Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Déjà Dieu, Père et architecte suprême, avait construit avec les lois d’une sagesse secrète cette demeure du monde que nous voyons, auguste temple de sa divinité : il avait orné d’esprits la région supra-céleste, il avait vivifié d’âmes éternelles les globes éthérés, il avait empli d’une foule d’êtres de tout genre les parties excrémentielles et bourbeuses du monde inférieur. Mais, son œuvre achevée, l’architecte désirait qu’il y eût quelqu’un pour peser la raison d’une telle œuvre, pour en aimer la beauté, pour en admirer la grandeur. Aussi, quand tout fut terminé [...], pensa-t-il en dernier lieu à créer l’homme. p. 5-7.
Tout était déjà rempli : tout avait été distribué aux ordres supérieurs, intermédiaires et inférieurs. [...] En fin de compte, le parfait ouvrir décida qu’à celui qui ne pouvait rien recevoir en propre serait commun tout ce qui avait été donné de particulier à chaque être isolément. Il prit donc l’homme, cette œuvre indistinctement imagée, et l’ayant placé au milieu du monde, il lui adressa la parole en ces termes : “Si nous ne t’avons donné, Adam, ni une place déterminée, ni un aspect qui te soit propre, ni aucun don particulier, c'est afin que la place, l’aspect, les dons que toi-même aurais souhaités, tu les aies et les possèdes selon ton vœu, à ton idée. Pour les autres, leur nature définie est tenue en bride par des lois que nous avons prescrites : toi, aucune restriction ne te bride, c'est ton propre jugement, auquel je t’ai confié, qui te permettra de définir ta nature. [...] Si nous ne t’avons fait ni céleste ni terrestre, ni mortel ni immortel, c’est afin que, doté pour ainsi dire du pouvoir arbitral et honorifique de te modeler et de te façonner par toi-même, tu te donnes la forme qui aurait eu ta préférence. Tu pourras dégénérer en formes inférieures qui sont bestiales ; tu pourras, par décision de son esprit, te régénérer en formes supérieures, qui sont divines.” p. 7-9.
Mais à l’homme naissant, le Père a donné des semences de toute sorte et les germes de toute espèce de vie. Ceux que chacun aura cultivés se développeront et fructifieront en lui : végétatifs, ils le feront devenir plantes ; sensibles, ils feront de lui une bête ; rationnels, ils le hisseront au rang d’être céleste ; intellectifs, ils feront de lui un ange et un fils de Dieu. p. 9.
Car ce n’est pas l’écorce qui fait la plante, mais sa nature stupide et insensible ; ce n’est pas le cuir qui fait les bêtes de somme, mais leur âme bestiale et sensible ; ce n’est pas son corps arrondi qui fait le ciel, mais la rectitude d’un plan ; et ce n’est pas la séparation du corps, mais l’intelligence spirituelle qui fait l’ange. p. 11.
Mais à quoi tend tout cela ? A nous faire comprendre qu’il nous appartient, puisque notre condition native nous permet d’être ce que nous voulons, de veiller par-dessus tout à ce qu’on ne nous accuse pas d’avoir ignoré notre haute charge, pour devenir semblables aux bêtes de somme et aux animaux privés de raison. p. 13.
Mais comment faire porter son jugement ou son amour sur ce qu’on ne connaît pas ? p. 17.
Et pour ne pas nous contenter de nos propres auteurs, consultons le patriarche Jacob [...]. Il nous instruira, le très sage Père, qui dormait dans le monde d’en bas et veille dans celui d’en haut. Mais c’est d’une manière figurée (car tout leur était donné par figures) qu’il nous enseignera qu’une échelle, prenant appui sur le sol tout en bas, se dresse jusqu’au faîte du ciel, divisée en une série de multiples échelons ; au sommet se tient le Seigneur, et les anges contemplateurs la parcourent en montant et en descendant tour à tour, alternativement. p. 21.
Ces mains, ces pieds, autrement dit toute cette partie sensuelle en quoi réside l’attrait du corps et qui immobilise l’âme en lui serrant le cou [...], lavons-les dans la philosophie morale comme dans l’eau vive, de crainte d’être chassés de l’échelle pour cause d’impiété et de souillure. p. 21-23.
Lorsque nous y serons parvenus [à effectuer des parcours sur l’échelle] par l’art du discours ou du calcul, [...] philosophant le long des degrés de l’échelle, c’est-à-dire de la nature, pénétrant toute chose depuis le centre jusqu’au centre, alors nous pourrons tantôt descendre en démembrant avec une force titanesque l’un dans le multiple, tel Osiris, tantôt monter en rassemblant avec une force apollinienne le multiple dans l’un, comme s’il s’agissait des membres d’Osiris - jusqu’au moment où [...] nous atteindrons à la perfection grâce à la félicité de la connaissance divine. p. 23.
