de ces fleurs épanies."
Les fleurs, métaphore de la beauté de la destinataire, sont comparées à des éléments fugaces, fragiles et vulnérables. Le poème souligne ici l’idée que la beauté, comme les fleurs, est éphémère et passera rapidement. Le poème est ainsi une invitation à prendre conscience de cette fragilité et à ne pas laisser passer l’opportunité d’aimer et d’être aimé.
Le mot "épanies" indique que les fleurs sont dans leur pleine floraison, symbolisant la jeunesse dans toute sa splendeur. Cependant, le poète laisse entendre que cette beauté est condamnée à se faner, tout comme les fleurs qui, une fois cueillies, "chuteront à terre" dès le lendemain.
Dans le second quatrain, Ronsard introduit une réflexion sur la fuite du temps et la mort inéluctable. Il écrit :
"Cela vous soit un exemple certain / Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries, / En peu de temps cherront toutes flétries."
Le poète souligne que même la beauté la plus éclatante, après un temps court, se fanera. Ce passage symbolise la jeunesse, qui, tout comme les fleurs, périra sous l’effet du temps. Le mot "cherront" exprime la lente dégradation, un processus inévitable lié à l’âge et à l’impermanence de la vie humaine.
L'image des fleurs flétries est donc une métaphore de la beauté perdue et de l’inexorabilité du vieillissement. Le poète invite ainsi sa destinataire à prendre conscience de l'urgence de l'instant présent.
Le poème prend une tournure plus grave dans les deux derniers tercets. Ronsard introduit le thème de la mort et de la condition humaine :
"Le temps s'en va, le temps s'en va, ma Dame, / Las ! le temps, non, mais nous nous en allons, / Et tôt serons étendus sous la lame."
Le poète ici utilise une répétition ("Le temps s’en va, le temps s’en va") pour insister sur la fuite inexorable du temps. Mais au lieu de se concentrer uniquement sur le temps, il souligne que c’est l’homme qui, au final, disparaît. La mort est inévitable, et "nous" (les humains) allons tôt être "étendus sous la lame", une image de la tombe. L’expression "sous la lame" fait référence à la pierre tombale, symbolisant la fin de toute existence.
Dans ce vers, Ronsard ne se contente pas de réfléchir à la disparition de la beauté : il place la condition humaine au cœur du poème. La mort n’est pas un simple concept abstrait, elle est une réalité imminente.
Enfin, dans les derniers vers, le poème se clôt sur une invitation à vivre pleinement l’amour :
"Et des amours desquelles nous parlons, / Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle : / Pour ce aimez-moi, cependant qu'êtes belle."
Ronsard, comme dans son autre poème "Quand vous serez bien vieille", incite la destinataire à aimer et à être aimée tant qu’elle est belle et en vie. La répétition du thème carpe diem se fait sentir ici, comme un appel pressant à ne pas remettre à demain ce que l’on peut vivre aujourd’hui.
Le poète rappelle que les amours dont on parle aujourd’hui seront oubliées une fois que les protagonistes seront morts. C’est un dernier argument pour convaincre la femme de vivre l’amour pleinement, maintenant qu’elle en a la possibilité, avant que la vieillesse et la mort n’emportent tout.
Le poème de Ronsard s’inscrit dans la grande tradition de la poésie de la Renaissance, qui accorde une place prépondérante à la réflexion sur la fuite du temps, l’amour et la mort. À travers l’image des fleurs, il invite la destinataire à profiter de sa jeunesse et de sa beauté avant qu’elles ne se fanent. L’insistance sur la mort et le passage du temps, loin de plonger le poème dans le pessimisme, le charge d’un sens d’urgence et de jouissance de la vie. Ronsard, tout en célébrant la beauté de la femme, lui propose une forme d’immortalité par la poésie, lui assurant que, même après sa disparition, son souvenir, célébré par ses vers, survivra à la mort.