France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?
France, France, réponds à ma triste querelle.
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix.
Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine
D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau.
Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau.
Ce poème est extrait du recueil Les Regrets (1558), écrit par Joachim Du Bellay, un poète français du XVIe siècle et membre du groupe de la Pléiade. La Pléiade visait à enrichir la langue française et à imiter les formes classiques de la poésie grecque et latine. Ce poème fait partie de ses célèbres œuvres exprimant la douleur et la mélancolie de l'exil, un thème central dans le recueil. Du Bellay se trouve alors à Rome, loin de sa patrie, et il utilise la poésie pour exprimer son amour et sa souffrance vis-à-vis de la France, qu'il idéalise comme une "mère des arts, des armes et des lois". Le poème reflète une plainte envers son pays natal, une sorte de regret et de rejet qu'il ressent dans son exil.
L’idée centrale de ce poème est l'expression de la nostalgie et de la souffrance du poète, qui se sent rejeté et abandonné par la France, la terre nourricière. La France, qui a autrefois été une mère pour Du Bellay, semble désormais indifférente à son appel. Il se compare à un agneau perdu et appelle la France à répondre à ses souffrances, mais il n’entend que l'écho de sa voix. Le poème reflète aussi l’isolement du poète face à la froideur de l'hiver, symbole de son abandon, et la douleur de se sentir rejeté.
Le poème est un sonnet composé de 14 vers alexandrins, structurés en quatrains et tercets :
Première strophe (quatrain) :
Rimes embrassées : ABBA
"France, mère des arts, des armes et des lois, (A)
Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle : (B)
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle, (B)
Je remplis de ton nom les antres et les bois." (A)
Explication : Le poète commence par une déclaration d’admiration envers la France, qu’il considère comme une "mère" nourrissante et protectrice. Il se compare à un agneau qui, après avoir été nourri par la France, l’appelle à nouveau. Il utilise l’image de l’agneau pour souligner sa dépendance et son attachement à sa patrie.
Deuxième strophe (quatrain) :
Rimes embrassées : ABBA
"Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois, (A)
Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ? (B)
France, France, réponds à ma triste querelle. (B)
Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix." (A)
Explication : Du Bellay exprime ici sa douleur de ne pas être entendu par la France, qu’il avait autrefois perçue comme sa "mère". Il se sent abandonné et son appel n’est répondu que par l’écho, ce qui accentue son sentiment de solitude. Le poème met en évidence l’isolement du poète dans son exil.
Troisième strophe (tercet) :
Premiers deux vers avec des rimes plates : AA
"Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine, (A)
Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine (A)"
Dernier vers avec rimes embrassées (ABBA) :
"D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau." (B)
Explication : Dans cette strophe, Du Bellay se sent perdu et vulnérable, errant parmi les "loups cruels", qui symbolisent les dangers qui l’entourent. L’image de l’hiver et de la "froide haleine" évoque la douleur et la peur, mettant en lumière l’angoisse du poète. Le "tremblement" de sa peau renforce la souffrance et l'effroi qu’il ressent.
Quatrième strophe (tercet) :
Rimes embrassées (ABBA)
"Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture, (A)
Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure : (B)
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau." (A)
Explication : Ici, Du Bellay exprime un sentiment de jalousie et de frustration. Il se compare à d’autres "agneaux" qui ne connaissent pas les difficultés qu’il endure. Les autres agneaux (les autres Français) ne craignent ni les dangers extérieurs ni le froid, tandis que lui, le poète, se trouve dans une situation de souffrance extrême. Il se perçoit comme le plus malheureux du groupe.
Le poème est un sonnet en alexandrins (vers de 12 syllabes). La structure des rimes est la suivante :
Premiers quatrains : rimes embrassées ABBA
Tercets : les deux premiers vers sont des rimes plates (AA), et le dernier vers adopte des rimes embrassées (ABBA).
