Aucune explication verbale ne remplace jamais la contemplation. Saint-Exupéry, Pilote de guerre.
Peinture.
L’objet de la peinture est indécis.
S’il était net, - comme de produire l’illusion des choses vues, ou d’amuser l’œil et l’esprit par une certaine distribution musicale de couleurs et de figures, le problème serait bien plus simple, et il y aurait sans doute plus de belles œuvres (c’est-à-dire conformes à de telles exigences définies) - mais point d’œuvres inexplicablement belles.
Il n’y aurait point de celles qui ne se peuvent épuiser. p. 11.
Mes yeux se reprennent à voir. Je retrouve Vénus couchée. Ce tableau offre une blanche et belle personne. Il est aussi une heureuse distribution de clair et d’obscur. Il est aussi un recueil de belles parties et de régions délicieuses : un ventre pur, une attache toute savante et séduisante de bras à l’épaule, une certaine profondeur de campagne bleue et or. Il est aussi un système de valeurs, de couleurs, de courbes, de domaines : image de contacts, présence de déesse, acte de l’art… S’il n’était tant de choses à la fois, point de poésie.
Cette pluralité est essentielle. À elle s’oppose la pensée tout abstraite qui suit son fil et qui n’est que ce qu’elle suit. Il ne faut point qu’elle se perde : elle ne se retrouverait jamais. p. 12.
Le goût est fait de mille dégoûts. p. 14.
En toute chose inutile, il faut être divin. Ou ne point s’en mêler. p. 14.
Nous ne savons jamais si telle œuvre vivra… Elle est un germe qui est plus ou moins viable : il a besoin des circonstances, et le plus faible peut être favorisé par elles. p. 16
Certains ouvrages sont créés par leur public. Certains autres créent leur public. p. 17.
Vous ne savez donc pas qu’il faut donner aux idées les plus nouvelles je ne sais quel air d’être nobles, non hâtées, mais mûries ; non insolites, mais existantes depuis des siècles ; et non faites et trouvées de ce matin, mais seulement oubliées et retrouvées. p. 18.
Nos disciples et nos successeurs nous en apprendraient mille fois plus que nos maîtres, si la durée de la vie nous laissait voir leurs travaux. p. 18.
Un livre n’est après tout qu’un extrait du monologue de son auteur. L’homme ou l’âme se parle ; l’auteur choisit dans ce discours. p. 19.
La syntaxe est une faculté de l’âme. p. 22.
Faire de l'orthographe le signe de la culture, signe des temps et de sottise. p. 22.
Une œuvre de l’esprit est importante quand son existence détermine, appelle, supprime d’autres œuvres déjà faites ou non. p. 24.
Le faux et le merveilleux sont plus humains que l’homme vrai. p. 24.
Mais des livres, les uns sont excitants et ne font qu’agiter ce que je possède ; les autres me sont des aliments dont la substance se changera dans la mienne. [...] [Il] faut bien emprunter les résultats des expériences des autres et nous accroître de ce qu’ils ont vu et que nous n’avons pas vu. p. 25-26.
Grandeur des poètes de saisir fortement avec leurs mots, ce qu’ils n’ont fait qu'entrevoir faiblement dans leur esprit. p. 26.
L’inspiration est l’hypothèse qui réduit l’auteur au rôle d’un observateur. p. 27.
L’esprit souffle où il veut… Il incombe au spiritualisme et aux amateurs d’inspiration de nous expliquer pourquoi cet esprit ne souffle pas dans les bêtes et souffle si mal dans les sots. p. 27.
Si un oiseau savait dire précisément ce qu’il chante, pourquoi il le chante, et quoi, en lui, chante, il ne chanterait pas.
Il crée dans l’espace un point où il est ; il proclame sans le savoir qu’il joue son rôle. p. 27.
Idée poétique est celle qui, mise en prose, réclame encore le vers. p. 28.
L’expression du sentiment vrai est toujours banale. Plus on est vrai, plus on est banal. Car il faut chercher pour ne l’être pas. p. 28.
Il faut être léger comme l’oiseau et non comme la plume. p. 29.
L’être qui travaille se dit : Je veux être plus puissant, plus intelligent, plus heureux - que - Moi. p. 30.
La gloire est une espèce de maladie que l’on prend pour avoir couché avec sa pensée. p. 31.
