Il y avait un jour un rat
Et tellement on avait dû le maltraiter,
Je dirai mieux, c'était un mouton,
Et tellement on avait dû l'écraser,
Mais c'était, je le jure, un éléphant,
Et d'ailleurs, qu'on me comprenne bien,
Un de ces immenses troupeaux d'éléphants d'Afrique.
Qui ne sont jamais assez gros,
Et bien donc tellement on l'avait écrasé.
Et les rats suivaient, et ensuite les moutons,
Et tellement écrasés.
Et il y avait encore la canaille,
Et tellement écrasée
Et non seulement la canaille
Non seulement écrasée... non seulement rentrée...
Oh! poids!
Oh! anéantissement!
Oh! pelures d'Êtres!
Face impeccablement ravissante de la destruction!
Savon parfait,
Dieu que nous appelons à grands cris.
Il t'attend, ce monde insolemment rond.
Il t'attend.
Oh!
Aplatissement!
Oh!
Dieu parfait!
Introduction
Henri Michaux, poète de la complexité et de l’absurde, nous plonge une fois de plus dans un univers où l’humain et l’animal se mêlent, où les réalités se déforment et se fragmentent. Dans Mon Dieu, il mêle des images d'animaux maltraités et d’êtres écrasés dans une vision apocalyptique où la destruction se fait à la fois tragique et ironique. Le poème questionne la souffrance, l'anéantissement, et la divinité dans un monde où tout semble voué à l'écrasement. À travers cette métaphore, Michaux dresse un tableau de la dévastation, tout en abordant les limites de l'existence humaine face à l'immensité du monde.
Le poème comme accumulation d’images déformées
Le poème débute par une série d’images animales qui se superposent et s’entrelacent de manière surprenante et absurde : "un rat", "un mouton", "un éléphant". Cette accumulation d'animaux symbolise non seulement l’absurdité de la situation, mais aussi une certaine dégradation des formes, des identités. L’auteur semble rendre floue la distinction entre les espèces, ce qui rend l’ensemble plus chaotique et moins compréhensible. Cette série est progressivement amplifiée par l'expression "tellement on avait dû l'écraser", qui accentue l’idée de violence, de maltraitance et de dégradation, jusqu'à une dissolution totale des formes animales, comme une sorte de métamorphose douloureuse, une érosion identitaire. Le rat devient un mouton, qui devient un éléphant, tout cela dans une succession qui s'effondre dans un anéantissement irrémédiable.
Le poids et l'absurdité de la destruction
L'évocation de la destruction dans le poème ne se limite pas à une simple énumération d’images violentes ; elle prend une dimension presque philosophique avec l'exclamation "Oh! poids! Oh! anéantissement!". Ces interjections dénotent un désespoir profond, une acceptation de la fragilité humaine et animale face à l’injustice du monde. L’énumération devient un cri de révolte contre la souffrance et la disparition de l’être, qu’il soit animal ou humain. L’"aplatissement" évoqué dans le poème symbolise à la fois la fin et la compression de tout ce qui existe dans un espace-temps où tout est écrasé par une force incontrôlable. Cela rappelle les angoisses existentielles de Michaux, où la souffrance est omniprésente et où la réponse à cette douleur semble être une immense et irréversible chute.
La divinité et la quête d’un salut impossible
La mention de "Dieu" dans le poème, qui est appelé "à grands cris", évoque une quête de réconfort face à l'immensité de la destruction. Pourtant, ce Dieu semble lointain, inaccessibile, presque indifférent à la souffrance du monde : "Il t’attend, ce monde insolemment rond." Ce monde, "rond", pourrait symboliser une existence cyclique, une réalité qui semble se répéter et se résumer à l’inexorable écrasement des êtres, sans espoir de salut. Michaux interroge ici la divinité, mais sans espoir de rédemption. Le Dieu auquel il fait appel semble bien éloigné de l’humanité souffrante, et le poème se termine sur une note presque désespérée, où l’"aplatissement" et la "perfection" de Dieu se mêlent à une image de désillusion et d’impuissance.
Conclusion
Dans Mon Dieu, Henri Michaux dépeint une vision du monde où la destruction et l’écrasement sont omniprésents. À travers une accumulation d’images animales et une métaphore de la souffrance démesurée, il questionne l’existence, la divinité, et la place de l’homme dans un monde absurde et dévasté. L’appel à Dieu semble être un cri désespéré, sans réelle espérance de réponse. Le poème est une exploration de la violence de l'existence, un questionnement sur l’impossibilité de trouver une véritable rédemption dans un monde voué à la destruction. Ainsi, Michaux, tout en faisant écho à l'absurde, nous invite à méditer sur la fragilité de l’existence et sur la vacuité des aspirations humaines face à l’immensité du cosmos.