Je suis soumis au Chef du Signe de l'Automne
Partant j'aime les fruits je déteste les fleurs
Je regrette chacun des baisers que je donne
Tel un noyer gaulé dit au vent ses douleurs
Mon Automne éternelle ô ma saison mentale
Les mains des amantes d'antan jonchent ton sol
Une épouse me suit c'est mon ombre fatale
Les colombes ce soir prennent leur dernier vol
Guillaume Apollinaire - Alcools
Le poème Signe d'Apollinaire, extrait du recueil Alcools publié en 1913, offre une réflexion intime sur les cycles du temps et l’influence de l’astrologie sur la destinée personnelle. Ce poème, qui semble être un fragment d’un texte plus vaste, explore les thèmes de l'automne, de l’amour, du regret et de la fatalité, dans une tonalité à la fois lyrique et mélancolique. Le titre du poème fait référence au signe astrologique de la Vierge sous lequel Apollinaire est né, et qui marque également le début de l'automne, une saison associée au déclin et à la fin des cycles.
Le poème commence par une déclaration qui situe l’individu sous l’influence du "Chef du Signe de l'Automne". Apollinaire se décrit comme étant "soumis" à ce signe, qui n’est pas seulement une référence astrologique, mais aussi un symbole de la période de la vie où la maturité, le changement et la fin des choses sont omniprésents. L'automne, saison de déclin naturel, devient ainsi une métaphore de l'état d'esprit du poète, qui se sent lié à cette saison non seulement par son signe, mais aussi par une sorte de fatalisme. Le poème semble suggérer que le temps, comme un signe astrologique, est une force qui gouverne la vie humaine, imposant une forme de soumission à son passage inexorable.
Dans la deuxième ligne du poème, Apollinaire évoque une préférence marquée pour les fruits et son aversion pour les fleurs. Cette opposition peut être interprétée comme une métaphore de l’acceptation des choses mûres et accomplies, en opposition à la jeunesse fragile et éphémère des fleurs. Le poète semble se détourner de la beauté passagère et du renouveau que les fleurs symbolisent, préférant les fruits qui portent en eux la marque du temps, de l’accomplissement et de la rétractation. Cette préférence pourrait également symboliser un certain cynisme ou un regard mélancolique sur la vie, cherchant à savourer ce qui est déjà mature plutôt qu’attendre les promesses d'un avenir incertain.
L’image du "noyer" qui "gaulé" (coupé) se plaint au vent de ses douleurs évoque la souffrance du poète, un sentiment d’inconfort permanent lié à une existence marquée par le passage du temps et le regret. Le noyer, arbre durable, symbolise ici la constance de la douleur et de la nostalgie, tandis que le vent, par son mouvement, renvoie à l’idée d’un monde en perpétuelle transformation, impuissant à stopper l’avancée du temps. La souffrance se fait un écho dans le poème par la répétition du regret, une constante qui semble gouverner la vision du monde du poète, toujours tourné vers le passé.
L’image de l'épouse qui suit le poète comme une "ombre fatale" ajoute une dimension de fatalisme au poème. L’épouse, ou plus largement la figure féminine, semble ici être un symbole de l’engagement et des responsabilités, mais aussi de la perte. L’ombre fatale peut être interprétée comme la présence constante d’un passé amoureux ou d’une relation qui, bien que terminée ou difficile, continue de hanter le poète, l’empêchant de se libérer de son poids. Cette femme, absente mais omniprésente, fait écho à la condition humaine, marquée par des amours qui ne se dissipent jamais entièrement, mais qui persistent sous forme de fardeaux émotionnels.
La dernière image du poème, celle des colombes qui prennent leur "dernier vol", fait écho à la fin de quelque chose d’important. Les colombes, souvent associées à l’amour et à la paix, sont ici en fin de cycle, leur vol devenant le symbole d’un départ, d’un adieu. Cette image renforce la thématique de la perte et de la fin, associée au passage du temps et à la fatalité du destin. Le poème semble ainsi se conclure sur une note de séparation, de distanciation et d’acceptation du départ inéluctable, que ce soit dans le contexte amoureux ou dans celui de la vie en général.
Signes est un poème où Apollinaire mêle avec subtilité les influences astrologiques, les saisons et les motifs personnels pour méditer sur le temps qui passe, les regrets du passé et la fatalité de l’existence humaine. L’automne devient une métaphore du vieillissement, du déclin et des souvenirs qui restent après le passage de l’amour et de la jeunesse. À travers des images poignantes et une langue qui oscille entre le symbolisme et la poésie directe, Apollinaire nous invite à réfléchir sur la condition humaine sous le prisme du temps, de la douleur et de l’irréversibilité des choses.