Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
La lacune la plus considérable que présentent nos études antérieures à un regard rétrospectif concerne bien évidemment la dimension temporelle tant du soi que de l’action elle-même. Ni la définition de la personne dans la perspective de la référence identifiante, ni celle de l’agent dans le cadre de la sémantique de l’action [...] n‘ont pris en compte le fait que la personne dont on parle, que l’agent dont l’action dépend, ont une histoire, sont leur propre histoire. [...] Or ce n’est pas seulement une dimension importante parmi d’autres qui a été ainsi omise, mais une problématique entière, à savoir celle de l’identité personnelle qui ne peut précisément s’articuler que dans la dimension temporelle de l'existence humaine. [...] On espère montrer que c’est dans le cadre de la théorie narrative que la dialectique concrète de l’ipséité et de la mêmeté [...] atteint son plein épanouissement. p. 137-138.
Une triade s’est imposée à moi : décrire, raconter, prescrire - chaque moment de la triade impliquant un rapport spécifique entre constitution de l’action et constitution du soi. p. 139.
[C’est] à l’échelle d’une vie entière que le soi cherche son identité. p. 139.
Le problème de l'identité personnelle constitue à mes yeux le lieu privilégié de la confrontation entre les deux usages majeurs du concept d’identité [...]. Je rappelle les termes de la confrontation : d’un côté l'identité comme mêmeté (latin : idem), de l’autre l’identité comme ipséité (latin : ipse). L’ipséité [...] n’est pas la mêmeté. p. 140.
La mêmeté est un concept de relation et une relation de relation. En tête, vient l’identité numérique : ainsi, de deux occurrences d’une chose désignée par un nom invariable dans le langage ordinaire, disons-nous qu’elles ne forment pas deux choses différentes mais “une seule et même” chose. Identité, ici, signifie unicité : le contraire est pluralité [...] ; à cette première composante de la notion d’identité correspond l’opération d’identification, entendue au sens de réidentification du même, qui que connaître, c’est reconnaître : la même chose deux fois, n fois. / Vient en second rang l’identité qualitative, autrement dit la ressemblance extrême [...] ; à cette deuxième composante correspond l’opération de substitution sans perte sémantique, salva veritate. p. 140-141.
C’est la faiblesse de ce critère de similitude, dans le cas de la grande distance dans le temps, qui suggère que l’on fasse appel à un autre critère, lequel relève de la troisième composante de la notion d’identité, à savoir la continuité ininterrompue entre le premier et le dernier stade du développement de ce que nous tenons pour le même individu. p. 141.
C’est pourquoi la menace [que le temps comme facteur de dissemblance] représente pour l’identité n’est entièrement conjurée que si l’on peut poser, à la base de la similitude et de la continuité ininterrompue du changement, un principe de permanence dans le temps. [...] Toute la problématique de l’identité personnelle va tourner autour de cette quête d’un invariant relationnel, lui donnant la signification forte de permanence dans le temps. p. 142.
Parlant de nous-mêmes, nous disposons en fait de deux modèles de permanence dans le temps que je résume par deux termes à la fois descriptifs et emblématiques : le caractère et la parole tenue. [...] Mon hypothèse est que la polarité de ces deux modèles de permanence de la personne résulte de ce que la permanence du caractère exprime le recouvrement quasi complet l’une par l’autre de la problématique de l’idem et de celle de l’ipse, tandis que la fidélité à soi dans le maintien de la parole donnée marque l’écart extrême entre la permanence du soi et celle du même, et donc atteste pleinement l’irréductibilité des deux problématiques l’une à l’autre. p. 143.
J’entends ici par caractère l’ensemble des marques distinctives qui permettent de réidentifier un individu humain comme étant le même. Par les traits descriptifs que l’on va dire, il cumule l’identité numérique et qualitative, la continuité ininterrompue et la permanence dans le temps. C’est par là qu’il désigne de façon emblématique la mêmeté de la personne. p. 144.
Le caractère [...], c’est la mêmeté dans la mienneté. Note n° 1, p. 145.
Le caractère [...] désigne l’ensemble des dispositions durables à quoi on reconnaît une personne. C’est à ce titre que le caractère peut constituer le point limite où la problématique de l’ipse se rend indiscernable de celle de l’idem et incline à ne pas les distinguer l’une de l’autre. p. 146.
Premièrement, à la notion de disposition se rattache celle d’habitude, avec sa double valence d’habitude en train d’être [...] contractée, et d'habitude déjà acquise. Or ces deux traits ont une signification temporelle évidente : l'habitude donne une histoire au caractère ; mais c’est une histoire dans laquelle la sédimentation tend à recouvrir et, à la limite, à abolir l'innovation qui l’a précédée. [...] C’est cette sédimentation qui confère au caractère la sorte de permanence dans le temps que j’interprète ici comme recouvrement de l’ipse par l’idem. p. 146.
Deuxièmement, se laisse rattacher à la notion de disposition l'ensemble des identifications acquises par lesquelles de l’autre entre dans la composition du même. Pour une grande part, en effet, l’identité d’une personne, d'une communauté, est faite de ces identifications-à des valeurs, des normes, des idéaux, des modèles, des héros dans lesquels la personne, la communauté se reconnaissent. Le se reconnaître-dans contribue au se reconnaître-à. p. 147-147.
Il est [...] un autre modèle de permanence dans le temps que celui du caractère. C’est celui de la parole tenue dans la fidélité à la parole donnée. Je vois dans cette tenue la figure emblématique d’une identité polairement opposée à celle du caractère. La parole tenue dit un maintien de soi qui ne se laisse pas inscrire, comme le caractère, dans la dimension du quelque chose en général, mais uniquement dans celle du qui ?. Ici aussi l’usage des mots est un bon guide. Une chose est la persévération du caractère ; une autre, la fidélité à la parole donnée. p. 148.
RICŒUR P., Soi-même comme un autre, Paris, Éditions Points, 2015.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecture - SommairePatrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.
Philosophie, Mardi c’est Philosophie, #MardiCestPhilosophie, Contemplation, Notes contemplatives, RicoeurNotes contemplatives - Ricœur, Soi-même comme un autre - #5 L’identité personnelle et l’identité narrative #Philosophie #MardiCestPhilosophie #Contemplation #RicoeurPhilosophie, Mardi c’est Philosophie, #MardiCestPhilosophie, Contemplation, Notes contemplatives, Ricœur, Soi, Moi, Autre, Autrui, Visée, Éthique, Morale, Mœurs, Qui, Institution, Bon, Bien, Juste, Justice, Injustice, Vie, Bonheur, Souverain Bien, Juger, Jugement, Égalité, Herméneutique, Ipséité, Interprétation, Vivre, Bien-vivre, Ensemble, Société, Communauté, Politique, Action, Agir, Amitié, Souffrance, Douleur, Visage, Épiphanie, Reconnaissance, Spontanéité, Bienveillance, Bienfaisance, Mentale, Physique, Règles, Normes, Loi, Ethos, Relations, Sollicitude, Estime de soi, Devoir, Légitimité, Pratique, Attestation, Discours, Acte, Expérience, Décision, Choix, Certitude, Téléologie, Déontologie, Accomplir, Accompli, Universalité, Prédicat, Ipse, Idem, Ipséité, Mêmeté, Mienneté, Caractère, Parole, Habitude, Ressemblance, Dissemblance, Personne, Personnelle, Narrative, Narration#Philosophie #MardiCestPhilosophie #Contemplation #Ricœur #Soi #Autre #Ipse #Idem #Ipséité #Mêmeté