1. Un pauvre Bûcheron tout couvert de ramée,
2. Sous le faix du fagot aussi bien que des ans
3. Gémissant et courbé marchait à pas pesants,
4. Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée.
5. Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
6. Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
7. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde ?
8. En est-il un plus pauvre en la machine ronde ?
9. Point de pain quelquefois, et jamais de repos.
10. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
11. Le créancier, et la corvée
12. Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
13. Il appelle la mort, elle vient sans tarder,
14. Lui demande ce qu'il faut faire
15. C'est, dit-il, afin de m'aider
16. A recharger ce bois ; tu ne tarderas guère.
17. Le trépas vient tout guérir ;
18. Mais ne bougeons d'où nous sommes.
19. Plutôt souffrir que mourir,
20. C'est la devise des hommes.
Jean de la Fontaine - Les Fables
Du vers 1 au vers 6
La fable commence par la description d'un pauvre bûcheron, « tout couvert de ramée », qui porte un lourd fagot et souffre sous le poids de la fatigue et de l’âge. Les vers 1 à 6 introduisent un personnage qui incarne la dureté de la vie quotidienne des travailleurs pauvres, marquée par l’effort constant et la souffrance. L’évocation du bûcheron, qui avance lentement sous le faix du bois et des ans, établit dès le début un tableau de misère et de lassitude. Le bûcheron se plaint de sa situation et de sa vie sans soulagement, d’un malheur constant. Le ton est déjà mélancolique, suggérant qu'il en a assez de sa vie difficile.
Du vers 7 au vers 16
À partir du vers 7, le bûcheron exprime ses regrets et sa lassitude, se demandant s’il a connu un quelconque bonheur au cours de sa vie. Il se considère comme l'un des plus pauvres de tous, comparant son sort à une « machine ronde », une métaphore du cycle de la vie, toujours en mouvement, sans fin. Les vers 9 à 12 renforcent l’idée de son malheur constant, agité par des soucis multiples (la faim, les impôts, les soldats, etc.), et l’on comprend qu'il appelle la mort comme une délivrance. Le bûcheron, accablé par la souffrance, lui demande de l’aider à recharger son bois, une demande qui semble paradoxale, car il sollicite la mort non pas pour quitter la vie, mais pour alléger son fardeau quotidien. La Mort, qui répond immédiatement à son appel, arrive sans tarder, prête à satisfaire son souhait, mais elle se rend compte que la vie, aussi pénible soit-elle, fait partie du cycle naturel. Elle évoque la devise humaine qui est de « souffrir plutôt que mourir », soulignant ainsi une forme de résilience et d'acceptation de la condition humaine.
Du vers 17 au vers 20
Dans les derniers vers, la Mort semble prête à intervenir pour soulager la douleur du bûcheron, mais en fin de compte, le bûcheron se rend compte que, malgré la souffrance, la vie continue et que les humains préfèrent souffrir plutôt que de mourir. La dernière phrase, « Plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes », donne à la fable sa morale. Ce proverbe universel résume l’âme humaine, qui, bien que consciente de ses souffrances, préfère vivre dans la douleur plutôt que de quitter ce monde. La fable souligne donc la persévérance humaine face à la souffrance et la manière dont l’être humain s’accroche à la vie, même quand celle-ci semble être un fardeau insupportable. La Mort, même si elle est sollicitée, devient finalement un spectateur de cette réalité.
Le Bûcheron : Il représente la classe laborieuse et misérable, accablée par les difficultés de la vie quotidienne. C’est un personnage qui incarne la souffrance, le travail incessant et l’absence de récompense. Son appel à la Mort montre son épuisement face à une existence sans soulagement.
La Mort : Personnification de la fin de la vie, elle est représentée ici non pas comme une entité terrifiante, mais plutôt comme une figure neutre, prête à intervenir à la demande du bûcheron. Toutefois, elle semble être plus sage que celui-ci, et lui révèle que la souffrance fait partie de la condition humaine.
La morale de cette fable est une réflexion sur la condition humaine : malgré les souffrances de la vie, les êtres humains préfèrent souvent vivre, même dans la douleur, que de choisir la mort. Cela renvoie à une résilience fondamentale de la nature humaine, à un instinct de survie et à une certaine acceptation du fardeau de la vie. La phrase « Plutôt souffrir que mourir » résume cette idée : l’homme, dans sa faiblesse et ses luttes, refuse d’abandonner, préférant endurer la souffrance que de risquer l’inconnu de la mort. La fable invite à une réflexion sur la manière dont l’être humain réagit face à la douleur et à l’épreuve.
Souffrance et travail : Le champ lexical de la souffrance est dominant dans cette fable. Des termes comme « malheur », « souffrir », « douleur », « poids », « corvée » et « fardeau » soulignent l’épuisement du bûcheron et l’oppression de son quotidien.
La mort : Le champ lexical associé à la mort, bien que plus modéré, est présent à travers des mots comme « trépas », « mourir », « délivrance », « guérir », et le concept de fin de vie.
Vie et résilience : Les mots comme « effort », « travail », « pesants », « machine » évoquent l’idée d’un engagement constant dans la vie malgré la dureté des épreuves.
Antithèse : L’opposition entre la souffrance et la vie est marquée par l’antithèse, notamment dans l’opposition entre « souffrir » et « mourir » dans le dernier vers, qui souligne la difficulté mais aussi la persévérance humaine.
Métaphore : Le bûcheron est comparé à une « machine ronde » (vers 8), une image qui renforce l’idée d’une vie mécanisée et répétitive, sans fin et sans récompense.
Personnification : La Mort est personnifiée, non pas comme un personnage terrifiant, mais comme une entité presque indifférente, prête à exécuter le souhait du bûcheron.
Dénoté : Les mots renvoient directement à la réalité de la vie du bûcheron, à ses difficultés de survie, à la fatigue, à la pauvreté et à l’épuisement du corps.
Connoté : La fable évoque des questions plus profondes sur la condition humaine, la souffrance, la mort et la résilience. La Mort, ici, n’est pas simplement une fin, mais un concept plus philosophique, qui renvoie à la réflexion sur la vie et le passage du temps.
Péjoratif : Les termes qui décrivent la situation du bûcheron, comme « malheureux », « souffrir », « fardeau », et « corvée », ont une connotation péjorative. Ils dépeignent une vie difficile et oppressante.
Mélioratif : Le choix de vivre malgré la souffrance, de « souffrir plutôt que mourir », a une connotation plus méliorative. Il montre la dignité humaine dans la résistance à l’adversité, malgré les difficultés.