9e poème : Jésus tombe une troisième fois
« Je suis tombé encore, et cette fois, c'est la fin.
Je voudrais me relever qu'il n'y a pas moyen.
Car on m'a pressé comme un fruit et l'homme que j'ai sur le dos est trop lourd.
J'ai fait le mal, et l'homme mort avec moi est trop lourd !
Mourons donc, car il est plus doux d'être à plat ventre que debout,
Moins dur de vivre que de mourir, et sur la croix que dessous. »
Sauvez-nous du Troisième péché qui est le désespoir !
Rien n'est encore perdu tant qu'il reste la mort à boire !
Et j'en ai fini de ce bois, mais il me reste le fer !
Jésus tombe une troisième fois, mais c'est au sommet du Calvaire.
Introduction :
Le neuvième poème de Chemin de la Croix de Paul Claudel, intitulé "Jésus tombe une troisième fois", plonge le lecteur dans un moment de désespoir ultime, où Jésus, accablé sous le poids de la croix et de la culpabilité humaine, semble se retrouver à la limite de l’effondrement total. Dans ce poème, Claudel explore la thématique du désespoir, du poids du péché, et de la persévérance dans l’ultime épreuve. À travers la chute finale du Christ, l'auteur met en scène non seulement une défaite apparente du corps, mais aussi une victoire possible sur le péché et la souffrance. Ce poème invite à réfléchir sur l’idée du désespoir comme épreuve divine et la possibilité de rédemption malgré tout. Nous analyserons cette œuvre en trois axes : la représentation du désespoir, la lutte contre le péché, et la rédemption qui se cache derrière la souffrance.
1. Le désespoir : une chute définitive ?
Dans ce poème, la troisième chute de Jésus est perçue comme celle de la fin, une chute définitive où l’espoir semble inexistant. Jésus exprime un sentiment de désespoir total, affirmant : "Je voudrais me relever qu'il n'y a pas moyen." Le Christ est accablé, écrasé par le poids de ses souffrances et de l’humanité qu’il porte. Cette chute n’est pas simplement physique ; elle représente aussi la tentation du désespoir spirituel, de se laisser aller face à l’énormité de la tâche et de la souffrance. La phrase "J'ai fait le mal, et l'homme mort avec moi est trop lourd !" met en lumière l'identification de Jésus à l'humanité pécheresse, qui l’a condamné à ce fardeau insupportable. Cette image de Jésus à terre incarne l’idée que, dans certains moments de la vie, l’homme peut se sentir submergé par le mal et par les épreuves. Il est à la fois victime et porteur des péchés du monde, et sa souffrance atteint un point de non-retour.
2. Le poids du péché et la lutte contre l’injustice : l’humanité de Jésus en tension
Dans ce poème, le Christ ne porte pas seulement le fardeau physique de la croix, mais aussi le fardeau du péché humain, incarné par l’homme qu’il porte "sur le dos". Claudel explore ici l’idée que Jésus porte un poids bien plus lourd que celui de la croix : le fardeau des fautes humaines. "Mourons donc, car il est plus doux d'être à plat ventre que debout," exprime cette tension entre la souffrance et la tentation du renoncement. Jésus semble épuisé au point de penser que mourir pourrait être moins douloureux que de continuer à vivre et à souffrir pour l’humanité. Toutefois, cette lutte contre l'injustice, le péché et la souffrance prend une forme universelle, car la figure de Jésus nous invite à réfléchir sur nos propres épreuves et notre capacité à porter nos croix personnelles. Par la chute, Claudel montre que la souffrance n’est jamais absurde ; elle est un moyen de rédemption et de purification. Le "mal" est porté par le Christ, mais il se transforme en une lutte intérieure pour la rédemption.
3. La rédemption dans la souffrance : un espoir dissimulé dans la chute
Malgré l’apparente victoire du désespoir sur Jésus, il reste une lueur d’espoir dans cette chute finale. Le poème se termine par une note paradoxale : "Rien n'est encore perdu tant qu'il reste la mort à boire!" Claudel souligne ici que, même dans les moments les plus sombres de la souffrance, il existe une possibilité de rédemption. La souffrance de Jésus, aussi intense soit-elle, n’est pas un échec définitif, mais une étape vers la rédemption. La phrase "j'en ai fini de ce bois, mais il me reste le fer!" suggère que la souffrance physique (symbolisée par le bois de la croix) est à peine terminée, et qu’il reste encore à endurer la souffrance spirituelle (représentée par le fer des clous). Cependant, cette souffrance est porteuse de rédemption, et la troisième chute, bien qu’apparente, annonce la fin de la passion et l’entrée dans la rédemption. Ainsi, Claudel nous rappelle que le Christ, dans sa souffrance, ouvre la voie à une nouvelle vie, par-delà la souffrance et la mort.
Conclusion :
Dans Jésus tombe une troisième fois, Paul Claudel nous fait vivre l’extrême souffrance de Jésus, écrasé par le poids de la croix et des péchés du monde, dans une chute qui semble définitive. Cependant, cette chute n’est pas une fin, mais une étape sur le chemin de la rédemption. La souffrance, bien qu'intolérable, n'est pas le point final de l’histoire, car elle ouvre la voie à la rédemption pour l'humanité. Ce poème nous interroge sur le désespoir, sur la manière dont l’humanité lutte contre le mal et comment la souffrance peut mener à la rédemption. Le Christ, tout en tombant, porte la rédemption de l’humanité sur ses épaules, et cette chute devient le prélude à la résurrection. Claudel, en mettant en lumière cette lutte et cette souffrance, nous invite à une réflexion profonde sur le sens de la souffrance humaine et divine, et sur l’espoir qui se cache toujours derrière l’obscurité de la croix.