Acte I - Scène II
FIGARO, seul.
La charmante fille ! toujours riante, verdissante, pleine de gaieté, d’esprit, d’amour et de délices ! mais sage !… (Il marche vivement en se frottant les mains.) Ah ! monseigneur ! mon cher monseigneur ! vous voulez m’en donner… à garder ! Je cherchais aussi pourquoi, m’ayant nommé concierge, il m’emmène à son ambassade, et m’établit courrier de dépêches. J’entends, monsieur le comte ; trois promotions à la fois : vous, compagnon ministre ; moi, casse-cou politique ; et Suzon, dame du lieu, l’ambassadrice de poche ; et puis fouette, courrier ! Pendant que je galoperais d’un côté, vous feriez faire de l’autre à ma belle un joli chemin ! Me crottant, m’échinant pour la gloire de votre famille ; vous, daignant concourir à l’accroissement de la mienne ! Quelle douce réciprocité ! Mais, monseigneur, il y a de l’abus. Faire à Londres, en même temps, les affaires de votre maître et celles de votre valet ! représenter à la fois le roi et moi dans une cour étrangère, c’est trop de moitié, c’est trop. — Pour toi, Basile, fripon mon cadet, je veux t’apprendre à clocher devant les boiteux ; je veux… Non, dissimulons avec eux pour les enferrer l’un par l’autre. Attention sur la journée, monsieur Figaro ! D’abord, avancer l’heure de votre petite fête, pour épouser plus sûrement ; écarter une Marceline qui de vous est friande en diable ; empocher l’or et les présents ; donner le change aux petites passions de monsieur le comte ; étriller rondement monsieur du Basile, et…
Le Mariage de Figaro - Beaumarchais - Acte I, scène 2
Dans l'Acte I du Mariage de Figaro, Beaumarchais dresse le tableau des enjeux principaux de la pièce, tout en introduisant ses personnages et les conflits sous-jacents. L’acte s’ouvre sur une scène d’exposition qui pose le décor et initie l’intrigue, avec des informations essentielles pour la compréhension de l’action qui se déroulera ensuite. La scène 1, en présentant le lieu (la chambre nuptiale des valets), le moment (le matin des noces), et les personnages clés (Suzanne, Figaro, et le Comte), installe un climat propice à la comédie et à la satire sociale. Dans la scène 2, Figaro se retrouve seul et, à travers un monologue passionné, il livre ses réflexions et ses indignations. Ce moment offre au spectateur une plongée dans son esprit, dévoilant son intelligence, sa ruse et son esprit critique face aux manipulations du Comte Almaviva. Ainsi, dans ce commentaire, nous explorerons la manière dont Beaumarchais utilise ce monologue pour dévoiler les tensions sociales, les ambitions des personnages et la critique de l'aristocratie, tout en insérant une dose de comique et de satire.
Dans cette scène, Figaro, seul sur scène, se livre à un monologue qui constitue une réflexion sur la situation dans laquelle il se trouve. L’une des premières choses qui frappe dans ce discours est la vivacité et l’énergie avec lesquelles Figaro analyse la situation : "Ah ! monseigneur ! mon cher monseigneur ! vous voulez m’en donner… à garder !". La répétition du terme "monseigneur", suivie de l’ironie qui imprègne ses propos, montre d’emblée le mépris qu’il éprouve pour son maître. Figaro se rend compte que le Comte ne lui accorde aucune véritable considération, mais l’utilise comme un outil dans une stratégie machiavélique, visant à manipuler non seulement lui, mais aussi Suzanne. Le "concierge" que le Comte lui a désigné est une position qui, sous des apparences anodines, dissimule en réalité des ambitions personnelles : le Comte entend bien utiliser Figaro comme un pion pour ses propres intérêts.
L’idée de "faire à Londres, en même temps, les affaires de votre maître et celles de votre valet", exprimée par Figaro, illustre la double manipulation qui se joue ici. En un seul coup d’œil, Figaro dénonce l’hypocrisie du Comte, qui veut à la fois maintenir son pouvoir aristocratique tout en se comportant comme un homme ordinaire dans la scène de séduction. Cette analyse met en lumière la critique sociale qui traverse la pièce : Beaumarchais ne se contente pas de caricaturer le comte en tant qu’individu débauché, mais aussi de dénoncer un système où les maîtres et les valets, malgré leurs rôles distincts, sont pris dans des jeux de pouvoir et de manipulation réciproques.
