Enfin Minerve prononça ces paroles : Fils d’Ulysse, écoutez-moi pour la dernière fois. Je n’ai instruit aucun mortel avec autant de soin que vous ; je vous ai mené par la main au travers des naufrages, des terres inconnues, des guerres sanglantes, et de tous les maux qui peuvent éprouver le cœur de l’homme. Je vous ai montré, par des expériences sensibles, les vraies et les fausses maximes par lesquelles on peut régner. Vos fautes ne vous ont pas été moins utiles que vos malheurs : car quel est l’homme qui peut gouverner sagement, s’il n’a jamais souffert, et s’il n’a jamais profité des souffrances où ses fautes l’ont précipité ?
Vous avez rempli, comme votre père, les terres et les mers de vos tristes aventures. Allez, vous êtes maintenant digne de marcher sur ses pas. Il ne vous reste plus qu’un court et facile trajet jusques à Ithaque, où il arrive dans ce moment : combattez avec lui ; obéissez-lui comme le moindre de ses sujets ; donnez-en l’exemple aux autres. Il vous donnera pour épouse Antiope, et vous serez heureux avec elle, pour avoir moins cherché la beauté, que la sagesse et la vertu.
Lorsque vous régnerez, mettez toute votre gloire à renouveler l’âge d’or : écoutez tout le monde ; croyez peu de gens ; gardez-vous bien de vous croire trop vous-même : craignez de vous tromper, mais ne craignez jamais de laisser voir aux autres que vous avez été trompé.
Aimez les peuples ; n’oubliez rien pour en être aimé. La crainte est nécessaire quand l’amour manque ; mais il la faut toujours employer à regret, comme les remèdes les plus violents et les plus dangereux.
Considérez toujours de loin toutes les suites de ce que vous voudrez entreprendre ; prévoyez les plus terribles inconvénients, et sachez que le vrai courage consiste à envisager tous les périls, et à les mépriser quand ils deviennent nécessaires. Celui qui ne veut pas les voir n’a pas assez de courage pour en supporter tranquillement la vue : celui qui les voit tous, qui évite tous ceux qu’on peut éviter, et qui tente les autres sans s’émouvoir, est le seul sage et magnanime.
Fuyez la mollesse, le faste, la profusion ; mettez votre gloire dans la simplicité ; que vos vertus et vos bonnes actions soient les ornements de votre personne et de votre palais ; qu’elles soient la garde qui vous environne, et que tout le monde apprenne de vous en quoi consiste le vrai bonheur. N’oubliez jamais que les rois ne règnent point pour leur propre gloire, mais pour le bien des peuples. Les biens qu’ils font s’étendent jusque dans les siècles les plus éloignés : les maux qu’ils font se multiplient de génération en génération, jusqu’à la postérité la plus reculée. Un mauvais règne fait quelquefois la calamité de plusieurs siècles.
Surtout soyez en garde contre votre humeur : c’est un ennemi que vous porterez partout avec vous jusques à la mort ; il entrera dans vos conseils ; et vous trahira, si vous l’écoutez. L’humeur fait perdre les occasions les plus importantes : elle donne des inclinations et des aversions d’enfant, au préjudice des plus grands intérêts ; elle fait décider les plus grandes affaires par les plus petites raisons ; elle obscurcit tous les talents, rabaisse le courage, rend un homme inégal, faible, vil et insupportable. Défiez-vous de cet ennemi.
Craignez les dieux, ô Télémaque ; cette crainte est le plus grand trésor du cœur de l’homme : avec elle vous viendront la sagesse, la justice, la paix, la joie, les plaisirs purs, la vraie liberté, la douce abondance, la gloire sans tache.
Je vous quitte, ô fils d’Ulysse ; mais ma sagesse ne vous quittera point, pourvu que vous sentiez toujours que vous ne pouvez rien sans elle. Il est temps que vous appreniez à marcher tout seul. Je ne me suis séparée de vous, en Phénicie et à Salente, que pour vous accoutumer à être privé de cette douceur, comme on sèvre les enfants lorsqu’il est temps de leur ôter le lait pour leur donner des aliments solides.
