Jean de la Fontaine | Les Fables | Livre IX
Le Singe avec le Léopard Gagnaient de l'argent à la foire :
Ils affichaient chacun à part.
L'un d'eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire Sont connus en bon lieu ; le Roi m'a voulu voir ;
Et, si je meurs, il veut avoir
Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée, Et vergetée, et mouchetée. La bigarrure plaît ; partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit.
Le Singe de sa part disait : Venez de grâce, Venez, Messieurs. Je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant, Mon voisin Léopard l'a sur soi seulement ;
Moi, je l'ai dans l'esprit : votre serviteur Gille, Cousin et gendre de Bertrand, Singe du Pape en son vivant, Tout fraîchement en cette ville
Arrive en trois bateaux exprès pour vous parler ; Car il parle, on l'entend ; il sait danser, baller, Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs !
Non, Messieurs, pour un sou ; si vous n'êtes contents, Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le Singe avait raison : ce n'est pas sur l'habit Que la diversité me plaît, c'est dans l'esprit :
L'une fournit toujours des choses agréables ; L'autre en moins d'un moment lasse les regardants.
Oh ! que de grands seigneurs, au Léopard semblables, N'ont que l'habit pour tous talents !
Jean de La Fontaine, « Le Singe et le Léopard », Les Fables
I. Explication :
Dans cette fable, Jean de La Fontaine met en scène deux personnages, un singe et un léopard, qui se présentent à la foire pour attirer l'attention des spectateurs et gagner de l'argent. Le léopard se vante de sa peau tachetée et bigarrée, en la comparant à ses qualités physiques qui plaisent à tout le monde. En revanche, le singe se distingue en vantant ses talents intellectuels et artistiques, qu’il juge bien plus importants que l'apparence physique. Il souligne que ce qui séduit vraiment, ce n'est pas le simple extérieur, mais la richesse de l’esprit. La fable critique ainsi ceux qui ne sont valorisés que par leur apparence et leur statut social.
II. Commentaire composé
A) Introduction
Jean de La Fontaine, dans son œuvre Les Fables, utilise des animaux pour délivrer des leçons morales sur les comportements humains. La fable Le Singe et le Léopard est une satire de la société qui valorise l’apparence plutôt que l’intellect. À travers un contraste entre le singe et le léopard, La Fontaine dénonce cette superficialité et souligne l’importance des qualités intellectuelles. Ainsi, à travers l’étude de cette fable, nous nous interrogerons sur la critique sociale faite par La Fontaine, notamment l’opposition entre l’apparence et l’esprit, et la manière dont cette opposition se reflète à travers l’usage des figures de style.
B) Développement
L'opposition entre l'apparence et l'intellect : Dès les premiers vers, La Fontaine introduit une opposition claire entre les deux personnages. Le léopard, avec sa peau « bigarrée, pleine de taches, marquetée, et vergetée », est valorisé par son apparence. Les termes « bigarrée », « marquetée », et « mouchetée » soulignent la diversité de son pelage, une diversité visuelle qui attire immédiatement l'attention (figure de la gradation). Ce côté physique, mis en avant par le léopard, fait de lui un objet de désir : « La bigarrure plaît ». En revanche, le singe, en utilisant la figure de style de l'hyperbole (par exemple « cent tours de passe-passe »), se distingue par ses capacités intellectuelles et artistiques. Il oppose ainsi une forme d’intellect à la beauté pure, arguant que c’est la diversité de l’esprit qui est véritablement séduisante : « c’est dans l’esprit ». Cette opposition critique les valeurs superficielles de la société, où l’apparence semble dominer.
La critique de la société : La Fontaine utilise le personnage du singe pour critiquer les valeurs de la société de son époque, où souvent la richesse extérieure prime sur l’intellect. Le singe, en tant qu'« homme de lettres », se distingue non seulement par sa posture, mais aussi par sa capacité à « parler » et à « danser », d’autres formes d’art et d’expression qui correspondent à une richesse intérieure. L’expression « pour un sou » souligne l’ironie du contraste entre l’apparence (coûteuse) du léopard et les talents plus subtils et abordables du singe. L'ironie, ici, devient une arme pour déstabiliser l'idée qu'un beau costume ou une apparence extérieure suffisent à créer l'admiration. La Fontaine nous invite à remettre en question l’idée que l’habit fait le moine, une critique subtile de l’élitisme social et de l’apparence trompeuse.
Le rôle de la fable comme enseignement moral : Le message moral de la fable, qui nous invite à valoriser l’esprit et les talents intellectuels plutôt que les apparences, est renforcé par la structure même du récit. La Fontaine, par le biais de la personnification des animaux, fait en sorte que les défauts et qualités humaines soient représentés par ces créatures. Le singe, rusé et plus cultivé, incarne la sagesse et l’esprit, tandis que le léopard, magnifique mais vain, incarne l’illusion. Cette structure simplifiée permet au lecteur de saisir le sens moral rapidement et clairement, tout en utilisant la satire pour dénoncer la superficialité de l’apparence sociale. La Fontaine fait également appel à la mise en abyme du talent : ce n’est pas seulement l’apparence physique du singe qui est mise en avant, mais bien ses talents variés. Cette double lecture incite à réfléchir sur la valeur réelle des individus dans la société.
C) Conclusion
À travers Le Singe et le Léopard, Jean de La Fontaine critique la société de son époque, qui valorise l’apparence physique au détriment des qualités intellectuelles et morales. La Fontaine, fidèle à son style de satiriste, nous invite à reconsidérer la véritable valeur d'un individu : l'esprit et les talents ne se mesurent pas à l'habit. En utilisant des figures de style telles que l’hyperbole, la gradation, et l’ironie, La Fontaine nous présente une réflexion sur les apparences et sur ce qui fait véritablement la dignité humaine. Ainsi, l’œuvre n’est pas seulement une critique de la superficialité sociale, mais aussi une invitation à la recherche de la véritable richesse intérieure.
III. Trois questions de dissertation
En quoi Le Singe et le Léopard constitue-t-elle une critique de la société de l'époque de La Fontaine ?
Réponse : La Fontaine critique la superficialité de la société, qui privilégie l’apparence extérieure au détriment des talents et de l’esprit. Le léopard, avec sa peau ornementée, représente ceux qui sont valorisés pour leur apparence, tandis que le singe incarne ceux qui, par leur esprit et leurs talents, apportent une véritable richesse à la société. La Fontaine remet en question les valeurs dominantes en privilégiant l’intellect et la diversité de l’esprit sur l’apparence.
Comment La Fontaine utilise-t-il les personnages pour dénoncer les travers humains dans cette fable ?
Réponse : À travers les personnages du singe et du léopard, La Fontaine personnifie des défauts humains. Le léopard incarne la vanité et l’illusion, attaché à l’apparence, tandis que le singe représente l’esprit et l’intellect, critiques et créatifs. La Fontaine utilise ces figures pour symboliser les vices et vertus humaines, dépeignant les personnages comme des caricatures qui permettent de mieux saisir le message moral de la fable.
Quel est le rôle de l'ironie dans la fable Le Singe et le Léopard ?
Réponse : L’ironie joue un rôle crucial dans la fable en opposant l’apparence du léopard et l’esprit du singe. Tandis que le léopard attire les spectateurs avec sa peau qui « plaît » à cause de sa diversité, le singe, avec ses talents intellectuels, se fait plus modeste et pourtant plus séduisant. L'ironie réside dans le fait que ce n’est pas l’apparence, mais l’esprit, qui mérite véritablement l’admiration. La Fontaine utilise donc l'ironie pour dénoncer la superficialité de la société et encourager une valorisation de l'intellect.