C’est en 1919 que j’ai été, pour la première fois, confronté au problème d’avoir à tracer une ligne de démarcation entre les énoncés et systèmes d’énoncés que l’on peut, à bon droit, référer à la science empirique et ceux que l’on pourrait qualifier de “pseudo-scientifiques” ou [...] de “métaphysiques”, ou encore qui relèvent éventuellement de la logique et des mathématiques pures [...]. L’idée la plus répandue est que la science se caractérise par son assise observationnelle ou sa méthode inductive, alors que les pseudosciences et la métaphysique se définissent par leur méthode spéculative [...]. Je n’ai jamais pu souscrire à une telle représentation. Les théories physiques modernes, notamment celle d’Einstein [...], sont extrêmement spéculatives et abstraites, et elles entretiennent un rapport très lointain avec l’“assise observationnelle” qu’on pourrait leur assigner [...]. Il apparaît donc nécessaire de pouvoir disposer d’un autre critère de démarcation. Et j’ai proposé [...] de prendre pour critère en la matière la possibilité, pour un système théorique, d’être réfuté ou invalidé. Selon cette conception, que je continue toujours de défendre, un système doit être tenu pour scientifique seulement s’il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations. Les tentatives pour provoquer des conflits de ce type, c’est-à-dire pour réfuter ce système, permettent en fait de le tester. Pouvoir être testé, c’est pouvoir être réfuté, et cette propriété peut donc servir, de la même manière, de critère de démarcation. Cette conception voit dans la démarche critique la caractéristique essentielle de la science. Le savant doit donc étudier les théories sous l‘angle de leur aptitude à être examinées de manière critique : il se demande si celles-ci se prêtent à des critiques de toute nature et, lorsque tel est le cas, si elles sont en mesure d’y résister. La théorie de Newton, par exemple, prédisait certains écarts par rapport aux lois de Kepler (en raison des interactions entre planètes), alors que ceux-ci n’avaient pas été observés. Elle s’exposait en conséquence à des tentatives de réfutation dont l’échec allait signifier le succès de cette théorie. La théorie einsteinienne a été testée de manière analogue. Et de fait, tous les tests effectifs constituent des tentatives de réfutation. Ce n’est que lorsqu’une théorie est parvenue à supporter les contraintes de ce genre d’efforts qu’on pourra affirmer qu’elle se trouve confirmée ou corroborée par l’expérience.
Karl Popper, Conjectures et réfutations.
Lorsque Galilée est condamné par le tribunal de l’Inquisition en 1616, pour avoir soutenu que c’était la Terre qui tournait autour du Soleil, et non la Terre qui était le centre du monde, il a vu sa théorie rejetée. Aristote affirme que la Terre est immobile au centre de l’Univers, et l’interprétation des textes bibliques, à l’époque de Galilée, se fonde sur cette affirmation. Il est alors irréfutable que la Terre soit au centre du monde. Ce n’est que près de quatre siècles plus tard, en 1992, que l’Eglise catholique manifestera sa repentance envers la condamnation de Galilée. Il était donc réfutable que la Terre soit au centre du monde. Lorsqu’il s’agit de considérer uniquement le caractère scientifique d’une affirmation, de quoi disposons-nous pour pouvoir distinguer ce qui est véritablement scientifique de ce qui n’en a que l’apparence ? La différence des méthodes utilisées peut-elle nous aider dans cette distinction ou faut-il rechercher un “critère de démarcation” plus certain ? Enfin, devons-nous envisager une façon nouvelle d’expérimenter dans le domaine scientifique, et notamment quand il s’agit de pouvoir confirmer ou infirmer une théorie ainsi que d’analyser sa nature proprement scientifique ?