En premier lieu [...], la philosophie morale abattra les élans effrénés de la multiple brute [...]. Il reviendra à la dialectique de calmer les troubles de la raison qui s’agite, anxieusement, entre les contradictions des discours et les pièges des syllogismes. La philosophie naturelle calmera les conflits d’opinion et les dissensions [...]. Mais si elle doit les apaiser, c’est en nous invitant à garder en mémoire que la nature, selon Héraclite, est née de la guerre [...]. p. 25-27.
J’entends par là, s’il faut appeler mort la plénitude de la vie, cette mort dont les sages ont affirmé que la philosophie s’applique à la méditer. p. 29.
Que signifient d’autre [...] les degrés d’initiation suivis dans les cérémonies secrètes des Grecs ? Aux initiés préalablement rendus purs grâce aux arts en quelque sorte purificateurs dont nous avons parlé, la morale et la dialectique, il était donné d’affronter les mystères. En quoi cela peut-il consister, sinon en une interprétation par la philosophie des secrets de la nature ? C’est à ce stade, et à ce stade seulement, que leur advenait la fameuse épopteía [le plus haut degré d’initiation dans les mystères d’Éleusis], c’est-à-dire la vision interne des choses divines par la lumière de la théologie. Qui ne désirerait être initié à des mystères si sacrés ? p. 31-33.
[Le] fameux medèn âgan, autrement dit “rien de trop”, prescrit justement la norme et la règle de toutes les vertus par le calcul du juste milieu, dont traite la morale. Puis le gnôthi seautón, autrement dit “connais-toi toi-même”, nous incite et nous exhorte à l’étude de la nature entière, dans laquelle la nature de l’homme occupe une position intermédiaire et pour ainsi dire mixte ; se connaître, c’est en effet tout connaître en soi, comme l’ont écrit Zoroastre, puis Platon dans l’Alcibiade. Enfin, éclairés par cette connaissance grâce à la philosophie naturelle, désormais proches de Dieu, c’est par la salutation théologique Ei, autrement dit “tu es”, que nous nous adresserons avec familiarité - et donc avec bonheur - au véritable Apollon. p. 35-37.
[Pythagore] nous conseillera de nourrir le coq, autrement dit de repaître la partie divine de notre âme de la connaissance du divin, comme d’un aliment consistant et d’une céleste ambroisie. [...] Au moment de mourir, espérant lier la divinité de son âme à la divinité du monde supérieur et désormais à l’abri de tout risque de maladie, c’est ce coq que Socrate a assuré devoir à Esculape, autrement dit au médecin des âmes. p. 39.
C’est la philosophie, précisément, qui m’a appris à dépendre de ma conscience plutôt que des jugements du dehors, et à toujours me soucier moins des mauvaises opinions sur mon compte que de la nécessité de ne rien dire ou faire de mal moi-même. p. 47.
[De] même que la gymnastique permet d’accroître les forces du corps, de même cette palestre culturelle, si je puis dire, est le lieu où les forces spirituelles se consolident et se vivifient au plus haut point. p. 51.
[Le combat intellectuel] a ceci de particulier que la défaite même est profitable. p. 53.
Je trouve inconvenant et pénible cette prétention d’imposer des bornes au travail d’autrui, en souhaitant la médiocrité en un domaine, comme dit Cicéron, où l’on fait d’autant mieux que l'on fait davantage. p. 55.
À quoi bon avoir discuté les opinions de tous les autres, si c’est sans payer notre écot - pour ainsi dire - que nous nous serons joints au banquet des savants, et si nous n’avions rien apporté de nôtre, rien qui fût conçu et élaboré par notre intelligence ? p. 67-69.
[Il ne manque pas de gens] pour condamner et détester ce qu’ils ne comprennent pas, de même que les chiens aboient toujours contre les inconnus. p. 85.
Pythagore n’a rien écrit, sinon quelques phrases qu’il a confiées en mourant à sa fille Damo. Sculptés devant les temps des Égyptiens, les sphynx rappelaient qu'il faut, par le nœud des énigmes, mettre les enseignements hors d’atteinte de la multitude profane. “Je dois m’exprimer par énigmes”, dit Platon dans une lettre à Denys (à propos des substances suprêmes), “de crainte que d’autres ne comprennent ce que je t'écris, au cas où cette lettre tomberait entre des mains étrangères”. Aristote disait que les livres de la Métaphysique, où il traite des choses divines, étaient publiés sans l’être. p. 87-89.
Orphée a tellement enveloppé les mystères de son enseignement dans les replis de la fable, il les a tellement dissimulés sous un voile poétique, qu’à lire ses hymnes on s’imagine qu’ils ne recouvrent rien d’autre que des historiettes ou de simples bagatelles. p. 97.
Mais je l’affirmerai, bien que ce ne soit guère modeste, ni conforme à mon tempérament, je l’affirmerai puisque les envieux me contraignent de parler, puisque les détracteurs m’y forcent : au cours de notre rencontre, mon propos n’était pas de montrer que je sais beaucoup de choses, mais plutôt de convaincre que je sais des choses que beaucoup ignorent. p. 99.
Pico della Mirandola, De la dignité de l’homme. De Hominis Dignitate, Paris, Éditions de l’éclat, 2016. Texte intégral
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, novembre 2024.
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