C'est fini. Nous avons jugé Dieu et nous l'avons condamné à mort. Nous ne voulons plus de Jésus-Christ avec nous, car il nous gêne. Nous n'avons plus d'autre roi que César ! d'autre loi que le sang et l'or!
Crucifiez-le, si vous le voulez, mais débarrasser-nous de lui ! Qu'on l'emmène !
Tolle ! Tolle ! Tant pis ! Puisqu'il le faut, qu'on l'immole et qu'on nous donne Barabbas !
Pilate siège au lieu qui est appelé Gabbatha.
"N'as-tu rien à dire ? " dit Pilate. Et Jésus ne répond pas. "Je ne trouve aucun mal en cet homme", dit Pilate, "mais bah !
Qu'il meure, puisque vous y tenez ! Je vous le donne. Ecce homo. " Le voici, la couronne en tête et la pourpre sur le dos.
Une dernière fois vers nous ces yeux pleins de larmes et de sang !
Qu'y pouvons-nous ? Pas moyen de le garder avec nous plus longtemps. Comme il était un scandale pour les Juifs, il est parmi nous un non-sens.
La sentence d'ailleurs est rendue, rien n'y manque, en langages hébraïque, grec et latin.
Et l'on voit la foule qui crie et le juge qui se lave les mains.
Introduction :
Dans le premier poème du Chemin de la Croix de Paul Claudel, intitulé "Jésus est condamné à mort", l'auteur présente un moment fondamental du Christ dans la Passion : sa condamnation par Pilate, un épisode de rejet et d’injustice. Ce texte ne se limite pas à une simple narration des événements, mais devient une réflexion profonde sur la relation entre l'homme et le divin, la responsabilité humaine et le refus de la vérité. Claudel dépeint ici l'absurde jugement des hommes, l'isolement de Jésus face à son destin et le rejet de l'amour divin incarné par le Christ. À travers la voix de l'humanité, l'auteur propose une réflexion poignante sur la condition humaine et la confrontation à la souffrance et à l'innocence. Ce commentaire se déploie autour de trois axes : le rejet de la figure du Christ, la violence de la décision humaine, et la solitude du Christ face à sa destinée.
1. Le rejet de la figure du Christ et le choix du pouvoir terrestre
Dès les premiers vers du poème, Claudel met en scène un rejet brutal de Jésus-Christ par la foule et par les autorités. Les paroles "Nous avons jugé Dieu et nous l'avons condamné à mort" expriment une rupture fondamentale avec le divin, un acte d’hostilité envers celui qui incarne l’amour et la vérité. La foule, aveuglée par ses propres intérêts et sa peur, n’hésite pas à préférer Barabbas, un criminel, à l’innocent Jésus. Ce rejet est aussi symbolique du choix du pouvoir terrestre sur le spirituel : "Nous n'avons plus d'autre roi que César ! d'autre loi que le sang et l'or !" L’aspiration au pouvoir matériel et aux valeurs humaines semble dominer toute considération morale. Ce choix incarne la défaite de l’humanité, qui préfère le confort et la sécurité du système établi au lieu d’accepter l’inconfort de la vérité incarnée par Jésus.
2. La violence de la décision humaine : Pilate, le juge lâche
Le personnage de Pilate, tel qu’il est décrit par Claudel, incarne l’homme qui, bien qu’ayant connaissance de l’innocence de Jésus, se soumet à la pression de la foule et choisit de ne pas intervenir. "Je ne trouve aucun mal en cet homme", dit Pilate, mais il se lave les mains et se rend à la volonté de la multitude, un geste de lâcheté qui souligne la violence symbolique de sa décision. Cette attitude de Pilate est révélatrice de la nature humaine confrontée à la responsabilité : devant l’injustice, l’homme se détourne, incapable d’agir selon ses convictions. Le geste de se laver les mains devient un symbole de la dissimulation de la responsabilité individuelle face au mal, un mal qui continue de prospérer quand l’individu se contente d’une neutralité passive. Claudel pointe ici la tragédie de l’humanité : l’incapacité de s’opposer à l’injustice par peur des conséquences personnelles.
3. La solitude du Christ face à sa destinée
Au centre de ce poème, il y a la figure solitaire de Jésus, qui semble être laissé à son sort par l’humanité. "Une dernière fois vers nous ces yeux pleins de larmes et de sang !" Cette image de Jésus, accablé par la souffrance, n’est pas seulement celle du Christ en tant que victime de la violence humaine, mais aussi celle d’un être dont la vérité, incarnée par l’amour et la justice, est rejetée et incomprise. Dans ce regard "plein de larmes et de sang", Claudel nous invite à voir la souffrance non seulement physique, mais aussi spirituelle et morale de celui qui porte la rédemption de l’humanité. Jésus, dans ce moment de solitude extrême, est l’ultime reflet de la condition humaine, abandonnée dans l’ignorance et l’injustice. Ce rejet final de la divinité et de la vérité est une dénonciation de l’aveuglement humain face à la grâce.
Conclusion :
Le premier poème du Chemin de la Croix de Paul Claudel est une réflexion intense sur la condition humaine, la responsabilité individuelle et la souffrance du Christ. À travers le rejet de Jésus, la violence de l’acte judiciaire et la solitude du Christ face à son destin, Claudel nous invite à une méditation sur l’injustice, le renoncement et la rédemption. Ce texte est bien plus qu’une simple évocation d’un événement biblique : il devient un miroir de notre propre relation avec la vérité, le pouvoir et la souffrance, et nous pousse à interroger notre propre humanité face au divin.