Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Cet essai se propose de poursuivre, devant le meurtre et la révolte, une réflexion commencée autour du suicide et de la notion d’absurde. p. 17.
Respirer, c’est juger. p. 21.
La révolte naît du spectacle de la déraison, devant une condition injuste et incompréhensible. p. 23.
Qu’est-ce qu’un homme révolté ? Un homme qui dit non ? Mais s’il refuse, il ne renonce pas : c’est un homme qui dit oui, dès son premier mouvement. p. 27.
Dans la révolte, l’homme se dépasse en autrui et, de ce point de vue, la solidarité humaine est métaphysique. p. 31.
Apparemment négative, puisqu’elle ne crée rien, la révolte est profondément positive puisqu’elle révèle ce qui, en l’homme, est toujours à défendre. p. 34.
Pour être, l’homme doit se révolter, mais sa révolte doit respecter la limite qu’elle découvre en elle-même et où les hommes, en se rejoignant, commencent d'être. p. 37.
Je me révolte, donc nous sommes. p. 38.
La révolte métaphysique est le mouvement par lequel un homme se dresse contre sa condition et la création tout entière. Elle est métaphysique parce qu’elle conteste les fins de l’homme et de la création. p. 41.
L’être, c’est la pierre. La singulière volupté dont parle Épicure réside surtout dans l’absence de douleur ; c’est le bonheur des pierres. p. 48.
Toute éthique de la solitude suppose la puissance. p. 57.
Dès l’instant où l’homme soumet Dieu au jugement moral, il le tue en lui-même. p. 87.
Les chirurgiens ont ceci de commun avec les prophètes qu’ils pensent et opèrent en fonction de l’avenir. p. 91.
Le nihiliste n’est pas celui qui ne croit à rien, mais celui qui ne croit pas à ce qui est. p. 96.
Tous les possibles additionnés ne font pas la liberté, mais l’impossible est esclavage. p. 97.
Être libre, c’est justement abolir les fins. L'innocence du devenir, dès qu’on y consent, figure le maximum de liberté. L’esprit libre aime ce qui est nécessaire. p. 99.
Il y a la liberté pour l’homme sans dieu, tel que l'imaginait Nietzsche, c’est-à-dire solitaire. Il y a la liberté à midi quand la roue du monde s'arrête et que l’homme dit oui à ce qui est. Mais ce qui est devient. Il faut dire oui au devenir. La lumière finit par passer, l’axe du jour s’incline. L’histoire recommence alors et, dans l’histoire, il faut chercher la liberté, à l'histoire, il faut dire oui. p. 106.
On compterait sur les doigts de la main les communistes qui sont venus à la révolution par l’étude du marxisme. On se convertit d’abord et on lit ensuite les Écritures et les Pères. Note n° 1, p. 125.
Le révolté ne demande pas la vie, mais les raisons de la vie. Il refuse la conséquence que la mort apporte. Si rien ne dure, rien n’est justifié, ce qui meurt est privé de sens. Lutter contre la mort, revient à revendiquer le sens de la vie, à combattre pour la règle et pour l’unité. p. 132.
Dieu mort, restent les hommes, c’est-à-dire l’histoire qu’il faut comprendre et bâtir. Le nihilisme, qui, au sein de la révolte, submerge alors la force de création, ajoute seulement qu’on peut la bâtir par tous les moyens. Aux cimes de l’irrationnel, l’homme, sur une terre qu’il sait désormais solitaire, va joindre les crimes de la raison en marche vers l’empire des hommes. Au “je me révolte, donc nous sommes”, il ajoute, méditant de prodigieux desseins et la mort même de la révolte : “Et nous sommes seuls.” p. 135.
La révolution commence [...] à partir de l’idée. Précisément, elle est l’insertion de l’idée dans l’expérience historique quand la révolte est seulement le mouvement qui mène de l'expérience individuelle à l’idée. Alors que l’histoire, même collective, d’un mouvement de révolte est toujours celle d’un engagement sans issue dans les faits, d’une protestation obscure qui n’engage ni systèmes ni raisons, une révolution est une tentative pour modeler l’acte sur une idée, pour façonner le monde dans un cadre théorique. C’est pourquoi la révolte tue des hommes alors que la révolution détruit à la fois des hommes et des principes. p. 140.
Mais la totalité est-elle l’unité ? C’est la question à laquelle cet essai doit répondre. p. 142.
L'insoumis rejette la servitude et s’affirme l’égal du maître. Il veut être maître à son tour. p. 144.
Si, sous le ciel désert, au premier matin du monde, il n’y a qu’un maître et un esclave ; si même, du dieu transcendant aux hommes, il n'y a qu’un lien de maître à esclave, il ne peut y avoir d’autre loi au monde que celle de la force. p. 177.