Karl Popper est né en 1902 à Vienne en Autriche. Il obtient son doctorat de philosophie en 1928. C’est donc quelques années avant, à dix-sept ans, qu’il rencontre la problématique de la distinction entre science et “pseudo-science’”. Cette problématique peut se résumer de la façon suivante : devant un énoncé ou un système d’énoncés affirmant quelque chose, comment différencier avec certitude ce qui relève d’une vraie science ou d’une fausse science ? Examinons d’abord ce qu’est un “énoncé”. Énoncer quelque chose, c’est “Exprimer, formuler en termes nets et précis l'objet de sa pensée par le langage ou l'écriture” (cnrtl.fr). On peut énoncer un jugement, un problème, un principe, un ordre, un conseil, etc. Quelque chose est pensé, puis mis en forme - en formule -, puis est exprimé. Popper cible un domaine précis, celui de la science. Voici la définition du terme “science” :
[...] ensemble de connaissances rationnellement fondées, plus ou moins systématisées dans un domaine donné, et dont les résultats ont une valeur de vérité universellement reconnue. Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines.
Ce “quelque chose” qui est pensé, avant d’être énoncé, c’est une approche du réel visant à établir des jugements vrais et universels, au moyen de la raison. La notion de système d’énoncés rejoint celle d’un ensemble de connaissances, qui sont exprimées sous la forme de plusieurs énoncés, liés entre et eux et constituant ainsi un système. Revenons à la problématique du vrai ou du faux en science. Popper distingue la science empirique - qui forme des connaissances à partir de l’expérience du réel -, des “pseudosciences”, de la métaphysique, et enfin des sciences logico-mathématiques “pures”. Ces dernières sciences ne seront pas abordées à nouveau dans le texte étudié. Retenons qu’il s’agit de sciences fondées essentiellement, voire totalement sur la seule raison, et donc sans lien véritable avec l’expérience. La métaphysique qualifie des “réalités qui échappent à l’expérience commune, supérieures aux réalités sensibles” (Morfaux). Elle étudie les questions relatives à l’existence humaine : la mort, l’immortalité, Dieu. Les pseudosciences regroupent des théories qui ont l’apparence d’une science en formulant des énoncés : cela peut comprendre les “sciences occultes” comme l’astrologie, mais pas seulement. Popper inclut notamment dans les pseudosciences le marxisme ou “socialisme scientifique” et la psychanalyse. Ces différentes formes apparentées plus ou moins à la science formulent des énoncés, mais comment pouvoir établir le caractère réellement scientifique de ceux-ci, et donc leur vérité ou leur fausseté ? La problématique est donc ainsi posée.
Une première distinction est faite de manière courante, du point de vue de la méthode, entre la science empirique d’un côté, et les pseudosciences et la métaphysique de l’autre. La science empirique se fonde sur l’expérience, autrement dit l’observation de phénomènes se déroulant dans le monde réel. Elle établit alors ses connaissances soit sur la seule observation, soit par un raisonnement qui part du particulier - des faits observés - au général ou à l’universel pour élaborer des théories, des lois : c’est la méthode inductive. Le terme “induction vient du latin inductio, qui signifie l’action de conduire vers : la méthode inductive conduit de la connaissance des faits vers la connaissance des lois (Morfaux). Les pseudosciences et la métaphysique utilisent une autre méthode : la méthode spéculative. Le terme “spéculation” vient du latin speculum, qui signifie miroir, et de speculatio, l’action d’observer. Ce terme a été traduit du grec theôria, qui signifie contempler et dérive de théôrein, observer, être spectateur (Morfaux). L’étymologie pourrait ainsi nous faire assimiler les termes de “théorie” et de “spéculation”. Nous sommes ici plutôt éloignés d’une théorie rigoureuse, car la définition à retenir d’après ce texte de Popper est plus proche de celle-ci :
Réflexion non vérifiable, dont la valeur ne peut par conséquent être établie et qui apparaît comme une pure vue de l’esprit. Morfaux, Op. cit.
Il s’agit bien, dans la méthode spéculative, d’un raisonnement - une réflexion, donc un acte de la pensée qui examine un objet dans le “miroir” de sa raison -, mais qui relève plus d’une hypothèse ou d’un pari, comme dans le cas de la spéculation boursière, où c’est l’espoir anticipé d’un gain qui mène l’action, et non la raison seule à l’oeuvre. Dans l’exemple de l’astrologie, c’est une vision supposée de l’avenir qui va conduire à l’énoncé de l’horoscope, en se basant sur des hypothèses d’influences planétaires diverses et variées - les plans tirés sur la comète.
