L’hiver blanchit le dur chemin.
Tes jours aux méchants sont en proie.
La bise mord ta douce main,
La haine souffle sur ta joie.
La neige emplit le noir sillon.
La lumière est diminuée…
Ferme ta porte à l’aquilon !
Ferme ta vitre à la nuée !
Et puis laisse ton cœur ouvert !
Le cœur, c’est la sainte fenêtre.
Le soleil de brume est couvert ;
Mais Dieu va rayonner peut-être !
Doute du bonheur, fruit mortel,
Doute de l’homme plein d’envie,
Doute du prêtre et de l’autel,
Mais crois à l’amour, ô ma vie !
Crois à l’amour, toujours entier,
Toujours brillant sous tous les voiles !
À l’amour, tison du foyer !
À l’amour, rayon des étoiles !
Aime, et ne désespère pas.
Dans ton âme où parfois je passe,
Où mes vers chuchotent tout bas,
Laisse chaque chose à sa place.
La fidélité sans ennui,
La paix des vertus élevées,
Et l’indulgence pour autrui,
Éponge des fautes lavées.
Dans ta pensée où tout est beau,
Que rien ne tombe ou ne recule.
Fais de ton amour ton flambeau.
On s’éclaire de ce qui brûle.
À ces démons d’inimitié
Oppose ta douceur sereine,
Et reverse-leur en pitié
Tout ce qu’ils t’ont vomi de haine.
La haine, c’est l’hiver du cœur.
Plains-les. Mais garde ton courage.
Garde ton sourire vainqueur.
Bel arc-en-ciel, sors de l’orage !
Garde ton amour éternel.
L’hiver, l’astre éteint-il sa flamme ?
Dieu ne retire rien du ciel ;
Ne retire rien de ton âme !
Il fait froid fait partie de la collection Les Contemplations (1856) de Victor Hugo, un recueil profondément introspectif où le poète s’interroge sur la condition humaine, l’amour, la foi et le sens de la vie face à la souffrance et aux épreuves. Le poème aborde la thématique du froid hivernal, à la fois littéral et symbolique, pour introduire une réflexion sur l'adversité. Cependant, au-delà de l’hiver et de ses représentations négatives, Hugo propose l’amour comme une lumière salvatrice, un foyer contre la froideur du monde extérieur.
Le poème commence par une image saisissante du froid hivernal : "L’hiver blanchit le dur chemin". Le froid devient immédiatement une métaphore de la difficulté, du chemin ardu que le poète et l'humanité traversent. Les "jours aux méchants" sont représentés comme des proies, ce qui renforce l’idée que l’oppression et la douleur proviennent d’un monde hostile. Le poème semble décrire une réalité marquée par la violence et la cruauté, symbolisées par la "bise [qui] mord ta douce main" et par la "haine" qui souffle sur la joie. Ces éléments naturels sont employés pour traduire la violence qui atteint l'âme humaine, comme une agression extérieure qui affecte la paix intérieure.
Dans le deuxième quatrain, après avoir décrit un monde de souffrance, Hugo invite à "fermer la porte à l’aquilon" (le vent du nord), à se protéger de cette froideur extérieure et à se tourner vers l’intérieur, vers le cœur. Ce cœur est décrit comme une "sainte fenêtre", image qui suggère que l’amour est une ouverture sacrée vers la lumière. Bien que "le soleil de brume soit couvert", il y a l’espoir que "Dieu va rayonner peut-être". Hugo propose ici la foi comme un espoir nécessaire, une croyance en un au-delà du visible et du tangible, un chemin vers la lumière même dans les moments d’obscurité.
Les vers suivants révèlent une certaine forme de doute, voire de scepticisme, face à certaines valeurs humaines. Hugo invite à "douter du bonheur, fruit mortel" et à "douter de l’homme plein d’envie". Ce scepticisme va jusqu’à remettre en question les institutions humaines, comme le prêtre et l’autel. Cependant, contre ces doutes, il offre une certitude : croire en l’amour. L’amour est décrit comme un "tison du foyer", une lumière qui réchauffe, qui unit, et un "rayon des étoiles", une lumière divine et universelle. Hugo présente l’amour comme une valeur intemporelle et indestructible, plus forte que la souffrance, le doute ou la haine.
Hugo poursuit en développant l’idée de l’amour comme un guide moral et spirituel. Il conseille de "garder son amour éternel", un amour qui est pur et constant, capable d'éclairer même les moments les plus sombres. L’amour devient une sorte de flambeau, une lumière qui brille dans l’obscurité, un phare pour la pensée et l'âme. Hugo invite son interlocuteur à faire de son amour une force qui éclaire et qui lutte contre l'adversité. Dans cette même optique, la fidélité, la paix des vertus et l’indulgence pour autrui sont mises en avant comme des qualités essentielles, qui permettent d'apporter la paix dans un monde en souffrance.
Le poème se termine par une confrontation directe entre l’amour et la haine. Hugo appelle à opposer à "ces démons d’inimitié" la "douceur sereine" et à "reverse[r] en pitié" ce que la haine nous a infligé. La haine est associée à l’hiver du cœur, une "froideur" qui envahit l’âme. Cependant, Hugo appelle à la compassion et à la résilience, en insistant sur l’importance de garder son courage et son sourire, en dépit des épreuves. "Bel arc-en-ciel, sors de l’orage !" La dernière image de l’arc-en-ciel après l’orage est une métaphore puissante de l'espoir et de la réconciliation, qui surgissent après la tempête des souffrances humaines.
Il fait froid est un poème où Hugo explore la tension entre la dureté de l’hiver et la douceur de l’amour. La première partie du poème met en avant la souffrance, la violence et le froid, tandis que la seconde partie propose l’amour comme remède, une force capable de réchauffer le cœur et d'éclairer l'âme. L'œuvre illustre la conviction de l’auteur selon laquelle, malgré les épreuves, l'amour demeure une valeur essentielle et salvatrice. La foi, l’espoir et la douceur sont des réponses aux souffrances du monde et aux forces de haine. Ce poème peut être vu comme un appel à la persévérance dans l’amour et la douceur face aux adversités de la vie.