Oh ! vous aurez trop dit au pauvre petit ange
Qu’il est d’autres anges là-haut,
Que rien ne souffre au ciel, que jamais rien n’y change,
Qu’il est doux d’y rentrer bientôt ;
Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres,
Une tente aux riches couleurs,
Un jardin bleu rempli de lys qui sont des astres
Et d’étoiles qui sont des fleurs ;
Que c’est un lieu joyeux plus qu’on ne saurait dire,
Où toujours, se laissant charmer,
On a les chérubins pour jouer et pour rire,
Et le bon Dieu pour nous aimer ;
Qu’il est doux d’être un cœur qui brûle comme un cierge,
Et de vivre, en toute saison,
Près de l’enfant Jésus et de la Sainte Vierge
Dans une si belle maison !
Et puis vous n’aurez pas assez dit, pauvre mère,
À ce fils si frêle et si doux,
Que vous étiez à lui dans cette vie amère,
Mais aussi qu’il était à vous ;
Que, tant qu’on est petit, la mère sur nous veille,
Mais que plus tard on la défend ;
Et qu’elle aura besoin, quand elle sera vieille,
D’un homme qui soit son enfant ;
Vous n’aurez point assez dit à cette jeune âme
Que Dieu veut qu’on reste ici-bas,
La femme guidant l’homme et l’homme aidant la femme,
Pour les douleurs et les combats ;
Si bien qu’un jour, ô deuil ! irréparable perte !
Le doux être s’en est allé !… —
Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte,
Que votre oiseau s’est envolé !
Le poème "À la mère de l’enfant mort", extrait du recueil Les Contemplations (1856), est une méditation poignante sur la perte d'un enfant, la douleur du deuil et l'inexorable séparation entre la mère et son fils. Hugo, à travers ce poème, explore la souffrance d'une mère face à la mort de son enfant, tout en abordant des questions existentielles liées à la vie après la mort, à l'amour maternel et aux vérités spirituelles. Le poème se distingue par son ton solennel et sa réflexion profonde sur l’amour maternel et la relation entre le ciel et la terre.
Dans les premiers vers, Hugo dépeint l'idéalisme associé à la mort et à l’au-delà, un discours réconfortant que l’on pourrait adresser à une mère qui vient de perdre son enfant. L'enfant décédé est décrit comme étant dans un lieu céleste où tout est paisible et joyeux : "Que le ciel est un dôme aux merveilleux pilastres". Cette image du ciel, comparée à un jardin rempli de lys et d’étoiles, est une tentative de consoler la mère en lui offrant une vision d’un au-delà idéal, un lieu d’une beauté infinie où son enfant sera entouré d’amour et de joie. Les "chérubins pour jouer et pour rire" et la présence de Dieu incarnent cette utopie spirituelle où l'innocence et la pureté de l'enfant se trouvent récompensées.
Toutefois, cette vision du ciel n’est qu'une part du discours que Hugo adresse à la mère. Il semble avertir que ces idées ne peuvent totalement effacer la douleur de la séparation. Dans les vers suivants, l’accent est mis sur la fragilité de la vie humaine et la souffrance que subit la mère en raison de la perte de son enfant. "Mais vous n’aurez pas assez dit, pauvre mère" marque un changement de ton, invitant à une réflexion plus terre-à-terre et plus réaliste sur la souffrance humaine. L’amour maternel est mis en lumière, la mère étant comparée à une figure protectrice qui veille sur son enfant "tant qu’on est petit", mais aussi la nécessité, plus tard, pour l’enfant de défendre sa mère et de prendre soin d’elle lorsqu’elle deviendra âgée.
Hugo continue en soulignant la dimension cyclique de la relation entre mère et enfant. Si la mère protège son enfant lorsqu’il est petit, ce rôle se transforme au fil du temps, l’enfant devenant celui qui doit protéger et soutenir sa mère. Cette vision de la vie et de la famille est marquée par une compréhension de la temporalité et des rôles qui évoluent au fil des âges. Ce passage exprime la loi naturelle et universelle de l’amour filial, qui est à la fois un échange et un soutien mutuel. La perte de l'enfant est donc d’autant plus dévastatrice, car elle interrompt brusquement ce cycle d’amour et de réciprocité.
La dernière strophe du poème, "Si bien qu’un jour, ô deuil ! irréparable perte !" plonge dans la tragédie de la perte irréversible. Le dernier vers, "Hélas ! vous avez donc laissé la cage ouverte, que votre oiseau s’est envolé !" donne une image poignante de l’enfant comme un oiseau, symbolisant à la fois l’innocence, la fragilité et la liberté. L’envol de l’oiseau représente la mort de l’enfant, une perte définitive qui laisse un vide incommensurable. Ce vers souligne la douleur d'une mère qui se sent coupable de n’avoir pas pu retenir son enfant, de n’avoir pas pu éviter cette fuite irréversible.
À la mère de l’enfant mort est un poème profond et émouvant qui traite du deuil et de la perte d'un enfant, des sentiments de culpabilité, de la douceur de l’amour maternel et des réalités de la vie après la mort. À travers des métaphores poignantes et une tonalité mélancolique, Hugo nous invite à réfléchir sur l’impermanence de la vie et l’incapacité de tout discours réconfortant à effacer la souffrance du deuil. Le poème mêle idéalisation de l’au-delà et réalité de la perte terrestre, rendant hommage à la figure maternelle tout en explorant les souffrances humaines les plus profondes.