Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour l’arrose :
La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embaumant les jardins et les arbres d’odeur :
Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur,
Languissante elle meurt feuille à feuille déclose :
Ainsi en ta première et jeune nouveauté,
Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes.
Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.
Pierre de Ronsard, Sur la mort de Marie
Introduction
Le poème « Comme on voit sur la branche », extrait du recueil Sur la mort de Marie publié en 1578, fait écho à une perte tragique, celle de Marie de Clèves, maîtresse d'Henri III, décédée à 21 ans. Pierre de Ronsard, à travers ce poème, médite sur la beauté fugace de la jeunesse et de la vie, comparant la mort prématurée de la jeune Marie à une rose qui se fane trop tôt. Ce poème officiel, écrit sur demande du roi Henri III, illustre l’hommage du poète à la beauté perdue. Dans ce commentaire, nous analyserons la manière dont Ronsard utilise la forme du sonnet pour théâtraliser la mort prématurée de Marie et rendre hommage à sa beauté éphémère.
I. La forme du sonnet : un cadre pour la réflexion sur la mort prématurée
1. La structure du sonnet et la fluidité du rythme
Le poème est écrit en sonnet, une forme poétique classique qui permet à Ronsard d'exposer de manière condensée et structurée ses sentiments face à la mort. Le sonnet, formé de deux quatrains et deux tercets, offre un équilibre parfait entre l'exposition du thème et la réflexion finale. Cette symétrie structurelle met en valeur l'idée de la beauté éphémère et de la souffrance liée à la perte. Les alexandrins, tout en rythme et en fluidité, donnent une dimension solennelle à la réflexion poétique, permettant au lecteur de suivre le cheminement du poète dans sa méditation sur la jeunesse disparue de Marie.
2. Les rimes et la musicalité du poème
Ronsard choisit une rime particulière dans ce sonnet qui ne suit pas strictement le schéma des sonnets italiens ni français classiques, donnant ainsi un caractère unique à la composition. Cette originalité dans les rimes peut être interprétée comme une manière de marquer la singularité du deuil et la spécificité de cette perte. La musicalité du poème, accentuée par l’utilisation des rimes riches et des vers réguliers, renforce la tristesse et l’intensité émotionnelle du poème.
II. La métaphore florale pour exprimer la beauté et la fragilité de la vie
1. La rose, symbole de la jeunesse et de la beauté éphémère
Le poème s’ouvre sur l’image d’une rose en pleine floraison, comparant la jeune Marie à cette fleur fragile. La rose, symbole par excellence de la beauté, est associée ici à la jeunesse et à la vitalité. Le mois de mai, période de renouveau, accentue cette idée de jeunesse éclatante et promise à un grand éclat. L’image de la rose qui "rend le ciel jaloux de sa vive couleur" met en lumière la beauté pure et inaltérée de Marie, soulignant son éclat et son pouvoir de fascination, tout comme une fleur qui capte l’attention par sa couleur et sa fraîcheur.
2. La fragilité de la rose face aux intempéries : métaphore de la mort prématurée
Cependant, cette image florale prend une tournure tragique lorsque la rose, après avoir été nourrie par l’aube et la rosée, se fane sous l’effet de la pluie ou de la chaleur excessive. La rose qui se meurt « feuille à feuille déclose » représente ici la vie de Marie, dont la beauté et la jeunesse ont été brutalement interrompues. Cette image de la rose qui se fane précocement exprime la douleur du poète face à la mort prématurée de la jeune femme et le caractère injuste de cette disparition.
III. L'hommage du poète à la beauté perdue : une cérémonie funéraire poétique
1. La symbolique des obsèques : une célébration de la beauté éternelle
Ronsard transforme le deuil en un rituel poétique où il rend hommage à la beauté de Marie même après sa mort. La conclusion du poème, qui parle de « ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs », symbolise le respect et la pureté de l’amour que le poète porte à la défunte. Ces objets, traditionnellement utilisés dans les cérémonies funéraires, sont ici chargés de sens : le lait, symbole de la pureté, et les fleurs, symboles de la beauté éphémère, deviennent les offrandes d’un poète à la mémoire de celle qu’il a perdue. Le poème devient ainsi un acte de dévotion, un hommage à la beauté perdue qui, bien que morte, restera à jamais dans la mémoire du poète.
2. L'éternité de la beauté : la rose éternelle
L’image finale du poème, qui décrit le corps de Marie comme étant « que roses », suggère que la beauté de Marie, bien que disparue, est immortalisée dans l’âme du poète. La rose, à la fois symbole de la jeunesse et de la beauté, devient ici un symbole de l’éternité, une beauté transcendée par la mort. Le poème témoigne ainsi d’une forme de résurrection poétique : bien que Marie soit morte, sa beauté continue de vivre à travers le poème et dans l’imaginaire du poète.
Conclusion
Dans « Comme on voit sur la branche », Pierre de Ronsard utilise la forme du sonnet et la métaphore florale pour exprimer la fragilité de la vie humaine et rendre hommage à la beauté éphémère de Marie. La comparaison entre la rose et la jeune Marie permet au poète de réfléchir sur la perte précoce et sur la manière dont la beauté, même lorsqu’elle est fauchée dans sa jeunesse, peut atteindre une forme d’éternité à travers l’art. Ce poème funéraire, tout en étant un acte de deuil, devient également une célébration de la beauté idéale, immortalisée par le souvenir et la poésie.