Poésie - Miguel de Unamuno, Para después de mi muerte [Pour après ma mort]

POMÈS, M., Anthologie de la poésie espagnole

Para después de mi muerte

Vientos abismales,
tormentas de lo eterno han sacudido
de mi alma el poso,
y su haz se enturbió con la tristeza
del sedimento.
Turbias van mis ideas,
mi conciencia enlojada,
empañado el cristal en que desfilan
de la vida las formas,
y todo triste
porque esas heces lo entristecen todo.

Oye tú que lees esto
después de estar yo en tierra,
cuando yo que lo he escrito
no puedo ya al espejo contemplarme;
¡oye y medita!
Medita, es decir: ¡sueña!
“Él, aquella mazorca
de ideas, sentimientos, emociones,
sensaciones, deseos, repugnancias,
voces y gestos,
instintos, raciocinios,
esperanzas, recuerdos,
y goces y dolores,
él, que se dijo yo, sombra de vida,
lanzó al tiempo esta queja
y hoy no la oye;
¡es mía ya, no suya!»
Sí, lector solitario, que así atiendes
la voz de un muerto,
tuyas serán estas palabras mías
que sonarán acaso
desde otra boca,
sobre mi polvo
sin que las oiga yo que soy su fuente.

Cuando yo ya no sea,
¡serás tú, canto mío!
¡Tú, voz atada a tinta,
aire encamado en tierra,
doble milagro,
portento sin igual de la palabra,
portento de la letra,
tú nos abrumas!
¡Y que vivas tú más que yo, mi canto!
¡Oh, mis obras, mis obras,
hijas del alma!,
¿por qué no habéis de darme vuestra vida?,
¿por qué a vuestros pechos
perpetuidad no ha de beber mi boca?
¡Acaso resonéis, dulces palabras,
en el aire en que floten
en polvo estos oídos,
que ahora están midiéndoos el paso!
¡Oh, tremendo misterio!,
en el mar larga estela reluciente
de un buque sumergido,
¡huellas de un muerto!
¡Oye la voz que sale de la tumba
y te dice al oído
este secreto:
yo ya no soy, hermano!

Vuelve otra vez, repite:
¡yo ya no soy, hermano!


Yo ya no soy; mi canto sobrevíveme
y lleva sobre el mundo
la sombra de mi sombra,
¡mi triste nada!
Me oyes tú, lector, yo no me oigo,
y esta verdad trivial, y que por serlo
la dejamos caer como la lluvia,
es lluvia de tristeza,
es gota del océano
de la amargura.

¿Dónde irás a pudrirte, canto mío?
¿En qué rincón oculto
darás tu último aliento?
¡Tú también morirás, morirá todo,
y en silencio infinito
dormirá para siempre la esperanza!

Pour après ma mort

Les Vents de l’abîme,
rafales de l’éternel ont secoué
de mon âme la lie,
sa face s’est troublée de la tristesse
du fond dormant.
Troublées vont mes idées,
ma conscience confuse
embué le cristal où défilent
les formes de la vie
et tout est triste,
parce que ces lies attristent tout.

Écoute, toi, qui lis ceci
après que je repose dans la terre,
alors que moi, qui l’ai écrit,
je ne peux plus, dans le miroir, me contempler moi-même :
écoute et médite !
Médite, c’est-à-dire : songe !
“Lui, cet épi
d’idées, de sentiments, d’émotions,
de sensations, de désirs, de répugnances,
de mots et gestes,
d’instincts, de raisonnements,
d’espérances, de souvenirs,
et de joies et de douleurs ;
lui, qui se disait Moi, ombre de vie,
a jeté cette plainte au temps
qu’aujourd’hui il n’entend plus ;
elle est mienne désormais, et non plus sienne !”
Oui, lecteur solitaire, qui ainsi prête attention
à la voix d’un mort,
ces mots qui furent miens seront à toi,
qui résonneront peut-être
depuis une autre bouche
sur ma poussière,
sans que je les entende, moi qui fus leur source.

Quand alors je ne serai plus,
tu seras, toi mon chant !
Toi, ma voix enchaînée à l’encre,
souffle incarné en terre,
double miracle,
prodige sans égal de la parole,
prodige de la lettre,
tu nous accables !
Se peut-il que tu vives plus que moi, mon chant ?
Ô mes œuvres, mes œuvres,
filles de l’âme,
pourquoi ne me donnez-vous pas votre vie ?
Pourquoi à votre poitrine
ma bouche ne peut-elle s’abreuver d’éternité ?
Peut-être résonnerez-vous, doux mots,
dans l’air où flotteront
comme poussière ces oreilles
qui juste en ce moment mesurent votre cadence !
Ô terrible mystère !
Dans la mer le long sillage étincelant
du navire immergé ;
traces d’un mort !
Écoute la voix qui sort de la tombe
et te dit à l’oreille
ce secret :
“Je ne suis plus, mon frère !”

Elle revient encore, et répète :
“Je ne suis plus, mon frère !”

Désormais je ne suis plus. Mon chant me survit
et porte par le monde
l’ombre de mon ombre,
mon triste néant !
Toi tu m’entends, lecteur ; moi, je ne m’entends plus,
et cette vérité triviale, pour être telle
nous la laissons tomber comme la pluie,
c’est une pluie de tristesse,
c’est une goutte de l’océan
de l’amertume.

Où iras-tu pourrir, mon chant ?
Dans quel recoin occulte
s’exhalera ton dernier souffle ?
Toi aussi tu mourras, tout mourra,
et dans un silence infini
dormira pour toujours l’espérance.

[Traduction de Patrick Moulin, d’après celle de Mathilde Pomès.]

Bibliographie

UNAMUNO, M. de, Poesias, Centro Virtual Cervantes, p. 73-74.

POMÈS, M., Anthologie de la poésie espagnole, Paris, Stock, 1957.

Patrick Moulin, MardiPhilo, septembre 2024.

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