La musique souvent me prend comme une mer !
Vers ma pâle étoile,
Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,
Je mets à la voile ;
La poitrine en avant et les poumons gonflés
Comme de la toile
J'escalade le dos des flots amoncelés
Que la nuit me voile ;
Je sens vibrer en moi toutes les passions
D'un vaisseau qui souffre ;
Le bon vent, la tempête et ses convulsions
Sur l'immense gouffre
Me bercent. D'autres fois, calme plat, grand miroir
De mon désespoir !
Les Fleurs du mal - Section Spleen et Idéal - Charles Baudelaire
Introduction
La Musique est un poème extrait de la section Spleen et Idéal du recueil Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire. Ce poème, comme beaucoup d'autres dans ce recueil, explore les thèmes de la mélancolie, de la quête intérieure et de la recherche du sublime. À travers l'évocation de la musique, Baudelaire crée une métaphore de l'âme en mouvement, comparant son expérience émotionnelle à celle d'un voyage sur la mer.
Le poème est composé de cinq strophes de forme libre. Il est marqué par un rythme fluide et une musicalité prononcée, ce qui reflète parfaitement le thème central de la musique. Baudelaire utilise des métaphores maritimes pour exprimer ses états d'âme et ses émotions intérieures, particulièrement l'idée de se laisser emporter par des forces qui le dépassent.
L'Appel de la Musique : Voyage et Évasion
Le poème commence par une déclaration forte et poétique :
“La musique souvent me prend comme une mer !”
La musique est ici personnifiée et comparée à la mer, un élément vaste, puissant et mystérieux. Elle prend le poète "comme une mer", c'est-à-dire qu'elle le submerge, l'envahit, le transporte dans un monde qui échappe à sa maîtrise. La musique devient un moyen d’évasion, un voyage spirituel :
“Vers ma pâle étoile, / Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther.”
Ces vers décrivent une quête vers l'inaccessible, une étoile distante et une brume qui symbolisent l'incertitude et le mystère.
L’Ascension et l’Expansion de l’Âme
Les vers suivants décrivent l'ascension du poète, presque héroïque, face à la mer :
“La poitrine en avant et les poumons gonflés / Comme de la toile.”
Le poète se prépare à une aventure intense, une quête spirituelle ou émotionnelle, avec la musique comme moteur. La métaphore du vaisseau qui prend le vent et qui grimpe les vagues traduit la force intérieure qui pousse le poète à dépasser ses limites, à se laisser emporter par cette mer de son propre désir ou de ses émotions. La comparaison avec le vaisseau renforce l'idée de mouvement et de souffrance :
“Je sens vibrer en moi toutes les passions / D'un vaisseau qui souffre.”
Le Combat Intérieur : Tempête et Calme
Les strophes suivantes évoquent des états émotionnels contrastés. Le poète ressent aussi la force de la tempête et ses convulsions :
“Le bon vent, la tempête et ses convulsions / Sur l'immense gouffre / Me bercent.”
Ici, la mer symbolise les émotions extrêmes, les passions tumultueuses qui secouent l'âme du poète. L'usage de termes comme "tempête" et "convulsions" accentue l'idée de chaos intérieur et de lutte. Cependant, le poème se termine sur une note de calme plat, avec un “grand miroir” représentant le désespoir du poète :
“D'autres fois, calme plat, grand miroir / De mon désespoir !”
Ce calme contrasté évoque une sensation de stagnation, de vide, où la mer et la musique ne sont plus qu'un reflet de la mélancolie et de l'isolement du poète.
La mer dans ce poème représente à la fois une force naturelle et une métaphore des émotions humaines : vaste, insondable et parfois dévastatrice. La musique, de son côté, devient l’élément catalyseur qui permet au poète de ressentir et d’exprimer ces émotions. Elle est à la fois une source d’évasion et un reflet de ses tourments intérieurs. La mer et la musique se répondent dans leur capacité à emporter le poète, à le submerger.
La Musique de Baudelaire est un poème où le poète se laisse emporter par la force de la musique, comparée à la mer, à travers des métaphores maritimes puissantes. La musique est un moyen pour Baudelaire de naviguer à travers ses émotions, de chercher à s'échapper de la réalité tout en étant constamment rattrapé par ses propres démons intérieurs. La mer, à la fois calme et tempétueuse, devient le reflet des états d’âme du poète, capturant ainsi l’essence même du spleen baudelairien, où le désir d’évasion se heurte à la dureté de la réalité.