Dans cette scène, Figaro ne se contente pas de dénoncer les actions du Comte ; il prépare également sa propre réplique, son propre plan pour contrer les avances du noble. Dès le début de son monologue, il exprime son indignation, mais très vite, il passe à l’action, en imaginant une série de stratégies pour manipuler la situation à son avantage : "avancer l’heure de votre petite fête, pour épouser plus sûrement ; écarter une Marceline qui de vous est friande en diable ; empocher l’or et les présents". Ces lignes révèlent la détermination de Figaro à utiliser sa propre ruse pour naviguer dans un monde social où l’injustice et l’exploitation sont omniprésentes. Mais au-delà de la simple comédie, Figaro apparaît ici comme un homme de réflexion, doté d’une grande intelligence stratégique, prêt à utiliser tous les moyens pour se libérer des chaînes de son statut social.
Beaumarchais fait de Figaro un "anti-héros" dont les actions sont souvent motivées par un esprit de rébellion et une quête de pouvoir. En réponse aux tentatives de manipulation du Comte, Figaro adopte une posture tout aussi manipulatrice : il ne se contente pas de défendre son honneur ou de résister passivement ; il joue le jeu des stratagèmes et de la manipulation. Cela démontre la subtile inversion des rôles sociaux dans la pièce : Figaro, bien que valet, devient l’architecte de son destin, tandis que le Comte, prétendant être un maître, est révélé comme un être faible, perdu dans ses propres désirs et manipulations.
Le comique dans cette scène découle en grande partie de l’ampleur de la réflexion de Figaro. À la fois ironique et exagéré, le monologue joue sur des contrastes entre le noble et le valet, mais aussi entre les aspirations personnelles et les désirs sociaux. L’ironie se manifeste dans la manière dont Figaro se moque de son propre rôle : il fait de la situation une sorte de théâtre dans le théâtre, où il se voit à la fois "compagnon ministre", "casse-cou politique" et "ambassadrice de poche". En se qualifiant lui-même de "casse-cou politique", Figaro transforme une situation de soumission en un véritable champ de manœuvre stratégique. Cette manière de se considérer comme un acteur dans une pièce où les rôles sont inversés confère à cette scène un ton comique tout en instaurant une critique acerbe des faux semblants du pouvoir aristocratique.
L’humour de Figaro repose aussi sur ses "violentes" invectives contre Basile, son rival : "je veux t’apprendre à clocher devant les boiteux". En ridiculisant Basile, qui joue le rôle de l’instrument du Comte, Figaro s’assure une position de force, tout en dévoilant les faiblesses et les lâchetés des autres personnages. Ce comique est aussi une forme de résistance au système aristocratique, où les "petits" tentent de reprendre leur pouvoir en manipulant à leur tour les règles du jeu social.
La scène 2 de l’Acte I de Le Mariage de Figaro offre une introduction subtile aux thèmes qui traverseront toute la pièce : la manipulation, l’ironie et la critique sociale. À travers le monologue de Figaro, Beaumarchais nous dévoile un personnage complexe et rusé, qui, tout en dénonçant les abus de pouvoir du Comte, prépare déjà ses propres stratagèmes. L’intelligence de Figaro, son esprit de résistance et sa maîtrise du jeu social le transforment en un protagoniste qui, tout en étant sous-estimé par ses maîtres, devient l’architecte d’une révolte silencieuse et subversive. Le comique, par son ton ironique et ses exagérations, sert de véhicule à une critique sociale qui dénonce les inégalités, tout en offrant au public un miroir de la société de l’époque. Beaumarchais, à travers cette scène, met en lumière la dynamique complexe entre les classes sociales, tout en divertissant son public par une comédie pleine d’esprit et de satire.
Figaro parle tout seul et pense à Suzanne, qu’il décrit comme une fille charmante, joyeuse, pleine d’esprit et d’amour, mais aussi sage.
Il réfléchit au rôle que le comte Almaviva lui a donné : concierge, courrier, homme chargé de transmettre des dépêches, bref plusieurs fonctions en même temps. Figaro comprend que le comte veut à la fois faire avancer ses propres affaires et celles de Figaro.
Il se plaint un peu d’avoir à faire à la fois les affaires du maître (le comte) et du valet (lui-même) en même temps, comme s’il devait représenter deux rôles différents à la cour de Londres.
Figaro parle aussi de Basile, le professeur de chant, qu’il veut piéger en les faisant s’entraîner l’un contre l’autre.
Il prévoit plusieurs choses pour sa journée : avancer la date de son mariage avec Suzanne, empêcher que Marceline, une femme qui l’aime beaucoup, lui cause des problèmes, récupérer de l’argent et des cadeaux, tromper les petites passions du comte, et donner une bonne leçon à Basile.