L’animal, selon Hegel, possède une conscience immédiate du monde extérieur, un sentiment de soi, mais non la conscience de soi-même, qui distingue l’homme. Celui-ci ne naît vraiment qu’à partir de l’instant où il prend conscience de lui-même en tant que sujet connaissant. Il est donc essentiellement conscience de soi. La conscience de soi pour s’affirmer doit se distinguer de ce qui n’est pas elle. L’homme est la créature qui, pour affirmer son être et sa différence, nie. p. 179.
Toute conscience est, dans son principe, désir d’être reconnue et saluée comme telle par les autres consciences. Ce sont les autres qui nous engendrent. p. 180.
Quand l’idée d’innocence disparaît chez l’innocent lui-même, la valeur de puissance règne définitivement sur un monde désespéré. C’est pourquoi une ignoble et cruelle pénitence règne sur ce monde où seules les pierres sont innocentes. Les condamnés sont obligés de se pendre les uns les autres. p. 235.
L’avenir est la seule sorte de propriété que les maîtres concèdent de bon gré aux esclaves. p. 247.
Tout homme est un criminel qui s’ignore. p. 303.
Si l’homme veut se faire Dieu, il s’arroge le droit de vie ou de mort sur les autres. Fabricant de cadavres, et de sous-hommes, il est sous-homme lui-même et non pas Dieu, mais serviteur ignoble de la mort. p. 307.
Mais la révolte est, dans l’homme, le refus d’être traité en chose et d’être réduit à la simple histoire. Elle est l’affirmation d’une nature commune à tous les hommes, qui échappe au monde de la puissance. p. 311-312.
[Au] “Je me révolte, donc nous sommes”, au “Nous sommes seuls” de la révolte métaphysique, la révolte aux prises avec l’histoire ajoute qu’au lieu de tuer et mourir pour produire l’être que nous ne sommes pas, nous avons à vivre et faire vivre pour créer ce que nous sommes. p. 314.
L’histoire a peut-être une fin ; notre tâche pourtant n’est pas de la terminer, mais de la créer, à l’image de ce que désormais nous savons vrai. L’art, du moins, nous apprend que l’homme ne se résume pas seulement à l’histoire et qu’il trouve aussi une raison d’être dans l’ordre de la nature. p. 344.
Il n’y a rien de commun en effet entre un maître et un esclave, on ne peut parler et communiquer avec un être asservi. Au lieu de ce dialogue implicite et libre par lequel nous reconnaissons notre ressemblance et consacrons notre destinée, la servitude fait régner le plus terrible des silences. p. 354.
Le révolté exige sans doute une certaine liberté, pour lui-même ; mais en aucun cas, s’il est conséquent, le droit de détruire l’être et la liberté de l’autre. Il n’humilie personne. La liberté qu’il réclame, il la revendique pour tous ; celle qu’il refuse, il l’interdit à tous. p. 355.
La liberté absolue, c’est le droit pour le plus fort de dominer. Elle maintient donc les conflits qui profitent à l’injustice. L’injustice absolue passe par la suppression de toute contradiction : elle détruit la liberté. p. 359.
Toute crise historique [...] s’achève par des institutions. Si nous n’avons pas de prise sur la crise elle-même, nous en avons sur les institutions puisque nous pouvons les définir, choisir celles pour lesquelles nous luttons et incliner ainsi notre lutte dans leur direction. p. 364.
L’Europe n’a jamais été que dans cette lutte entre midi et minuit. Elle ne s’est dégradée qu’en désertant celle lutte, en éclipsant le jour par la nuit. [...] Au cœur de la nuit européenne, la pensée solaire, la civilisation au double visage, attend son aurore. p. 374-375.
Si le temps de l’histoire n’est pas fait du temps de la moisson, l’histoire n’est en effet qu’une ombre fugace et cruelle où l’homme n’a plus sa part. Qui se donne à cette histoire ne se donne à rien et à son tour n’est rien. Mais qui se donne au temps de sa vie, à la maison qu’il défend, à la dignité des vivants, celui-là se donne à la terre et en reçoit la moisson qui ensemence et nourrit à nouveau. p. 377.
[La] révolte, sans prétendre à tout résoudre, peut au moins faire face. Dès cet instant, midi ruisselle sur le mouvement même de l’histoire. p. 381.
Au midi de la pensée, le révolté refuse ainsi la divinité pour partager les luttes et le destin communs. Nous choisirons Ithaque, la terre fidèle, la pensée audacieuse et frugale, l’action lucide, la générosité de l’homme qui sait. Dans la lumière, le monde reste notre premier et notre dernier amour. Nos frères respirent sous le même ciel que nous, la justice est vivante. Alors naît la joie étrange qui aide à vivre et à mourir et que nous refusons désormais de renvoyer à plus tard. Sur la terre douloureuse, elle est l’ivraie inlassable, l’amère nourriture, le vent du venu des mers, l'ancienne et la nouvelle aurore. Avec elle, au long des combats, nous referons l’âme de ce temps et une Europe qui, elle, n’exclura rien. p. 381-382.
CAMUS A., L’homme révolté, Paris, Folio essais, 2017.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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