12e poème : Jésus meurt sur la Croix
Il souffrait tout à l'heure, c'est vrai, mais maintenant il va mourir.
La Grande Croix dans la nuit faiblement remue avec le Dieu qui respire.
Tout y est. Il n'y a plus qu'à laisser faire l'instrument, Qui du joint de la double nature inépuisablement
De la source du corps et de l'âme et de l'hypostase, exprime et tire Toute la possibilité qui est en lui de souffrir.
Il est tout seul comme Adam quand il était seul dans l'Eden, Il est pour trois heures seul et savoure le Vin,
L'ignorance invincible de l'homme dans le retrait de Dieu! Notre hôte est appesanti et son front fléchit peu à peu.
Il ne voit plus sa Mère et son Père l'abandonne.
Il savoure la coupe et la mort lentement qui l'empoisonne. N'en avez-vous donc pas assez de ce vin aigre et mêlé d'eau, Pour que Vous Vous redressiez tout-à-coup et criiez: Sitio ? Vous avez soif, Seigneur ? Est-ce à moi que Vous parlez ? Est-ce moi dont Vous avez besoin encore et de mes péchés? Est-ce moi qui manque avant que tout soit consommé ?
Introduction :
Le douzième poème de Chemin de la Croix de Paul Claudel, intitulé "Jésus meurt sur la Croix", évoque la dernière étape du sacrifice du Christ : sa mort sur la croix. Cette mort, dans la vision de Claudel, est une sorte d’accomplissement mystique où la souffrance atteint son apogée, mais aussi un acte de communion totale entre Dieu et l’humanité. Le poème rend compte de l'intensité de la souffrance, de la solitude divine et du mystère de la rédemption. Nous analyserons ce poème sous trois angles : la souffrance physique et spirituelle de Jésus, le mystère de l’abandon de Dieu, et la question de la rédemption finale par la mort du Christ.
1. La souffrance physique et spirituelle de Jésus : une mort totale
Le poème commence par un constat brutal : "Il souffrait tout à l'heure, c'est vrai, mais maintenant il va mourir." Claudel marque ici la transition entre la souffrance intense, déjà longue et cruelle, et la mort imminente. La Grande Croix, "dans la nuit faiblement remue avec le Dieu qui respire", est une image poétique qui traduit l’idée que la Croix devient un lieu de tension entre la vie et la mort. Cette croix, d'abord un instrument de torture, devient ici une métaphore de la souffrance qui prend toute son ampleur dans le dernier souffle du Christ.
L’expression "tout y est", répétée en début de strophe, indique que tout ce qui devait être accompli est désormais accompli : "Il n'y a plus qu'à laisser faire l'instrument". Le Christ, à ce moment précis, ne cherche plus à fuir la douleur ni à lutter contre elle. Le "corps et l'âme" de Jésus sont l’expression même de l’union parfaite entre l’humain et le divin. L’"instrument" de la Croix, qui "exprime et tire toute la possibilité qui est en lui de souffrir", devient ainsi l’élément central du poème, une sorte de catalyseur de la souffrance totale, qui est à la fois physique et spirituelle.
2. Le mystère de l’abandon : la solitude du Christ
Un des thèmes majeurs de ce poème est la solitude de Jésus face à la mort. Claudel insiste sur le fait que Jésus est "tout seul", dans une solitude absolue, à l’image d’Adam dans l’Eden avant la chute. Le Christ, ici, semble être l'archétype de l'humanité abandonnée, à la fois par Dieu et par ses proches. Il "ne voit plus sa Mère", et "son Père l’abandonne". Ces images accentuent le sentiment de vide et d’abandon qui caractérisent la crucifixion. Claudel décrit également la souffrance spirituelle du Christ, qui ressent "l’ignorance invincible de l’homme dans le retrait de Dieu". Ce retrait, qui renvoie au cri de Jésus sur la croix ("Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?"), devient la condition de sa souffrance ultime.
La solitude du Christ dans le poème n’est pas simplement physique : elle est d’abord spirituelle, et touche au mystère de l’incarnation et du salut. Jésus doit goûter la "coupe" de la souffrance, une "mort lente" qui "l’empoisonne". Le terme "empoisonner" a ici une connotation très forte, marquant la nature violente et progressive de la souffrance de Jésus, qui va jusqu'à l’extinction de sa vie.
3. La rédemption par la mort : la fin d'un cycle, l’accomplissement du salut
La dernière partie du poème fait référence à un retournement dans l’acte même de la crucifixion, où Jésus exprime un besoin ultime, une soif. Claudel écrit : "Vous avez soif, Seigneur ? Est-ce à moi que Vous parlez ?". Ce vers, qui fait écho à la parole de Jésus "J’ai soif", met en lumière un moment d’intimité et de supplication. Ce cri de Jésus semble suspendre la tension de la mort imminente, un appel qui invite à la communion avec l’humanité tout entière. Jésus a soif de l’amour de l’homme, il a soif de notre foi, de notre compréhension de sa souffrance et de son sacrifice.
L’interrogation du poème "Est-ce moi qui manque avant que tout soit consommé ?" renvoie à la question de la rédemption finale : Jésus, en mourant, comble la soif de l’humanité, mais également la sienne propre. Par son sacrifice, il "consomme" tout ce qui doit être accompli, et la fin de sa vie devient le commencement du salut pour tous. La "soif" de Jésus, dans ce contexte, devient le symbole de la quête d’unité entre Dieu et les hommes, de rédemption ultime qui passe par la souffrance et la mort.
Conclusion :
Dans Jésus meurt sur la Croix, Paul Claudel explore la mort de Jésus sous un angle mystique et théologique, où la souffrance devient une porte d’entrée vers la rédemption. La solitude et la souffrance du Christ sont rendues avec une grande intensité poétique, et l’interrogation finale sur la "soif" de Jésus offre un éclairage particulier sur le mystère de la Croix. Le poème invite à méditer non seulement sur la douleur physique du Christ, mais aussi sur son abandon spirituel et sur la manière dont la mort de Jésus devient le lieu de l’accomplissement du salut. Par sa souffrance et sa mort, le Christ offre une rédemption, une soif de salut pour l’humanité tout entière.