La Vierge à midi
Il est midi. Je vois l'église ouverte. Il faut entrer.
Mère de Jésus-Christ, je ne viens pas prier.
Je n'ai rien à offrir et rien à demander.
Je viens seulement, Mère, pour vous regarder.
Vous regarder, pleurer de bonheur, savoir cela
Que je suis votre fils et que vous êtes là.
Rien que pour un moment pendant que tout s'arrête. Midi !
Être avec vous, Marie, en ce lieu où vous êtes.
Ne rien dire, regarder votre visage,
Laisser le cœur chanter dans son propre langage.
Ne rien dire, mais seulement chanter parce qu'on a le cœur trop plein,
Comme le merle qui suit son idée en ces espèces de couplets soudains.
Parce que vous êtes belle, parce que vous êtes immaculée,
La femme dans la Grâce enfin restituée,
La créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final,
Telle qu'elle est sortie de Dieu au matin de sa splendeur originale.
Intacte ineffablement parce que vous êtes la Mère de Jésus-Christ,
Qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance et le seul fruit.
Parce que vous êtes la femme, l’Éden de l'ancienne tendresse oubliée.
Dont le regard trouve le cœur tout à fait et fait jaillir les larmes accumulées.
Parce que vous m'avez sauvé, parce que vous avez sauvé la France.
Parce qu'elle aussi, comme moi, pour vous fut cette chose à laquelle on pense.
Parce qu'à l'heure où tout craquait, c'est alors que vous êtes intervenue.
Parce que vous avez sauvé la France une fois de plus.
Parce qu'il est midi, parce que nous sommes en ce jour d'aujourd'hui.
Parce que vous êtes là pour toujours, simplement parce que
vous êtes Marie, simplement parce que vous existez
Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !
Paul Claudel (1868-1955)
Paul Claudel (1868-1955) est un poète et dramaturge français dont l'œuvre poétique est profondément marquée par sa foi catholique. Sa poésie s'imbrique souvent avec la spiritualité chrétienne, et ses écrits font résonner des thèmes de rédemption, de grâce divine et de la quête de sens à travers la foi. La Vierge à midi est un poème qui illustre bien cette démarche, où l'expérience religieuse et la beauté de la foi se mêlent dans une sorte de dialogue intime entre le poète et la figure mariale. Dans ce poème, Claudel fait l'expérience d'une rencontre spirituelle avec la Vierge, une rencontre sans paroles mais d'une grande intensité émotionnelle.
Le poème commence par une scène de contemplation silencieuse : "Il est midi. Je vois l'église ouverte. Il faut entrer." Ce début simple et direct installe immédiatement une atmosphère solennelle et spirituelle. L'heure, midi, symbolise un moment de plénitude, de lumière, mais aussi de pause, un instant où le monde semble suspendu. Le poème s'ouvre sur une invitation à entrer dans l'église, non pas pour prier mais pour regarder, pour être en présence de la Vierge. Ce geste dénote une attitude contemplative et respectueuse, centrée sur l’acte de "regarder" et non de "parler".
La phrase "Je ne viens pas prier. Je n'ai rien à offrir et rien à demander." illustre une humilité profonde. Il n'y a pas d'objectifs religieux ou matériels dans cette démarche ; c'est une rencontre pure, sans condition ni attente, une forme de respect et de vénération dans sa simplicité.
Le poème souligne la puissance du regard dans cette rencontre spirituelle : "Je viens seulement, Mère, pour vous regarder." Cette recherche de la Vierge n’est pas motivée par des demandes ou des prières, mais par le simple désir d’être en sa présence et de contempler sa beauté immaculée. Le regard devient alors un moyen d'union spirituelle, une manière d'entrer en communion avec la Mère de Jésus-Christ, qui devient pour le poète une figure d’amour pur, d'infinie beauté et de grâce.
L’idée de "pleurer de bonheur" renvoie à l'intensité émotionnelle de cette contemplation. Ces larmes ne sont pas des larmes de souffrance mais des larmes de joie pure et de reconnaissance. Cela montre que la rencontre avec la Vierge est une source de réconfort et de transformation, où la beauté et la grâce de Marie viennent apaiser le cœur du poète.
Le poème fait une série d'affirmations sur l'importance et la beauté de Marie. Claudel décrit la Vierge comme "la femme dans la Grâce enfin restituée" et "la créature dans son honneur premier et dans son épanouissement final." Ces lignes soulignent l'idée d'une beauté parfaite et originelle, celle d'une femme qui incarne la pureté et la grâce de Dieu, la toute première création humaine, qui reste intouchée et immaculée.
L’évocation de la Vierge comme étant "intacte ineffablement" et "immaculée" renforce cette vision chrétienne de Marie comme la figure qui, par sa pureté et sa sainteté, permet aux croyants de retrouver l'harmonie avec le divin. Elle devient l'incarnation de la grâce divine, "la Mère de Jésus-Christ, qui est la vérité entre vos bras, et la seule espérance et le seul fruit."
Une dimension particulière du poème est la référence à la France, que Claudel lie à la figure de Marie. Il écrit : "Parce que vous m'avez sauvé, parce que vous avez sauvé la France." Cette affirmation peut être interprétée à la fois dans un sens personnel, où Marie intervient dans la vie du poète, et dans un sens plus large, où la Vierge incarne la force spirituelle qui protège et sauve la nation. Cette idée de protection divine, particulièrement significative pendant les périodes de guerre et de crise, est un thème récurrent dans l'œuvre de Claudel.
Dans ce passage, la France et le poète sont tous deux vus comme des entités ayant besoin du secours de Marie, comme une nation et un individu devant faire face à des épreuves. Claudel exprime sa reconnaissance pour l’intervention divine de Marie à un moment de grande difficulté, renforçant ainsi son rôle de médiatrice entre l'humanité et Dieu.
Le poème se termine par une prière d’action de grâce, où l’auteur remercie la Vierge pour sa présence et son rôle protecteur : "Mère de Jésus-Christ, soyez remerciée !" Cette phrase finale, par sa simplicité et sa solennité, conclut le poème dans un acte de gratitude. Le poème ne cherche pas à résoudre une crise personnelle ou à poser une question à la divinité, mais se veut avant tout un acte de vénération et de reconnaissance envers la Vierge.
La Vierge à midi est un poème de contemplation et de dévotion, où Paul Claudel exprime une relation intime et personnelle avec la Vierge Marie. À travers ce texte, il explore la puissance de la contemplation silencieuse, la beauté spirituelle de Marie, et la place centrale de la Mère de Jésus-Christ dans la foi chrétienne. Le poème se distingue par son intensité émotionnelle et son ton solennel, qui font de cet hommage à la Vierge une forme de prière silencieuse, un acte d’union spirituelle profonde entre le poète et le divin.