ACTE II
SCÈNE 5
ARLEQUIN, LISETTE
ARLEQUIN
Ah ! Madame, sans lui j'allais vous dire de belles choses, et je n'en trouverai plus que de communes à cette heure, hormis mon amour qui est extraordinaire ; mais à propos de mon amour, quand est-ce que le vôtre lui tiendra compagnie ?
LISETTE
Il faut espérer que cela viendra.
ARLEQUIN
Et croyez-vous que cela vienne ?
LISETTE
La question est vive ; savez-vous bien que vous m'embarrassez ?
ARLEQUIN
Que voulez-vous ? Je brûle, et je crie au feu.
LISETTE
S'il m'était permis de m'expliquer si vite.
ARLEQUIN
Je suis du sentiment que vous le pouvez en conscience.
LISETTE
La retenue de mon sexe ne le veut pas.
ARLEQUIN
Ce n'est donc pas la retenue d'à présent qui donne bien d'autres permissions.
LISETTE
Mais, que me demandez-vous ?
ARLEQUIN
Dites-moi un petit brin que vous m'aimez ; tenez je vous aime moi, faites l'écho, répétez Princesse.
LISETTE
Quel insatiable ! eh bien, Monsieur, je vous aime.
ARLEQUIN
Eh bien, Madame, je me meurs ; mon bonheur me confond, j'ai peur d'en courir les champs ; vous m'aimez, cela est admirable !
LISETTE
J'aurais lieu à mon tour d'être étonnée de la promptitude de votre hommage ; peut-être m'aimerez-vous moins quand nous nous connaîtrons mieux.
ARLEQUIN
Ah, Madame, quand nous en serons là, j'y perdrai beaucoup, il y aura bien à décompter.
LISETTE
Vous me croyez plus de qualités que je n'en ai.
ARLEQUIN
Et vous Madame, vous ne savez pas les miennes ; et je ne devrais vous parler qu'à genoux.
LISETTE
Souvenez-vous qu'on n'est pas les maîtres de son sort.
ARLEQUIN
Les pères et mères font tout à leur tête.
LISETTE
Pour moi, mon cœur vous aurait choisi dans quelque état que vous eussiez été.
ARLEQUIN
Il a beau jeu pour me choisir encore.
LISETTE
Puis-je me flatter que vous êtes de même à mon égard ?
ARLEQUIN
Hélas, quand vous ne seriez que Perrette ou Margot, quand je vous aurais vue le martinet à la main descendre à la cave, vous auriez toujours été ma Princesse.
LISETTE
Puissent de si beaux sentiments être durables !
ARLEQUIN
Pour les fortifier de part et d'autre jurons-nous de nous aimer toujours en dépit de toutes les fautes d'orthographe que vous aurez faites sur mon compte.
LISETTE
J'ai plus d'intérêt à ce serment-là que vous, et je le fais de tout mon cœur.
ARLEQUIN se met à genoux.
Votre bonté m'éblouit, et je me prosterne devant elle.
LISETTE
Arrêtez-vous, je ne saurais vous souffrir dans cette posture-là, je serais ridicule de vous y laisser ; levez-vous. Voilà encore quelqu'un.
Le Jeu de l'amour et du hasard, comédie écrite par Marivaux en 1730, explore les jeux du sentiment amoureux à travers des déguisements et des quiproquos. Dans cet extrait de l’acte II, scène 5, Arlequin et Lisette, valets de Dorante et Silvia, se retrouvent dans une situation comique où leurs rôles sont inversés : en pensant s’adresser à des maîtres et maîtresses, ils se laissent emporter par les mêmes jeux de séduction. Cette scène met en lumière non seulement le côté burlesque des situations de déguisement, mais aussi la manière dont Marivaux utilise le comique pour faire ressortir la complexité des relations amoureuses et des attentes sociales. Dans ce commentaire, nous analyserons les différentes dimensions de cette scène à travers trois axes : le jeu de séduction comique, la mise en scène des valeurs sociales, et l'expression du sentiment amoureux.
La scène s'ouvre sur un échange de répliques vives et exagérées où Arlequin, en véritable amoureux, dévoile ses sentiments à Lisette. Dès les premières lignes, il se montre emporté, allant jusqu’à s’exclamer : "Ah ! Madame, sans lui j'allais vous dire de belles choses, et je n'en trouverai plus que de communes à cette heure" (l. 1). Ce ton pompeux et excessif, caractéristique de la comédie de Marivaux, joue sur l’absurde : Arlequin, dans sa simplicité, s’exprime comme un grand amoureux, alors que son statut social et son rôle de valet devraient l’amener à adopter une posture moins prétentieuse. Son amour paraît donc ridiculement disproportionné par rapport à sa condition, ce qui crée un comique de décalage. Lisette, quant à elle, joue la partenaire distante, mais son comportement à la fois réservé et complice permet au comique de se doubler d’une dimension de jeu de rôles. Le rapport entre les deux personnages se trouve ainsi marqué par une série de répliques qui oscillent entre le sérieux et la dérision.
