A Cassandre
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au votre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
O vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que vôtre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
"Odes", I, 17
Ronsard (1524, Vendômois), XVIème
Dans Mignonne, extrait des Odes (I, 17), Ronsard, poète du XVIe siècle, adresse un conseil amoureux à une jeune femme, Cassandre, dont il célèbre la beauté tout en lui conseillant de profiter de sa jeunesse avant qu'elle ne disparaisse. Le poème fait appel à des images classiques pour exprimer la fugacité de la vie et de la beauté. Ce sonnet, formé de deux quatrains et de deux tercets, se distingue par sa simplicité et sa vivacité, et incarne un thème récurrent dans l'œuvre de Ronsard : l'idée de la jeunesse qui se flétrit comme une rose sous l'effet du temps.
1. L’image de la rose : un symbole de la jeunesse et de la beauté éphémère
Le poème commence par une question directe à Cassandre : "Mignonne, allons voir si la rose". Dès le début, Ronsard établit une comparaison entre la jeunesse de Cassandre et la rose, symbolisant la beauté et la fraîcheur. La rose, fleur fragile et délicate, est ici associée à la jeunesse qui s’épanouit "ce matin", et le poème va rapidement la lier à la notion de disparition. Le choix de la rose, fleur à la fois éclatante et passagère, sert à introduire l’idée que la beauté humaine, tout comme celle de la nature, est vouée à disparaître.
Dans le premier quatrain, Ronsard évoque la fleur "qui ce matin avait déclose", créant une image d'une beauté fraîche, éclatante sous les rayons du soleil. Cependant, la rose n’est pas éternelle : "Les plis de sa robe pourprée / Et son teint au vôtre pareil". Cette image illustre la jeunesse à son apogée, un instant qui, à mesure que le poème avance, deviendra la référence à la beauté fragile de Cassandre. L’idée de la jeunesse en train de s’épanouir dans toute sa splendeur se transforme rapidement en un avertissement.
2. La fugacité de la jeunesse : l’inexorable passage du temps
Dans le second quatrain, la rose se fane, "battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur", un processus qu'on associe inévitablement à l’action du temps qui détruit toute chose. "Languissante elle meurt feuille à feuille déclose" : le poème met en lumière la dégradation progressive de la rose, soulignant la perte de sa beauté. Le poète, en présentant cette image de la rose fanée, offre une métaphore de la vieillesse, qui, tout comme la fleur, entraîne la perte de l’éclat de la jeunesse.
Le terme "Las" utilisé à plusieurs reprises exprime le regret du poète face à la fragilité de la beauté humaine et la rapidité de la disparition de celle-ci. La rose est ici le reflet du passage inexorable du temps, et Ronsard invite Cassandre à être consciente de cette réalité.
3. L'invitation à profiter de la jeunesse : la leçon du poète
Dans le troisième quatrain, Ronsard donne son conseil à Cassandre : "Donc, si vous me croyez, mignonne, / Tandis que vôtre âge fleuronne / En sa plus verte nouveauté". Le poète lui conseille de cueillir sa jeunesse comme on cueille une fleur, avant que la vieillesse ne vienne ternir sa beauté. L'image de la fleur, une fois de plus, évoque l’idée que la jeunesse, tout comme la rose, est destinée à se faner rapidement.
Les deux derniers vers des tercets, "Cueillez, cueillez votre jeunesse / Comme à cette fleur, la vieillesse / Fera ternir votre beauté", rappellent l’adage latin "Carpe diem", incitant Cassandre à jouir pleinement de sa jeunesse avant qu’elle ne s’éteigne, car une fois le temps passé, il est impossible de revenir en arrière. Le conseil est celui de l’hédonisme : il faut profiter des plaisirs de la vie, car la beauté de la jeunesse ne dure qu’un temps très limité.
Par ce poème, Ronsard conjugue la beauté, le temps et la mort sous une forme vivante et poignante. La rose devient le symbole d’une jeunesse éphémère, qu’il convient de vivre pleinement avant qu’elle ne se fane. Dans ce conseil donné à Cassandre, il y a à la fois une célébration de la beauté et un avertissement face à l’inexorable passage du temps. Le poème illustre parfaitement le thème de la fuite du temps, cher à Ronsard, tout en enjoignant à l’hédonisme et au profit immédiat de la jeunesse.