L’Oiseau, le Tardigrade et l’Éphémère [Fable poétique]

Au-delà du plus loin que puisse voyager,
Humain, ton imagination paupérisée,
Là, s’élevant du profond abysse boréal
L’ichtyomorphe K’ouen quitte son songe nocturnal,
Son éveil métamorphique s'étant accompli.
Désormais P’eng, oiseau rival de l’infini,
D’un battement d’ailes couvre la rotondité
Du globe céruléen où gît ta fatuité.

Quand l’oiseau-titan étend sur lui son ombre,
Frémit le tardigrade au sein de son décombre.
À ses côtés, tremblant tout autant, l’éphémère
Vit son unique instant dans une nuit de pierre.

« Qui nous vaut ces ténèbres, dont nul de mes aïeux
Ne fit jamais mention sur la Terre du Milieu ?,
Maugréa l'éphémère au creux des mandibules.

— De quelle nuit parles-tu, stupide animalcule ?,
Lui rétorque alors le tardigrade, sèchement.
Préparant sa réponse, l’insecte brusquement
Dans un comique hoquet rend son dernier soupir.

Un de ses congénères vient à son tour glapir :
— Celui qui vient ainsi sans mon consentement
Se gaver de mon jour et de mon territoire,
Qu’il retourne chez lui, emportant sa nuit noire !,
Poursuit à l’identique l’éphémère suivant.
Le tardigrade n’a pas le temps de s’étonner,
Que le remplaçant est aussitôt décédé.

Un troisième se présente, continuant la diatribe ;
Tout en postillonnant, éructe quelques bribes :
— Ces maudits étrangers, qu’on les renvoie chez eux !
Ils viennent jusque dans nos bras égorger nos œufs,
Envahir nos campagnes !… » Tel ses prédécesseurs,
La fureur l’étouffe, et voilà bientôt qu’il meurt.

Au-dessus des nuages, impassible, glisse l’oiseau.
Le grand P’eng ignore l'irascible soubresaut
Des fielleux insectes aux relents condamnables.

Au tardigrade revient de conclure cette fable :
« J’ai croisé hier un certain sieur Baudelaire,
Prétendant le poète à l’oiseau similaire :
“Ses ailes de géant l’empêchent de marcher”.
Compagnon céleste, demeure à jamais perché !
Car, ici-bas, toujours se suivent et se ressemblent,
Ceux-là qui, devant tout ce qui diffère, tremblent.
Encore et toujours il nous faudra ressasser :
La haine et le néant empêchent de penser. » 

Patrick Moulin, MardiPhilo, mars 2025.