Un exemple de cette double posture apparaît lorsque Lisette, après avoir accepté l’amour d’Arlequin, répond de manière sarcastique : "J'aurais lieu à mon tour d'être étonnée de la promptitude de votre hommage" (l. 12). Elle joue avec le langage amoureux, tout en en prenant mesquinement la mesure. Leur dialogue se nourrit ainsi de l'excès de passion d’Arlequin, qui se prosterne littéralement devant elle ("Je me prosterne devant elle"), et de la réaction moqueuse de Lisette, qui l’incite à se relever pour ne pas apparaître ridicule. L’humour ici repose sur le contraste entre l’engagement sincère d’Arlequin et la réaction plus pragmatique de Lisette.
Au-delà du comique, cette scène de séduction entre valets reflète un jeu plus profond avec les conventions sociales de l’époque. Arlequin, tout en étant un valet, se montre ouvertement amoureux de Lisette, et il affirme qu’il l’aimerait "même si [elle] était Perrette ou Margot" (l. 24). Cela dénonce indirectement l’importance de la condition sociale dans l’amour. En faisant fi des règles sociales et de la différence de statut, Marivaux dépeint l’amour comme un sentiment qui transcende les frontières de classe. Ce renversement des rôles sociaux est souligné par le ton légèrement décalé et l'humour qui émanent de leur échange.
Lisette, quant à elle, reste consciente de cette rupture des conventions. Elle met en garde Arlequin : "Souvenez-vous qu'on n'est pas les maîtres de son sort" (l. 22). Son cynisme révèle les limites de cette vision idéalisée de l’amour, tout en insistant sur la rigidité des normes sociales. La discussion, bien qu’enthousiaste et presque naïve, se heurte en effet à la réalité des rôles sociaux qui définissent les rapports entre individus. Toutefois, dans l’univers de la comédie de Marivaux, ce renversement des attentes, où les valets sont en quête d’un amour "réel" et passionné, permet de poser la question de la légitimité des conventions sociales.
Malgré le ton comique de la scène, une forme de sincérité s'exprime dans le discours d’Arlequin, notamment lorsqu’il avoue préférer l’amour de Lisette à toute richesse : "J'aimerais mieux qu'il me fût permis de te demander ton cœur, que d'avoir tous les biens du monde" (l. 27). Cette déclaration, bien qu'extrême, reflète une aspiration sincère, loin des calculs sociaux et des préoccupations matérielles. Arlequin se livre avec une candeur touchante, offrant son cœur sans arrière-pensée. Pourtant, la scène se termine sur une note d’ambiguïté : alors qu’Arlequin se montre sincère dans ses sentiments, Lisette reste plus prudente et joue encore avec lui, tout en cultivant une certaine distance. Cette dualité entre sincérité et jeu, entre désir et réserve, est une caractéristique des relations amoureuses dans Le Jeu de l'amour et du hasard et constitue un des ressorts comiques et dramatiques de la pièce.
Dans cette scène de Le Jeu de l'amour et du hasard, Marivaux utilise brillamment l’humour pour interroger les conventions sociales, tout en abordant les thèmes de l’amour et de la séduction avec une profondeur inattendue. Le comique de la situation est construit autour du contraste entre les attentes sociales et les désirs personnels des personnages, notamment à travers l'innocence d’Arlequin et la retenue de Lisette. À travers ce jeu de rôles, Marivaux invite le spectateur à réfléchir sur la nature du sentiment amoureux, sa sincérité et ses artifices, tout en dépeignant avec finesse les nuances des relations humaines, quel que soit le statut social.
Dans cette scène, Arlequin parle avec Lisette. Arlequin commence en disant qu’il voulait dire de belles choses à Lisette, mais il ne trouve plus que des choses simples à dire, sauf qu’il a un amour très fort pour elle. Il lui demande quand elle va l’aimer aussi.
Lisette répond qu’elle espère que ce moment arrivera un jour. Arlequin insiste en demandant si elle croit que ce moment viendra vraiment. Lisette avoue que la question est difficile et qu’elle est un peu gênée. Arlequin lui dit qu’il est passionné et qu’il brûle d’amour pour elle.
Lisette explique que c’est la timidité des femmes qui l’empêche de parler tout de suite. Arlequin lui demande alors de dire qu’elle l’aime. Lisette accepte de dire qu’elle l’aime. Arlequin est très content et dit qu’il est presque fou de bonheur.
Mais Lisette le prévient qu’elle pourrait peut-être l’aimer un peu moins quand ils se connaîtront mieux. Arlequin répond que ce sera difficile parce qu’il pourrait perdre beaucoup à ce moment-là. Lisette pense qu’il la croit meilleure qu’elle ne l’est vraiment.
Arlequin répond qu’elle ne connaît pas ses qualités à lui, et qu’il devrait lui parler en s’agenouillant pour lui montrer son respect. Lisette rappelle que personne ne contrôle vraiment son destin, car ce sont les parents qui décident tout.
Lisette dit que, quel que soit l’état ou la condition d’Arlequin, son cœur l’aurait choisi. Arlequin répond qu’il a de bonnes chances d’être encore choisi par elle.
Lisette demande s’il ressent la même chose pour elle. Arlequin dit que même si elle était une simple servante qui faisait des tâches modestes, elle serait toujours sa princesse.
Tous les deux espèrent que cet amour sera durable. Ils décident de jurer de s’aimer toujours, même s’ils font des fautes en écrivant leurs noms.
Arlequin se met à genoux pour montrer son respect, mais Lisette lui demande de se relever, car elle ne veut pas le voir dans cette position.
La scène se termine sur l’arrivée d’une autre personne.