Une Grenouille vit un Bœuf
Qui lui sembla de belle taille.
Elle, qui n'était pas grosse en tout comme un œuf,
Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,
Pour égaler l'animal en grosseur,
Disant : « Regardez bien, ma sœur ;
Est-ce assez ? dites-moi ; n'y suis-je point encore ?
- Nenni. - M'y voici donc ? - Point du tout. - M'y voilà ?
- Vous n'en approchez point. » La chétive pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.
Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :
Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,
Tout marquis veut avoir des pages.
Jean de la Fontaine - Les Fables
Vocabulaire :
Pécore : femme sotte, prétentieuse, impertinente.
Page : jeune homme généralement d'origine noble, attaché au service d'une personne importante.
Du vers "Une Grenouille vit un Bœuf" au vers "Pour égaler l'animal en grosseur"
Dans cette première section de la fable, La Fontaine présente la Grenouille et le Bœuf. La Grenouille, qui est de taille modeste, aperçoit un Bœuf impressionnant et ressent une envie irrationnelle de l'égaler en taille. Ce début met en lumière la jalousie et l’ambition démesurée de la Grenouille, qui, au lieu de se contenter de sa condition, cherche à se surpasser dans un domaine qui lui est étranger. L’introduction marque déjà l’idée centrale de la fable : le désir d’égaler autrui dans des qualités qui ne lui conviennent pas.
Du vers "Disant : « Regardez bien, ma sœur" au vers "Vous n'en approchez point."
Dans cette partie, la Grenouille, déterminée à égaler le Bœuf, demande à sa sœur si elle a réussi à atteindre la taille de l’animal. À chaque essai, elle se voit répondre négativement, ce qui la pousse à s’enfler de plus en plus dans un effort vain. Cette partie montre l’absurdité de son entreprise et la fausse perception qu’elle a d’elle-même. La grenouille se laisse guider par son orgueil et son désir de se comparer, sans prendre en compte ses limites naturelles. Son refus de se contenter de ce qu’elle est l’entraîne dans une démarche qui ne pourra que conduire à sa perte.
Du vers "La chétive pécore" au vers "Tout marquis veut avoir des pages."
La conclusion de la fable présente la fin tragique de la Grenouille, qui, dans sa quête insensée pour égaler le Bœuf, finit par éclater sous l’effort. Cette chute représente la conséquence de vouloir s’imposer dans un domaine où l’on n’a pas sa place. La Fontaine généralise ensuite cette situation à toute la société, en indiquant que les bourgeois, princes et marquis cherchent tous à imiter ceux qui sont plus grands qu’eux, mais ce désir d’imitation est souvent voué à l’échec. La morale sous-jacente est un appel à l’acceptation de soi et à la reconnaissance de ses propres limites.
La Grenouille : Elle représente la personne qui, par vanité ou ambition, cherche à imiter ceux qui sont plus puissants ou plus importants qu’elle. Son incapacité à accepter sa condition naturelle et son désir d’ascension sociale la rendent aveugle à sa propre petitesse. Elle est la figure de ceux qui veulent dépasser leur statut social sans en avoir les moyens, ce qui les conduit à la ruine.
Le Bœuf : Le Bœuf symbolise la grandeur naturelle, la puissance et la position sociale élevée. Il incarne ceux qui, par leur condition ou leur mérite, occupent une place dominante, mais qui ne sont pas affectés par les tentatives d’imitation des autres. Le Bœuf reste une figure stable et inaltérée par la vanité des autres.
La morale de la fable est une critique de l’ambition démesurée et de l’orgueil. La Fontaine met en garde contre ceux qui, par désir de ressembler aux plus grands, cherchent à obtenir des choses qui ne leur correspondent pas. Le message central est : "Il faut se contenter de ce que l’on est et ne pas chercher à se mesurer à ceux qui nous dépassent naturellement." Cette fable reflète également les inégalités sociales, en particulier la notion selon laquelle il est vain d’essayer de dépasser sa classe sociale par des moyens artificiels. Le destin tragique de la Grenouille souligne que cet effort mène à la destruction plutôt qu’à la réussite.
Champs lexicaux de l’envie et de la comparaison : "Grosse", "envieuse", "égaler", "regardez", "approchez" : Ce champ lexical met en évidence la jalousie et le désir de la Grenouille de se comparer et de se mesurer à un autre. Chaque mot qui souligne son effort de se rapprocher de la taille du Bœuf accentue sa frustration et son impuissance.
Champs lexicaux de la vanité et de l’orgueil : "S’étend", "s’enfle", "se travaille", "vous n'en approchez point" : Ces termes montrent l’effort vain de la Grenouille pour imiter ce qui est impossible pour elle. L’utilisation du mot "travaille" suggère une tentative démesurée et sans résultat.
Hyperbole : L’expression "s'enfla si bien qu'elle creva" est une hyperbole, un exagère qui montre jusqu’où la Grenouille va dans sa tentative de se grandir au-delà de ses moyens. Elle pousse son ambition à l’extrême, ce qui la conduit à sa perte.
Antithèse : L’opposition entre la petite Grenouille et le grand Bœuf crée une antithèse qui illustre le contraste entre les deux personnages et les deux mondes : celui de l’ambition futile et celui de la grandeur stable.
Ironie : La fin de la fable, où la Grenouille éclate sous l’effort d’égaler le Bœuf, est empreinte d’ironie. L’ironie réside dans le fait que, plus elle cherche à imiter, plus elle se rapproche de sa destruction.
Connoté : La Grenouille est connotée comme une figure de l’ambition mal orientée, de l’orgueil et de la vanité. Elle est perçue comme une personne qui refuse d’accepter ses limites naturelles. Le Bœuf, quant à lui, est connoté comme une figure d’autorité et de stabilité sociale, un modèle difficile à atteindre.
Dénoté : La Grenouille est simplement un petit animal aquatique, et le Bœuf est un grand herbivore. Cependant, dans le contexte de la fable, ces animaux sont chargés de significations morales et sociales.
Péjoratif : La Grenouille est clairement perçue de manière péjorative, à la fois pour son ambition excessive et pour sa naïveté. Sa fin tragique souligne son échec. L’ironique "chétive pécore" l'enfonce encore davantage dans l’image d’une figure ridicule.
Mélioratif : Le Bœuf, bien qu’il soit passif dans l’histoire, est vu de façon méliorative, représentant une force stable et une grandeur naturelle que la Grenouille cherche vainement à égaler.
En somme, cette fable est une satire des ambitions excessives et de l’imitation futile des puissants. Elle critique la société et ses faux désirs d’ascension sociale, tout en soulignant l’importance de l’humilité et de l’acceptation de ses propres limites. La Fontaine nous avertit des dangers de vouloir imiter ceux qui sont hors de notre portée.