La notion de “grand poète” a engendré plus de petits poètes qu’il n’en était raisonnablement à attendre des combinaisons du sort. p. 32.
L’envie et le mépris sont les deux arrêts du tribunal de l’orgueil. p. 33.
Nos vrais ennemis sont silencieux. p. 34.
Loi mécanique des injures.
Pour un témoin suffisamment éloigné, l’injure ne se fixe pas au point où elle est adressée : chaque crachat décrit une courbe fermée. p. 34.
Que si le moi est haïssable, aimer son prochain comme soi-même devient une atroce ironie. p. 35.
Il y a certaines courbures dans la fibre du temps de la vie qui conduisent insensiblement de l’impossible au réel et de l’inconcevable à l’accompli. p. 36.
Personne ne pourrait penser librement si ses yeux ne pouvaient quitter d’autres yeux qui les suivraient.
Dès que les regards se prennent, l’on n’est plus tout à fait deux, et il y a de la difficulté à demeurer seul. p. 37.
Deux personnes se rencontrent. Sourires comme excités de se voir, et conservés quelque temps. Ils se reposent pour laisser passer une ou deux phrases sérieuses. Ils renaissent, se détachent ; et, séparés l’un de l’autre, se déplissent, se dissolvent… p. 38.
Les véritables secrets d’un être lui sont plus secrets qu’ils ne le sont à autrui. p. 41.
La sincérité voulue mène à la réflexion, qui mène au doute, qui ne mène à rien. p. 43.
Il est bien difficile de dire “ce que l’on pense” : 1° quand on ne pense rien - 2° quand on fera du mal en le disant - 3° quand on n’est pas sûr que la pensée qu’on a soit juste, - ni durable [...]. p. 43.
Un trait d’esprit ou d’intelligence, quand il revient sur son auteur, qu’il entraîne pour lui des dommages, - en quoi se distingue-t-il d’une sottise ? p. 45.
Comme il y a des “hommes du monde” - il y a aussi des “hommes d’univers”. p. 46.
L’esprit clair fait comprendre ce qu’il ne comprend pas. p. 46.
L’intuition sans l’intelligence est un accident. p. 47.
La conscience sort des ténèbres, en vit, s’en alimente, et enfin les régénère, et plus épaisses, par les questions mêmes qu’elle se pose, en vertu et en raison directe de sa lucidité. p. 47.
Un état bien dangereux : croire comprendre. p. 47.
Les petits faits inexpliqués contiennent toujours de quoi renverser toutes les explications des grands faits. p. 48.
“Ingéniosité” se change en “génie” quand elle se manifeste par une simplification. p. 49.
La plupart s’arrêtent aux premiers termes des développements de leur pensée. Toute la vie de leur esprit n’aura été faite que de commencements. p. 50.
Divers Théologiens pourraient nous faire croire que Dieu est bête. p. 51.
Variations sur Descartes.
Parfois je pense ; et parfois, je suis. p. 52.
Méditer en philosophe, c’est revenir du familier à l’étrange, et dans l’étrange affronter le réel. p. 54.
Durées.
Ce qui n’existe pas dure une seconde.
La mort dure toute la vie. Dans toute hypothèse, elle cesse aussitôt qu’elle est. p. 55.
Que de choses il faut ignorer pour “agir” ! p. 57.
Tout repose sur quelques idées qui se font craindre et qu’on ne peut regarder en face. p. 62.
Reprise.
Il y a dans toutes les existences, une minute de trop que l’on paierait infiniment cher pour reprendre à la réalité. - Alors ce réel qui est de trop, devient cauchemar. p. 64.
Les bêtises qu’il a faites et les bêtises qu’il n’a pas faites se partagent les regrets de l’homme.
Le manque à gagner est souvent plus amer que la perte. p. 64.
Que d’enfants, si le regard pouvait féconder !
Que de morts s’il pouvait tuer !
Les rues seraient pleines de cadavres et de femmes grosses. p. 65.
Toute politique voit avant tout des fusillades massives ; puis le bonheur universel… p. 66.
VALÉRY P., Tel quel, Paris, Folio Gallimard, 2008.
Nous ne sommes que les autres. Henri Laborit, Mon Oncle d'Amérique, film d'Alain Resnais.
Notes contemplatives de lecturePatrick Moulin, MardiPhilo, février 2025.
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