À peine la déesse eut achevé ce discours, qu’elle s’éleva dans les airs, et s’enveloppa d’un nuage d’or et d’azur, où elle disparut. Télémaque, soupirant, étonné et hors de lui-même, se prosterna à terre, levant les mains au ciel ; puis il alla éveiller ses compagnons, se hâta de partir, arriva à Ithaque, et reconnut son père chez le fidèle Eumée.
Ici, c’est la dernière fois que Minerve (la déesse de la sagesse) parle à Télémaque, le fils d’Ulysse, avant qu’il parte pour rentrer chez lui, à Ithaque.
Minerve commence par rappeler qu’elle a beaucoup enseigné Télémaque, plus que personne d’autre. Elle l’a guidé à travers des épreuves difficiles : des naufrages, des terres inconnues, des guerres, des souffrances. Tout ça, c’est pour qu’il apprenne à devenir un bon roi.
Elle dit que ses erreurs et ses malheurs ont été utiles, car personne ne peut bien gouverner s’il n’a jamais souffert. Les erreurs aident à comprendre ce qui ne marche pas.
Télémaque a vécu beaucoup d’aventures, comme son père Ulysse. Maintenant, il est prêt à suivre les pas de son père.
Il ne lui reste qu’un court voyage jusqu’à Ithaque, où Ulysse arrive justement en ce moment.
Minerve conseille à Télémaque de se battre aux côtés de son père et de lui obéir, même s’il est son fils.
Ulysse donnera à Télémaque la main d’Antiope en mariage. Elle sera heureuse, car elle cherchera plus la sagesse et la vertu que la beauté.
Quand Télémaque règnera à son tour, il devra essayer de ramener un « âge d’or », une époque idéale, un règne juste.
Il faut qu’il écoute tout le monde, mais fasse attention à qui il croit.
Il ne doit jamais trop se fier à lui-même, car on peut toujours se tromper. Mais il ne doit pas avoir honte d’avouer qu’il s’est trompé.
Il doit aimer son peuple, car pour qu’on l’aime, il faut faire attention à eux.
La peur (la crainte) doit être utilisée seulement si l’amour manque, et toujours avec regret, car c’est une méthode dure.
Il doit toujours penser aux conséquences de ses décisions, prévoir les problèmes possibles, car être courageux, c’est voir tous les dangers mais continuer quand c’est nécessaire.
Le vrai courage, c’est d’être calme face aux difficultés, et de ne pas fuir les dangers quand ils sont inévitables.
Il doit fuir la paresse, le luxe excessif et le gaspillage.
Sa vraie gloire doit venir de sa simplicité et de ses bonnes actions.
Ses vertus et ses actions justes doivent être les meilleurs ornements de son royaume.
Il doit montrer à tout le monde ce qu’est le vrai bonheur.
Il ne doit jamais oublier que les rois ne règnent pas pour leur propre gloire, mais pour le bien du peuple.
Les bonnes actions d’un roi ont un effet qui dure pendant des siècles.
Mais un mauvais roi peut causer des malheurs qui dureront des générations.
Il doit surtout faire attention à son « humeur », c’est-à-dire son caractère, ses sautes d’humeur.
Cette humeur est un danger : elle peut l’induire en erreur, l’empêcher de faire les bons choix, le rendre injuste ou faible.
Il doit se méfier de cet ennemi intérieur.
Il doit aussi craindre les dieux : cette peur est un grand trésor qui amène la sagesse, la justice, la paix, la joie, la vraie liberté, et la gloire honnête.
Minerve lui dit qu’elle va partir, mais que sa sagesse restera avec lui s’il continue à en avoir besoin.
Elle lui explique qu’elle le laisse maintenant marcher seul, comme on arrête de donner le lait à un enfant pour lui apprendre à manger solide.
Dès qu’elle a fini de parler, la déesse s’envole, enveloppée d’un nuage doré et bleu.
Télémaque est bouleversé, il s’agenouille, prie le ciel, puis réveille ses compagnons.
Il part vite pour Ithaque, où il retrouve son père Ulysse chez son fidèle serviteur, Eumée.
Cette scène est un moment de passage : Minerve donne ses derniers conseils à Télémaque, lui rappelle tout ce qu’il a appris, lui conseille comment être un bon roi, puis le laisse partir seul vers son destin. C’est l’heure de la maturité et de la responsabilité.