Cette distinction d’usage courant entre science et pseudosciences, fondées sur deux méthodes différentes, l’expérience d’une part et l’élaboration d’hypothèses d’autre part, ne convient pas à Popper. Il va alors utiliser l’exemple des théories modernes, pour montrer en quoi cette distinction “la plus répandue” ne correspond pas au critère qu’il recherche pour déterminer la vérité ou la fausseté scientifique d’une théorie.
La science empirique moderne est-elle encore une science fondée sur l’expérience ? Popper évoque les théories dans le domaine de la science physique, “notamment celle d’Einstein”. Si nous reprenons l’imaginaire scientifique, la découverte des lois de la gravitation par Newton, et l’élaboration de sa théorie de l’attraction universelle, aurait eu lieu en observant la chute d’une pomme. Si le “pommier de Newton”, ou plus précisément son rejeton, est encore visible de nos jours (voir l’article de Jean-Pierre Luminet, Le pommier de Newton), il n’est pas certain que la théorie soit issue de la seule observation d’une pomme. Toutefois, il s’agit là d’une illustration de la naissance d’une théorie sur les bases d’une observation. Si maintenant nous en venons à une tentative d’approcher la théorie de la relativité d’Einstein, la part d’observation directe va devenir beaucoup plus ardue. Là où les physiciens comme Newton percevaient l’espace et le temps comme absolus, universels et uniformes, Einstein va présenter une théorie où ni l’espace, ni le temps ne sont absolus, et chacun est lié et relatif à l’autre. Il pose comme principe la courbure de l’espace-temps, en lieu et place de la force gravitationnelle. Sans (pouvoir) entrer dans les détails d’une telle complexité théorique, il semble aisé de comprendre que la simple “assise observationnelle” comme pouvait l’être la pomme de Newton s’efface au profit d’hypothèses qui sont “extrêmement spéculatives et abstraites”. Quelques vérifications de la théorie d’Einstein ont pu être réalisées dans un cadre expérimental : l’orbite elliptique de Mercure, la déviation des rayons lumineux lors d’une éclipse de soleil ou le ralentissement du temps entre une horloge située sur Terre et une horloge placée dans un avion volant à dix kilomètres d’altitude (voir l’article d’O. Esslinger, Les vérifications de la relativité générale). Mais ces expériences ont été réalisées a posteriori. Il a donc fallu que Albert Einstein élabore au préalable les principes de sa théorie, de manière spéculative - par des hypothèses issues de sa réflexion -, et abstraite - en isolant par la pensée une partie de la représentation concrète de l’univers réel. Le rapport à l’“assise observationnelle de la science empirique dans sa représentation “classique” ou “répandue” devient donc ici effectivement très lointain.
L’exemple de la théorie einsteinienne montre qu’il n’est plus possible de se limiter à une distinction de méthode pour séparer la science et les pseudosciences. La complexité des nouvelles sciences empiriques rendent cette distinction caduque. Il devient donc indispensable de rechercher un autre critère pour cette nouvelle approche méthodique des sciences. La seule utilisation d’une méthode ne permet pas en effet d’affirmer la vérité ou la fausseté scientifique d’une théorie.
Cet autre critère que propose Karl Popper est “la possibilité, pour un système théorique, d’être réfuté ou invalidé”. Ce critère est désigné par le terme “falsifiabilité”.
Au centre de la théorie de Popper, on trouve le terme “falsifiabilité, traduit de l’anglais falsifiability (de to falsify : “réfuter”). Il s’agit d’un critère indispensable pour distinguer une science d’une non-science, car la réfutation est paradoxalement la condition du progrès de la science. Rosenberg, La philosophie - Retenir l’essentiel.
La scientificité d’une théorie est ici jugée sur la capacité de cette théorie à pouvoir être à la fois discutée et disputée. Discuter cette théorie, c’est échanger sur elle avec des arguments et des opinions. Disputer cette théorie, c’est, au sens scolastique (voir ce mot dans le Carnet de Vocabulaire), examiner “une question sur laquelle l’accord est recherché et considéré comme possible” (Morfaux). Il faut bien comprendre ici que le but recherché est de vérifier le caractère réellement scientifique d’une théorie, et non de viser absolument, à tout prix, à la réfuter. Ce qui est vrai scientifiquement le sera parce qu’il est possible de chercher à l’invalider. Inversement donc, ce qui est irréfutable, et que nous aurions pourtant naturellement tendance à considérer comme vrai, ne possède pas de caractère scientifique. Dans un autre autre domaine lié au jugement, Kant montre l’antinomie entre la possibilité de discuter et celle de disputer :
[...] du goût, on peut discuter (bien que l’on ne puisse en disputer. Kant, Critique de la faculté de juger.
