Sartre naît le 21 juin 1905 à Paris. Il est le fils unique d’Anne-Marie Schweitzer, cousine du prix Nobel de la paix Albert Schweitzer, et de Jean-Baptiste Sartre, polytechnicien et officier de marine. Sartre n’a pas le temps de connaître son père, qui meurt de la fièvre jaune en 1906. Il est élevé par sa mère et ses grands-parents maternels.
Après avoir échoué à l’agrégation de philosophie en 1928, à laquelle Raymond Aron arrive premier, il est reçu au même rang en 1929, suivi en deuxième par Simone de Beauvoir. Il exerce comme enseignant jusqu’en 1945. Son premier ouvrage, i, est publié en 1938, suivi par L’Être et le Néant en 1943. En octobre 1945, il donne une conférence dont le texte sera retranscrit dans l’ouvrage L’existentialisme est un humanisme. Paraîtront également Huis clos (1944), Les Mains sales (1948), la Critique de la raison dialectique (1960) et Les Mots, autobiographie publiée en 1964. La même année, il reçoit le prix Nobel de littérature, qu’il refuse.
Il fonde, avec Simone de Beauvoir et Maurice Merleau-Ponty, la revue Les Temps modernes, en 1945, et le journal Libération, en 1973. Parmi ses nombreux engagements politiques, il soutiendra la révolution cubaine de Fidel Castro. Une série d’articles relatant ses voyages à Cuba et ses rencontres avec le leader cubain sera publiée en 1960 dans France-Soir sous le titre Ouragan sur le sucre, puis dans la revue Les Temps modernes. Simone de Beauvoir et lui rencontreront notamment Ernesto Che Guevara à Cuba en 1960. Sartre meurt le 15 avril 1980. Simone de Beauvoir le rejoindra le 14 avril 1986.
L’homme est engagé dans un monde où tout est contingent. L’Histoire, avec un “H” majuscule, ne lui donne ni la nécessité ni le choix de naître, pas plus que le lieu et l'époque pour venir au monde. La situation est donnée à l’individu qui existe : elle est un fait. L’homme est jeté dans le monde, sans raison, de manière gratuite et absurde. À l’opposé d’un objet manufacturé, il n’est pas pensé au préalable par un créateur ou un concepteur.
L’homme s’engage, devant la nécessité qui s’impose à lui de définir ce qu’il veut être : l’existence est première, alors l’existence précède l’essence. La face positive de la contingence est la liberté. Mais elle se conjugue avec la nécessité impérieuse de définir son essence : l’homme est condamné à être libre.
Il y a deux sortes d’êtres : l’en-soi et le pour-soi. L’être en-soi, avant d’exister, est contingent : avant sa naissance, un individu aurait tout à fait bien pu ne pas naître, et aucune nécessité ne l’a fait naître. Une fois qu’il existe, l’être en-soi est. Cette lapalissade s'explique ainsi : comme la situation dans laquelle naît un individu lui est donnée (lieu, époque, etc.) sans rien pouvoir modifier, exister est un fait. Par exemple, il est impossible de changer le passé d’un être : ce passé est un bloc entier qui ne peut pas être modifié après coup, c’est un en-soi. Le pour-soi est la conscience d’être conscient, et de pouvoir modifier quelque chose.
Cette capacité de la conscience de pouvoir être à la fois dans la présence et dans la distance à soi est liée à la “néantisation”. L’homme à l’idée du néant : il l’imagine et le fait exister en pensée. C’est la néantisation qui permet à la conscience de s’éprouver et de ne plus coïncider avec elle-même, de se modifier et enfin de se libérer de la réalité. Avec la capacité de néantiser ce qui est, c'est-à-dire de ne plus porter toute son attention à quelque chose qui est là, l’homme retrouve la liberté que lui offrait déjà la contingence. Il peut ainsi déterminer ce qu’il veut être, choisir et décider de son projet.
L'homme engage autrui par son projet. Il est la somme de ses actes, dont il décide librement. Mais son choix n’est pas gratuit, puisqu’il s’engage lui-même et qu’il engage autrui : il doit donc aussi choisir une morale qui tient compte de tous.