Le poème alterne les rimes masculines et féminines de la manière suivante :
Masculines : lois/bois, quelquefois/voix, peau/troupeau
Féminines : mamelle/appelle, querelle/cruelle, plaine/haleine, pâture/froidure
Les rimes sont de divers types :
Pauvres : lois/bois, quelquefois/voix
Suffisantes : mamelle/appelle, cruelle/querelle, peau/troupeau, pâture/froidure
Riches : plaine/haleine
Métaphore : "France, mère des arts, des armes et des lois" - La France est comparée à une mère nourrissante, symbolisant la protection et l'éducation.
Comparaison : "Comme un agneau qui sa nourrice appelle" - Le poète se compare à un agneau qui appelle sa mère, soulignant sa dépendance.
Anaphore : "France, France" - La répétition du mot "France" renforce l'appel désespéré du poète.
Oxymore : "D'une tremblante horreur" - La contradiction dans l'expression "tremblante horreur" intensifie la peur ressentie.
Personnification : "L'hiver, de qui la froide haleine" - L’hiver est personnifié, étant décrit comme capable de souffler une haleine froide, ce qui rend le poème encore plus angoissant.
Allégorie : "Les loups cruels" - Les loups représentent les dangers auxquels le poète fait face, symbolisant les obstacles dans son exil.
Parallélisme : "Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure" - La répétition de la structure grammaticale met en évidence la différence entre les autres et lui-même.
Le thème principal du poème est la nostalgie et le regret du poète, qui se sent rejeté et abandonné par sa patrie, la France. Le poème reflète également l'isolement et la souffrance de l'exil, la douleur de l'absence de réponse à ses appels, et le sentiment de se sentir abandonné malgré l’attachement profond qu'il porte à sa terre natale. La France, qu’il idéalisait autrefois, ne répond plus à son appel, laissant le poète dans un état de solitude et de tristesse.
Le poème "France, mère des arts, des armes et des lois" de Joachim Du Bellay, tiré de son recueil Les Regrets (1558), reflète la douleur de l'exil. Écrit à Rome, où Du Bellay séjourne, ce poème est une lamentation de l'auteur, qui se sent abandonné par sa patrie, la France. À travers cette poésie, il exprime à la fois son amour pour son pays natal et sa souffrance face à l'indifférence qu'il perçoit de sa part. Le poème, sous forme de sonnet, utilise des métaphores, des comparaisons et d'autres figures de style pour mettre en valeur cette émotion.
"France, mère des arts, des armes et des lois,"
"Tu m'as nourri longtemps du lait de ta mamelle :
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois."
Dans cette première strophe, Du Bellay commence par l'exaltation de la France, qu'il décrit comme "mère des arts, des armes et des lois", lui attribuant une place centrale dans l'histoire de la culture et de la civilisation. L'idée de "mère" donne une dimension affective et protectrice à la France, qu'il considère comme celle qui l'a nourri et élevé. L’image de "lait de ta mamelle" est une métaphore de l’éducation et du soutien que la France a offerts à l'auteur, lui permettant de se développer et de s’épanouir.
Puis, le poète se compare à "un agneau qui sa nourrice appelle", une comparaison qui exprime sa dépendance affective à la France. L'agneau est une image de vulnérabilité et de douceur, un être fragile qui a besoin de protection. Cette image renforce l'idée de la France comme mère nourrissante. Enfin, le poème se termine sur l’image de l’auteur qui "remplis de ton nom les antres et les bois", ce qui suggère que le nom de la France résonne dans tous les recoins de la nature, une métaphore de l’omniprésence et de l’amour profond qu’il éprouve pour son pays.
"Si tu m'as pour enfant avoué quelquefois,"
"Que ne me réponds-tu maintenant, ô cruelle ?"
"France, France, réponds à ma triste querelle."
"Mais nul, sinon Écho, ne répond à ma voix."