Il est possible de discuter de la beauté, d’une oeuvre d’art par exemple : il sera possible d’argumenter sur le style de l’artiste, la technique employée, la valeur esthétique, historique, etc. Il est impossible de décider d’un jugement universel sur la beauté ou non d’une oeuvre : nous ne pourrons jamais affirmer qu’il est vrai ou faux que cette oeuvre soit belle, de façon universelle. L’art, pour ce qui est de sa beauté, n’est pas une science, ni un “système théorique”. Le critère nouveau est proposé par Popper, il va maintenant le détailler, puis fournir des exemples.
Voici comment Popper expose sa conception de la scientificité d’une théorie : “un système doit être tenu pour scientifique seulement s’il formule des assertions pouvant entrer en conflit avec certaines observations”. L’usage du “seulement si” équivaut à une condition nécessaire et suffisante. La proposition “Ce système est scientifique” n’est vraie que “si et seulement si” la proposition “les assertions de ce système peuvent être réfutées” est vraie également. La réciproque est aussi vraie : si les assertions de ce système peuvent être réfutées, c’est un système scientifique. Il en est de même si l’une des deux propositions est fausses, l’autre sera aussi fausse : si les assertions ne sont pas réfutables, ce n’est pas un système scientifique. La réfutation est par ailleurs depuis longtemps considérée comme une méthode pour accéder à la vérité :
Or qu’est-ce que cette classe à laquelle j’appartiens ? C’est celles des hommes qui prendront plaisir à être réfutés, si je dis quelque chose qui n’est pas vrai ; mais qui prendront plaisir aussi à réfuter, si l’on dit quelque chose qui n’est pas vrai : de ceux qui, en vérité, ne trouveront pas, d’être réfutés, plus déplaisant que de réfuter ; car c’est là, à mon jugement, un plus grand bien, pour autant que c’est un bien plus grand d’être débarrassé soi-même d’un mal, de celui qui est le plus grand, plutôt que d’en débarrasser un autre : je ne pense pas en effet que, pour un homme, il y ait un mal aussi grave que de juger faux sur les questions qui font précisément l’objet de notre débat actuel ! Platon, Gorgias, 458 a-b.
C’est Socrate qui s’exprime ainsi pour définir les principes qui guideront son dialogue avec Gorgias le Sophiste, lorsqu’ils échangent sur la rhétorique. Là où le Sophiste va développer l’art de persuader, parfois aux dépens de la vérité, Socrate ne cherchera qu’à atteindre la vérité. Quitte à être contredit et réfuté, Socrate ne vise qu’à se débarrasser de l’ignorance, notamment de celle qui prétend savoir alors qu’elle ne sait pas. Ici aussi, la proposition finale du dialogue ne pourra être vraie que si et seulement si elle a pu être le sujet de tentatives de réfutations. Il ne s’agit pas d’avoir le dernier mot, il s’agit d’aboutir au mot vrai, parvenu à subir avec succès l’épreuve de la réfutation.
La mise en pratique de la conception de Popper exposée ci-dessus, vise donc à vérifier la scientificité d’une théorie en confrontant ses assertions, ses jugements, à d’autres observations ayant la capacité potentielle de les invalider. Ces tentatives de réfutation sont des tests. Le terme “test” vient de l’ancien français, et désignait un pot de terre servant en alchimie à l’essai de l’or (Larousse étymologique). Voici, à toutes fins utiles, le procédé pour faire de l’or avec “deux livres de cuivre jaune en limaille et un quart de lait de chèvre” :
Prends un pot de terre large par en bas, étroit du haut, et disposes-en un autre par-dessus, percé en haut, et prends neuf salamandres et mets-les dans le creuset avec le lait, en le coiffant de l'autre pot. Enfouis le tout dans la terre humide, avec le pot supérieur troué au ras du sol, afin que les salamandres aient de l'air et ne meurent point. Laisse-les-y pendant sept jours et dans l'après-midi du septième jour, déterre le pot avec les salamandres; elles auront dévoré le cuivre jaune et leur venin l'aura transformé en or. Emil Ernst Ploss, L’Alchimie.
