Lamartine:
Là, deux ruisseaux cachés sous des ponts de verdure
Tracent en serpentant les contours du vallon :
Ils mêlent un moment leur onde et leur murmure,
Et non loin de leur source ils se perdent sans nom.
J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie ;
Je viens chercher vivant le calme du Léthé.
Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie ;
L’oubli seul désormais est ma félicité.
Contexte
Cet extrait est tiré du poème Le Vallon d'Alphonse de Lamartine, issu des Méditations poétiques (1820), œuvre fondatrice du romantisme français. Le poème illustre les grands principes du romantisme : introspection, exaltation de la nature, et quête d’évasion face aux douleurs de l’existence. Rédigé dans un contexte de bouleversements historiques post-révolutionnaires et de restauration monarchique, ce texte témoigne de la mélancolie romantique et de l’exaltation des sentiments personnels.
Explication du texte
Le poète décrit un paysage naturel empreint de calme et de sérénité. Deux ruisseaux, cachés sous une végétation luxuriante, se rejoignent avant de disparaître, symbolisant l’éphémérité de la vie et la quête d’apaisement. Le lyrisme personnel s’exprime dans les vers où Lamartine évoque son désir d’oubli et de sérénité après une vie trop intense, pleine d’émotions et d’amours. Le « Léthé » (fleuve mythique de l’oubli) est ici une métaphore du besoin de repos et d’évasion.
Exaltation des sentiments personnels
« J’ai trop vu, trop senti, trop aimé dans ma vie »
Le poète exprime une sensibilité exacerbée, caractéristique des auteurs romantiques. La passion et l’intensité des émotions dominent, reflétant une profonde subjectivité.
Mélancolie et quête d’oubli
« Je viens chercher vivant le calme du Léthé »
La référence à l’oubli montre une volonté d’échapper aux souffrances de la vie. Cette mélancolie, à la fois douce et poignante, est un thème récurrent dans le romantisme.
Communion avec la nature
« Beaux lieux, soyez pour moi ces bords où l’on oublie »
La nature est un refuge, un lieu de consolation et d’apaisement. Elle est idéalisée, permettant une union entre l’homme et l’univers, une caractéristique fondamentale du romantisme.
Symbolisme et mythologie
« Le calme du Léthé »
L’évocation de mythes antiques (le Léthé) montre comment le romantisme intègre des références symboliques pour enrichir le sens poétique.
Rejet des contraintes classiques
Les vers libres dans leur structure expressive illustrent la liberté formelle revendiquée par les romantiques, s’opposant aux règles rigides du classicisme.
Lyrisme élégiaque
« L’oubli seul désormais est ma félicité »
La plainte élégiaque, personnelle et sincère, renforce la profondeur émotionnelle du texte.
En conclusion, cet extrait illustre pleinement les caractéristiques du romantisme à travers sa célébration de la nature, son introspection personnelle, et son expression de la mélancolie. Il s'inscrit dans une époque où les auteurs revendiquent la liberté artistique et un retour aux émotions brutes et authentiques.
Victor Hugo, dans « Réponse à un acte d’accusation », fait entrer la langue dans l’ère post-révolutionnaire, post-1789 :
La langue était l’État avant quatrevingt-neuf ;
Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes
Il mentionne l’Académie française, gardienne de cet ancien temps :
Et sur l’Académie, aïeule et douairière,
Cachant sous ses jupons les tropes effarés,
Et sur les bataillons d’alexandrins carrés,
Je fis souffler un vent révolutionnaire.
Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire.
Contexte révolutionnaire : L’extrait s’inscrit dans une période post-révolutionnaire, après 1789, marquée par un bouleversement des structures politiques, sociales, et culturelles.
Victor Hugo associe la langue classique à l’Ancien Régime, avec ses privilèges et ses rigidités.
La Révolution française inspire un vent de liberté dans les arts, comme en littérature, où le romantisme remet en question les règles rigides du classicisme.
Romantisme en France :
Mouvement né au début du XIXe siècle.
Liberté artistique, expression des sentiments personnels, et rejet des règles strictes du classicisme.
En littérature, il valorise l’individualité, la sensibilité, et des thèmes universels.
Vers 1-2 : « La langue était l’État avant quatre-vingt-neuf ; / Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes. »
Hugo critique la langue classique qu’il compare à un système hiérarchique, où certains mots étaient privilégiés et d’autres exclus.
