Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux.
J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Paul Verlaine
Green est un poème extrait du recueil Romances sans paroles (1874) de Paul Verlaine. Ce poème, composé de trois quatrains en alexandrins et aux rimes croisées, exprime un désir profond d’amour et de tendresse. Sur un ton à la fois mélancolique et doux, Verlaine évoque une élégie amoureuse où se mêlent à la fois l’espoir d’une union et la tristesse de l’inaccessibilité ou de la rupture. La nature, omniprésente dans ce poème, devient un reflet symbolique de l’état intérieur du poète. Nous allons explorer comment ce poème se construit autour de la quête d’amour et de l’expression d’un état d’âme à travers la nature, qui en devient le miroir métaphorique.
Le poème débute par une image de générosité, offrant "des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches" comme des symboles de l’amour du poète, un amour qui est pur et plein de dévouement : "Voici mon cœur qui ne bat que pour vous." Cette image de l’offrande se charge immédiatement d’une grande émotion, car elle représente un cœur qui se donne entièrement, sans condition, tout en sachant qu'il existe une forme de vulnérabilité : "Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches." L’expression de ce cœur fragile introduit un ton mélancolique, une sorte de douleur liée à l’incertitude du retour de cet amour. La phrase "ne le déchirez pas" accentue cette fragilité et l’angoisse de l’abandon.
Dans la seconde strophe, la nature continue de jouer un rôle symbolique pour exprimer la fatigue et la recherche de réconfort : "J'arrive tout couvert encore de rosée / Que le vent du matin vient glacer à mon front." Ici, la rosée et le vent du matin incarnent les difficultés et les épreuves que le poète traverse, tout en suggérant la fraîcheur et la pureté du sentiment amoureux. La rosée, au matin, est souvent vue comme une métaphore de la pureté, mais aussi de la fragilité de l'instant présent. Le "vent du matin" qui glace le front du poète rappelle la douleur de l’attente et de la solitude.
Le poème se poursuit avec une proposition de réconfort et de paix, presque une supplication pour que la fatigue émotionnelle du poète soit apaisée par la présence de l’être aimé : "Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée / Rêve des chers instants qui la délasseront." La fatigue ici n’est pas seulement physique, mais aussi émotionnelle, liée à l’impossibilité d’être pleinement réciproque dans l’amour, ou peut-être à un manque d’amour partagé. Le "repos" qu’il recherche est alors une métaphore du soulagement que lui apporterait l’amour sincère.
La troisième strophe se fait plus intime et contemplative, où le poète exprime le désir d’être pris en charge et apaisé par l’être aimé : "Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête." Cette image tendre et sensuelle de la tête reposant sur le sein de l’amante symbolise la recherche d’un refuge, d’un lieu de paix et d’apaisement. La mention des "derniers baisers" renforce cette idée d’une union ultime et douloureuse, suggérant que ce moment de calme et d’amour est peut-être éphémère, mais d’autant plus précieux. La phrase "Laissez-la s'apaiser de la bonne tempête" évoque la tempête intérieure du poète, qui cherche dans ce geste de tendresse un réconfort et un apaisement face à ses tourments amoureux. L’expression "et que je dorme un peu puisque vous reposez" semble signifier la nécessité de lâcher prise, d’accepter un moment de calme après la "tempête", mais cela aussi dans une situation d’abandon total.
Green est un poème d’amour marqué par la douleur et la recherche d’un refuge, où la nature devient à la fois un miroir des sentiments du poète et un moyen d’exprimer ses émotions. Les éléments naturels, comme la rosée, le vent du matin, ou l'image du sein, sont utilisés comme métaphores pour illustrer la fragilité de l’amour, la douleur du désir non réciproque, et la quête d’un apaisement dans la relation amoureuse. À travers cette élégie, Verlaine nous livre une vision de l’amour à la fois tendre et douloureuse, où la nature et les images sensuelles expriment l’état d’âme du poète, à la fois fragile et désireux de consolation.