Le test des systèmes n’aboutit pas à les transformer en or, mais permet de les soumettre à une sorte d’expérience ou d’expérimentation. Il s’agit ici d’observer le “comportement” du système dans une expérience qui le confronte à sa capacité - ou non - d’être réfuté.
C’est donc la propriété de pouvoir être réfuté par ces expériences, ces tests, qui devient le “critère de démarcation” entre science et pseudosciences. L’application de ce critère permet de vérifier la falsifiabilité de la théorie testée, et donc de déterminer si sa nature est réellement scientifique. Après les méthodes inductive et spéculative, voici la méthode de la “démarche critique”, qui devient la nouvelle expérience, et attribue ainsi à la science son caractère essentiel, son essence, qui est sa propriété de pouvoir être réfutée.
Après avoir exposé sa conception de la falsifiabilité des théories scientifiques, Popper donne des éléments d’application et évoque à nouveau des exemples de théories ayant passé avec succès l’épreuve de la démarche critique. Le critère utilisé pour identifier le caractère scientifique d’une théorie est d’examiner si elle possède la propriété de pouvoir être réfutée. La “nouvelle expérience” va consister à soumettre les théories à la critique, et “d’observer” comment elles se comportent. Cette démarche critique se compose de deux phases. La première phrase va étudier la capacité de la théorie à pouvoir être soumise à la critique. Si la théorie possède cette capacité à être critiquée, et donc la propriété de pouvoir être réfutée, la deuxième phase va analyser le comportement de la théorie face à la critique : est-elle confirmée ou infirmée ? Résiste-t-elle ou non au test de la falsifiabilité ? Avant de parcourir les exemples données ensuite par Popper, prenons l’exemple de la théorie psychanalytique, qu’il ne considérait pas comme scientifique :
Une théorie qui ne peut être testée n’est pas scientifique. Ainsi, pour Popper, la psychanalyse de Freud n’est pas une science car il est impossible de tester l’existence d’un inconscient, c’est-à-dire qu’il n’y a aucune expérience possible qui puisse réfuter sa présence, même dans l’avenir les plus lointain. On peut toujours postuler la présence d’un inconscient pour expliquer un acte humain. La psychanalyse échappe à la critique rationnelle. Elle est incapable de progrès. Au contraire, en physique, une loi est toujours susceptible d’être réfutée par une nouvelle découverte. C’est ainsi que cette discipline progresse. Rosenberg, Op. cit.
Pour mémoire, Freud postule que l’appareil psychique est composé de trois instances : le Ça ou inconscient, le Moi conscient et le Surmoi instance morale (voir aussi les leçons de philosophie sur La Conscience et sur L’Inconscient). Les neurosciences ont déjà énormément de difficultés pour “trouver”, et même pour définir, ce qu’est la conscience. La tâche est encore plus ardue quand il s’agit d’aborder l’inconscient, tel qu’il est présenté par Freud. Soulignons que cela ne signifie pas que la théorie psychanalytique soit fausse, mais simplement qu’elle ne peut pas être considérée comme une théorie scientifique, à la lumière de la démarche critique de Popper : elle ne peut pas être réfutée puisqu’elle se fonde sur un postulat non démontrable et non expérimentable. La psychanalyse ne dépasse pas la première phase de la démarche : elle ne se prête pas “à des critiques de toute nature”.
Pour montrer ce qu’est une théorie scientifique - dont réfutable -, Popper prend l’exemple de la théorie de Newton. Lorsque ce dernier élabore sa théorie de la gravitation universelle, il se sert des lois de Kepler, qui décrivent le mouvement des objets du système solaire. La théorie de Newton prédit, donc utilise une méthode spéculative, des écarts par rapport aux lois de Kepler, liés aux forces d’attraction entre planète. La méthode est spéculative, donc non vérifiée a priori par l’expérience, non fondées par une “assise observationnelle”. Elle est réfutable et peut donc passer la première phase de la démarche critique, puisqu’elle a la propriété de pouvoir être testée et réfutée. Les expérimentations qui ont suivi la théorie ont démontré qu’elle était validée par l’expérience. La théorie de Newton est une théorie scientifique, puisqu’elle a passé toutes les phases de la démarche critique popperienne.
