Alphonse de Lamartine
Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure !
Feuillages jaunissants sur les gazons épars !
Salut, derniers beaux jours ! Le deuil de la nature
Convient à la douleur et plaît à mes regards !
Je suis d’un pas rêveur le sentier solitaire,
J’aime à revoir encor, pour la dernière fois,
Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière
Perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois !
Oui, dans ces jours d’automne où la nature expire,
A ses regards voilés, je trouve plus d’attraits,
C’est l’adieu d’un ami, c’est le dernier sourire
Des lèvres que la mort va fermer pour jamais !
Ainsi, prêt à quitter l’horizon de la vie,
Pleurant de mes longs jours l’espoir évanoui,
Je me retourne encore, et d’un regard d’envie
Je contemple ses biens dont je n’ai pas joui !
Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,
Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ;
L’air est si parfumé ! la lumière est si pure !
Aux regards d’un mourant le soleil est si beau !
Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie
Ce calice mêlé de nectar et de fiel !
Au fond de cette coupe où je buvais la vie,
Peut-être restait-il une goutte de miel ?
Peut-être l’avenir me gardait-il encore
Un retour de bonheur dont l’espoir est perdu ?
Peut-être dans la foule, une âme que j’ignore
Aurait compris mon âme, et m’aurait répondu ? …
La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
A la vie, au soleil, ce sont là ses adieux ;
Moi, je meurs; et mon âme, au moment qu’elle expire,
S’exhale comme un son triste et mélodieux.
Alphonse de Lamartine, Méditations poétiques
Dans le poème L’Automne, extrait du recueil Les Méditations poétiques (1820), Alphonse de Lamartine se livre à une réflexion sur la fugacité de la vie et la mélancolie qu’elle suscite. Ce poème, marqué par une atmosphère nostalgique, exploite la symbolique de l’automne pour évoquer les thèmes de la mort, de la nature en déclin, et de l’espoir déçu. À travers des images poignantes, Lamartine offre une méditation sur le passage du temps et l’impossibilité de saisir pleinement la beauté de la vie. L'automne, saison de la maturité et de la déclin, sert ici de miroir à l’âme humaine, invitant à une contemplation à la fois mélancolique et introspective.
Le poème débute sur une note solennelle et presque rituelle : "Salut ! bois couronnés d’un reste de verdure". La nature est décrite dans sa phase terminale, comme un être en deuil, une entité qui se retire doucement avant sa fin. Les "feuillages jaunissants" et les "gazons épars" évoquent l’image d’une nature fatiguée, usée par le passage du temps. Lamartine attribue au paysage automnal une beauté poignante, mais également un caractère funeste. Le "deuil de la nature" semble épouser la douleur du poète, comme si la fin de la saison résonnait avec celle de l’existence humaine. Cette idée de la nature qui "plait à mes regards" malgré la tristesse qu’elle dégage montre la façon dont Lamartine parvient à transformer la mélancolie en une forme d’esthétique sublime. La nature, même dans sa dégradation, devient une source de contemplation où la beauté est perçue dans la douleur même de sa disparition.
L’ambiance de tristesse se poursuit dans les strophes suivantes, où le poète se présente comme un promeneur solitaire. En marchant sur le "sentier solitaire", il s’immerge dans une rêverie qui lui permet de revivre une dernière fois le spectacle de la nature. Ce retour à la beauté d’un soleil pâlissant, dont la lumière "perce à peine à mes pieds l’obscurité des bois", illustre la fin d’une période de lumière et de clarté dans la vie du poète, qui s’efforce d’en capter les derniers éclats avant que tout ne sombre dans l’obscurité de la mort. L’image de ce soleil déclinant devient ainsi une métaphore de la vie humaine qui se fait de plus en plus difficile à saisir à mesure qu’elle approche de son terme. L’automne n’est plus seulement la fin d’une saison, mais le symbole de l’approche inéluctable de la fin de la vie.
Dans cette deuxième section du poème, Lamartine évoque un sentiment de regret face à ce qui aurait pu être mais qui ne fut jamais. Le poète semble regarder en arrière, comme s’il regrettait d’avoir été privé des plaisirs et des satisfactions de la vie. L’évocation du "regard d’envie" qui contemple "ses biens dont je n’ai pas joui" traduit une frustration profonde, une prise de conscience du temps perdu et des occasions manquées. Ce sentiment est amplifié par la métaphore du calice, une image classique pour désigner la vie. "Je voudrais maintenant vider jusqu’à la lie ce calice mêlé de nectar et de fiel" : Lamartine exprime ainsi l’ambivalence de la vie, faite de plaisirs éphémères et de souffrances inévitables. Le poème explore ce moment de crise intérieure où l’on cherche à comprendre ce que l’on a vécu, tout en sachant que l’on ne pourra jamais retourner dans le passé. Ce "peut-être" de l’espoir, l’idée qu’il reste une chance de retrouver le bonheur ou de rencontrer une âme qui saurait comprendre la sienne, traduit cette quête inassouvie d’une communion humaine ou d’une rédemption.
Le poème se conclut sur une vision poétique et presque musicale de la mort. La chute de la fleur qui "tombe en livrant ses parfums au zéphire" renvoie à l’image de la mort comme un moment de grâce ultime, où l’âme s’épanouit une dernière fois avant de se dissiper. Cette image de la fleur qui tombe dans un dernier souffle de parfum est une métaphore de l’âme humaine, dont la beauté se révèle pleinement au moment de la disparition. Lamartine compare l’exhalation de l’âme à un "son triste et mélodieux", une musique qui exprime à la fois la souffrance et la beauté de la fin. La mort, loin d’être seulement un terme, devient ici un acte esthétique, un dernier souffle poétique qui transcende la souffrance humaine et s’élève vers la pureté de l’univers.
La versification de L’Automne est particulièrement bien choisie pour refléter la tonalité du poème. Le poème est écrit en quatrains réguliers, avec des alexandrins qui permettent d’installer un rythme lent et réfléchi, propice à la méditation sur la mort et le passage du temps. Les césures, au cœur de chaque vers, marquent des pauses qui permettent au poète de prendre le temps de contempler chaque aspect de la scène qu’il décrit, qu’il s’agisse de la beauté de la nature ou des tourments de l’âme humaine. Ce rythme mesuré et solennel accompagne parfaitement le ton mélancolique du poème, renforçant l’impression d’une marche vers la fin, un pas après l’autre, comme dans un dernier voyage vers l’inconnu.
L’Automne d’Alphonse de Lamartine est un poème où la mélancolie, la contemplation de la nature et la réflexion sur la mort se mêlent pour offrir une méditation profonde sur l’éphémérité de la vie humaine. À travers des métaphores puissantes et une versification classique, Lamartine nous invite à prendre conscience de la beauté et de la fragilité de l’existence. L’automne, avec sa lumière pâlissante et sa nature déclinante, devient le miroir d’une âme en quête de sens face à la fin de la vie. Le poème nous laisse avec une dernière question, presque une prière : comment saisir l’essence de la vie, comment goûter à sa beauté avant qu’il ne soit trop tard ? La réponse réside peut-être dans la contemplation silencieuse et dans l’acceptation sereine de la fin.