Mais la responsabilité est aussi synonyme d’angoisse. Engager l’humanité dans chacun de ces actes s’accompagne inévitablement d’un sentiment d’angoisse. Pour certains, cette angoisse est “la condition même de leur action”. D’autres se réfugient dans la “mauvaise foi” pour tenter d’échapper à cette angoisse, en affirmant agir sous le poids de contraintes extérieures.
La rencontre d’autrui est source de conflits. Le regard d’autrui fige celui qui est pris par mégarde dans une situation délicate, à l’instar du jaloux qui observe une situation par le trou d’une serrure, et qui se fait prendre en pleine action. Comme dans la dialectique du maître et de l’esclave de Hegel, les consciences veulent s’anéantir. La liberté d’autrui est insupportable, elle ne peut pas coïncider avec la nôtre : c’est le retour de la néantisation.
Dans L’Être et le Néant, Sartre décrit une situation où la conscience se modifie et se découvre elle-même, par la présence du regard d’autrui. Nous évoquerons cette situation en passant à la première personne du singulier, pour mieux appréhender cette expérience de pensée.
Imaginons que j’en sois venu, par jalousie, par intérêt, par vice, à coller mon oreille contre une porte, à regarder par le trou d’une serrure. Je suis seul et sur le plan de la conscience non-thétique [la conscience qui ne se prend pas pour objet de réflexion, “conscience irréfléchie”] (de) moi. Cela signifie d’abord qu’il n’y a pas de moi pour habiter ma conscience. Rien, donc, à quoi je puisse rapporter mes actes pour les qualifier. Sartre, L’Être et le Néant, III, p. 358-359.
Je regarde, j’écoute ce spectacle, je suis entièrement à ce que je fais et donc entièrement ce que je fais. Ma conscience ne réfléchit pas, ni sur cette situation, ni sur elle-même : “elle est mes actes”. Je suis dans une pure conscience irréfléchie.
Or, voici que j’ai entendu des pas dans le corridor : on me regarde. Qu’est-ce que cela veut dire ? [...] D’abord, voici que j’existe en tant que moi pour ma conscience irréfléchie. [...] Mais voici que le moi vient hanter ma conscience irréfléchie. [...] Cela signifie que j’ai tout à coup conscience de moi en tant que je m’échappe, non pas en tant que je suis le fondement de mon propre néant, mais en tant que j’ai mon fondement hors de moi. Je ne suis pour moi que comme pur renvoi à autrui. Ibid., p. 360
J’étais entièrement à ce que je faisais - écouter par la porte, regarder par le trou de la serrure - et voilà qu’autrui me regarde et que je prends conscience de ce regard sur moi. Je passe de la conscience irréfléchie de l’acte à la conscience réflexive : je prends conscience de mes actes, du “moi” qui est en train d’agir. Je prends conscience de moi parce que je prends conscience que je suis “objet pour autrui”. Autrui me regarde dans cette situation : que va-t-il penser de moi ? Ou plutôt, qu’est-ce que je pense qu’il va penser de moi (puisque je ne peux pas connaître les pensées d’autrui) ?
C’est la honte ou la fierté qui me révèlent le regard d’autrui et moi-même au bout de ce regard, qui me font vivre, non connaître, la situation de regardé. Or, la honte [...] est honte de soi, elle est reconnaissance de ce que je suis bien cet objet qu’autrui regarde et juge. [...] Ainsi, originellement, le lien de ma conscience irréfléchie à mon ego-regardé est un lien non de connaître mais d’être. Ibid., p. 361.
Autrui va connaître un aspect de mon Moi, je vais être celui qui regarde : je suis cet être que je ne connaissais pas avant qu’autrui me regarde et me le fasse découvrir. Nous passons du “Connais-toi toi-même” au “Sois toi-même”. J’existe - ou du moins une partie de moi existe - parce qu’autrui est : “Tu es donc tu penses ; donc je pense, donc j’ai honte, et donc je suis”.
SARTRE J.-P., La Nausée, Paris, Gallimard, 1991.
SARTRE J.-P., L’Être et le Néant, Paris, Gallimard, 2017.
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« De Spinoza à Sartre - Philosophie - Fiches de lecture, tome 2 » Fiche n° 5 : L’Existentialisme est un humanisme, Sartre.
Patrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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