La révolution a permis de démocratiser la langue, comme elle a fait tomber les distinctions sociales.
Vers 3-4 : « Et sur l’Académie, aïeule et douairière, / Cachant sous ses jupons les tropes effarés. »
L’Académie française, gardienne des normes classiques, est ridiculisée. Elle est décrite comme une vieille dame (douairière) protectrice d’anciennes conventions (tropes effarés).
Vers 5-6 : « Je fis souffler un vent révolutionnaire. / Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. »
Hugo revendique son rôle de révolutionnaire en poésie : il bouscule les normes et introduit de nouveaux mots et idées dans la littérature, symbolisé par le « bonnet rouge », référence à la Révolution.
Rejet des règles classiques :
« Les mots, bien ou mal nés, vivaient parqués en castes. »
→ Refus de la hiérarchie stricte des mots imposée par le classicisme.
Liberté artistique et révolutionnaire :
« Je fis souffler un vent révolutionnaire. »
→ La poésie romantique s’affranchit des contraintes pour s’ouvrir à une créativité plus libre et inclusive.
Expression d’un engagement personnel :
« Je mis un bonnet rouge au vieux dictionnaire. »
→ Engagement politique et artistique d’Hugo, un des principes fondamentaux du romantisme.
Critique de l’Académie et du classicisme :
« Et sur les bataillons d’alexandrins carrés. »
→ L’alexandrin classique, symbole de rigueur, est remplacé par une poésie plus souple et variée.
Symbolisme révolutionnaire :
Le « bonnet rouge » est un symbole de liberté et d’égalité, montrant l’alliance entre romantisme et les idéaux révolutionnaires.
Victor Hugo demande que le théâtre soit le lieu de l’expression de la vie intégrale, et il défend une thèse restée célèbre sur l’alliance du sublime et du grotesque :
Essayons de faire voir que c’est de la féconde union du type grotesque au type sublime que naît le génie moderne, si complexe, si varié dans ses formes, si inépuisable dans ses créations, et bien opposé en cela à l’uniforme simplicité du génie antique […]
Victor Hugo, Préface de Cromwell
Dans la préface de Cromwell, Victor Hugo formule une thèse essentielle du romantisme : l’union du sublime et du grotesque. Il défend l’idée que le théâtre, et plus largement l’art, doivent refléter la complexité de la vie humaine dans toute sa diversité, au lieu de se limiter à l’harmonie rigide et idéalisée des classiques. Selon Hugo, cette association entre les opposés — la grandeur et l’ordinaire, le noble et le trivial — est ce qui caractérise le génie moderne, contrairement au génie antique marqué par la simplicité et l’uniformité.
Contexte :
Ce texte s’inscrit dans le mouvement romantique, né au début du XIXe siècle en réaction au classicisme. Le romantisme privilégie l’expression des émotions, la liberté artistique et l’exploration des sentiments humains dans toute leur profondeur. Dans cette perspective, Hugo rejette les règles classiques qui limitaient la créativité, notamment dans le théâtre, où le respect des unités de temps, de lieu et d’action prédominait.
La complexité du génie moderne :
Hugo souligne que le romantisme, contrairement au classicisme, s’enrichit de la diversité et de la complexité :
« si complexe, si varié dans ses formes, si inépuisable dans ses créations. »
Le romantisme célèbre ainsi la richesse des sentiments humains et la multiplicité des expériences.
L’opposition à l’uniformité classique :
Hugo critique le génie antique, qu’il considère comme trop simple et uniforme :
« bien opposé en cela à l’uniforme simplicité du génie antique. »
Cette phrase reflète le rejet des contraintes classiques, comme les règles rigides du théâtre.
L’alliance du sublime et du grotesque :
L’union de ces deux types est au cœur de la thèse romantique. Le sublime évoque la grandeur, l’émotion intense et l’élévation spirituelle, tandis que le grotesque représente l’ordinaire, parfois même le trivial ou le choquant. Selon Hugo, cette combinaison permet de représenter la vie dans sa totalité.
L’innovation artistique et la modernité :
En insistant sur « la féconde union », Hugo met en avant l’idée que le romantisme est une évolution nécessaire pour l’art, marquant une rupture avec les traditions classiques et une ouverture vers une modernité créative.
La liberté artistique :
Ce texte illustre une revendication clé du romantisme : la liberté dans les thèmes et les styles. En autorisant l’artiste à mêler le noble au trivial, Hugo affirme que tout peut devenir objet d’art.