Il en sera de même pour les théories d’Einstein. Un expérience très récente a été lancée pour montrer la validité du principe d’équivalence, qui est un principe de base de la théorie de la relativité générale.
Le satellite Microscope (MICROSatellite à trainée Compensée pour l'Observation du Principe d'Équivalence) a pour but de tester le principe d'équivalence qui affirme que tout corps tombe à la même vitesse quelle que soit sa composition ou sa masse, à condition que le champ de gravitation soit le même et que la chute se déroule dans le vide. Ce principe formulé par Galilée dès le XVIIème siècle est à la base de la théorie de la relativité générale, édifiée en 1915. Depuis 400 ans, de nombreuses expériences ont vérifié ce principe avec une précision croissante sans jamais le mettre en défaut. La preuve d'une violation du principe d'équivalence aurait pour conséquence une remise en cause du modèle standard de la physique, l'enjeu est donc d'importance. Redbran, Le satellite Microscope conforte le principe d'équivalence d'Einstein.
Comme l’indique cette citation, le principe d’équivalence - donc une partie de la théorie d’Einstein - a déjà été soumis à des tests pour le valider. Les résultats de cette nouvelle expérience ont confirmé la théorie d’Einstein, avec une précision jamais atteinte auparavant. Notons ici que si cette précision a pu être améliorée, c’est qu’elle peut l’être encore : ainsi, même avec des résultats meilleurs, la théorie restera toujours réfutable, falsifiable, et démontre qu’elle est bien une théorie scientifique.
“Pouvoir être testé, c’est pouvoir être réfuté”. Comme l’indiquait Popper plus haut, la capacité d’une théorie à être confrontée à la démarche critique, permet de vérifier sa vérité ou sa fausseté scientifique. Nous sommes donc toujours dans une science empirique, qui se fonde sur l’expérience. Et c’est parce qu’elle peut être confrontée à cette nouvelle sorte d’expérience qu’une théorie peut révéler sa scientificité, et qu’il est donc possible de la considérer comme une théorie réellement scientifique. L’expérience reste ici le premier accès à la connaissance scientifique, et à la vérification de la nature véritablement scientifique de cette connaissance. Dans le domaine de la science, la vérité n’est jamais absolue si elle n’est pas réfutable, le reste relève de la croyance ou des pseudosciences.
Karl Popper propose dans ce texte une nouvelle manière de distinguer le caractère ou non scientifique d’une théorie. Son “critère de démarcation” est fondé sur la propriété de falsifiabilité d’une théorie. Les méthodes utilisées ne permettent pas d’identifier précisément ce qui relève de la scientificité de ce qui n’en relève pas. Classiquement, la méthode inductive est utilisée en science empirique : elle permet, à partir de la connaissance des faits, d’aboutir à la connaissance de lois organisant le domaine étudié par l’observation expérimentale. La métaphysique et les pseudosciences utilisent quant à elles des méthodes spéculatives, fondées sur des hypothèses ou sur des postulats, comme celui de l’inconscient en psychanalyse. Toutefois, les théories modernes, comme celle d’Albert Einstein dans le domaine de la physique, utilisent aussi des méthodes spéculatives. Elles sont ainsi fondées sur des hypothèses, qui le plus souvent ne peuvent être vérifiées qu’ultérieurement, par des expériences complexes. C’est cette capacité de la théorie scientifique à pouvoir être testée - même ultérieurement -, et son caractère réfutable, falsifiable, qui lui donne son essence scientifique. Ce qui est affirmé scientifiquement doit pouvoir subir l’épreuve expérimentale, susceptible de réfuter cette affirmation, pour pouvoir être “confirmée ou corroborée par l’expérience”. Ce qui est vrai scientifiquement doit pouvoir être falsifiable : c’est ce qui fait la vérité scientifique d’un système d'énoncés, autrement dit d’une théorie.
Patrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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