Dans cette deuxième strophe, Du Bellay commence à exprimer son désarroi. Il évoque son passé où la France l’a "avoué" comme son enfant, mais aujourd’hui, il ne reçoit plus de réponse. Il utilise ici l’expression "ô cruelle" pour désigner la France, une épithète qui montre combien il ressent cette absence de réponse comme une souffrance. L’image de "Écho" est une personnification, où Écho répond à sa voix, mais son écho n’est qu’un simple reflet, sans véritable substance. Cela renforce l’idée que la France ne répond plus aux appels du poète, ce qui accentue son sentiment de solitude.
"Entre les loups cruels j'erre parmi la plaine,"
"Je sens venir l'hiver, de qui la froide haleine"
"D'une tremblante horreur fait hérisser ma peau."
Dans cette strophe, Du Bellay exprime son isolement physique et émotionnel. Il se retrouve "entre les loups cruels", une métaphore pour désigner les dangers qui l’entourent, qu’ils soient réels ou symboliques. Les "loups" représentent la menace extérieure, mais aussi peut-être la cruauté du monde qui l’entoure. Le poète évoque aussi "l'hiver", symbole du froid, de la solitude, et de l’hostilité. L’expression "froide haleine" personnifie l’hiver, comme une entité capable de souffler sur lui. Cette image crée un climat de peur et d’inconfort. La phrase "d’une tremblante horreur fait hérisser ma peau" utilise une personnification de l’horreur et une métaphore pour décrire l’effet physique de la peur sur le poète, qui ressent une sensation de froid intense, renforçant l’idée de sa souffrance.
"Las, tes autres agneaux n'ont faute de pâture,"
"Ils ne craignent le loup, le vent ni la froidure :
Si ne suis-je pourtant le pire du troupeau."
Dans cette dernière strophe, Du Bellay se compare à "d'autres agneaux", des individus qui ne rencontrent pas les mêmes difficultés que lui. Ils ont "pâture", c’est-à-dire qu'ils ont ce dont ils ont besoin pour vivre, sans être confrontés aux mêmes souffrances. Les autres agneaux ne "craignent le loup, le vent ni la froidure", c’est-à-dire qu'ils ne connaissent pas les dangers ni les adversités que lui subit. Le poète se sent donc à la fois rejeté et incompris, et se perçoit comme le "pire du troupeau", une hyperbole qui montre à quel point il se considère malheureux et victime d’une injustice.
Le poème est un sonnet en alexandrins, c'est-à-dire composé de vers de 12 syllabes. La structure des rimes suit un schéma précis : les deux premiers quatrains utilisent des rimes embrassées (ABBA), tandis que les tercets commencent par deux vers aux rimes plates (AA), suivis d'un dernier vers avec des rimes embrassées (ABBA). Le poème alterne entre des rimes masculines et féminines de manière régulière, comme par exemple les rimes masculines "lois/bois", "quelquefois/voix" ou "peau/troupeau", et les rimes féminines "mamelle/appelle", "querelle/cruelle", "plaine/haleine" ou "pâture/froidure". En termes de richesse des rimes, on distingue des rimes pauvres ("lois/bois", "quelquefois/voix"), des rimes suffisantes ("mamelle/appelle", "cruelle/querelle", "peau/troupeau", "pâture/froidure") et des rimes riches, comme "plaine/haleine", qui apportent une musicalité plus marquée et une intensité poétique au texte.
Le poème de Du Bellay est une réflexion sur l’exil et la souffrance de l’éloignement de la patrie. À travers des métaphores, des comparaisons et des figures de style variées, l’auteur parvient à exprimer son désespoir face à un pays qui l’a abandonné. La France, qu’il a toujours idéalisée comme une mère nourrissante, devient une entité froide et distante, laissant le poète dans un état de solitude et de tristesse. Le poème est une belle illustration de la mélancolie de l'exilé, et de la douleur de la séparation d’avec la terre nourricière.