Dans une conférence de 1911, Henri Bergson (1859-1941) énonce cette affirmation :
Un philosophe digne de ce nom n’a jamais dit qu’une seule chose. Bergson, L’intuition philosophique.
Cette intuition de Bergson, c’est la durée, celle que nous vivons, et non celle d’un temps vu par la science comme homogène, quantifiable et mesurable. Le problème est de considérer le temps en utilisant notre conception de l’espace, et de l’exprimer avec les mots utilisés pour l’espace. La durée vécue ou durée pure est alors confondue avec l’étendue.
La durée vécue par les êtres est créatrice, c’est l’élan vital : l’évolution des espèces, l’évolution de la conscience. L’expérience de la durée est le fondement de notre liberté. C’est aussi l’importance de la mémoire qui permet d’assurer la continuité de nos états de conscience dans cette durée qui ne cesse de s’écouler. L’exemple du cinéma (sous la forme de pellicule projetée à 24 images par seconde), montre comment la mémoire nous permet de voir une histoire dans la succession d'images fixes.
Bergson distingue deux sortes de connaissance : la connaissance relative des choses par rapport à nous-mêmes, qui fait appel à la raison ; la connaissance absolue des choses en elles-mêmes, qui se fonde sur l’intuition. Nous pouvons connaître une ville relativement à une carte, à des photographies, à Google maps, mais elle demeurera abstraite. Si nous nous promenons dans cette ville en l’observant directement par nous-mêmes, nous pourrons en connaître l’essence, grâce à notre intuition.
L’Essai sur les données immédiates de la conscience est le premier ouvrage publié par Henri Bergson, en 1889. C’est sa thèse de doctorat en philosophie. En se fondant sur l’expérience immédiate, il ouvre ainsi la voie à la phénoménologie. L'intuition de départ est la découverte de la durée comme purement qualitative, et sa différence avec le temps considéré par les scientifiques comme une quantité homogène et mesurable.
L’ouvrage est structuré en trois parties et a pour objet la liberté humaine. La première partie traite de l’intensité des états de conscience et donc de leur nature qualitative. La seconde partie expose le concept fondamental de la durée. La troisième partie démontre la notion d’acte libre, en réfutant notamment les approches déterministes et associationnistes.
L’avant-propos donne l’essentiel de ce qui va être traité dans l’’Essai : la découverte de la durée pensée dans l’espace ; la liberté qui est l’objet même de l’’Essai ; le problème de la confusion durée/étendue, succession/simultanéité, qualité/quantité.
Le premier chapitre montre la confusion entre l’intensité, non mesurable, et la grandeur, mesurable. Les sensations, les sentiments, les émotions, autrement dit les états de conscience ont une intensité qui varie, mais qui ne peut pas être mesuré comme un nombre ou une étendue : nous ne pouvons pas chiffrer l’effet, le sentiment esthétique, que produit sur nous un tableau ou une musique.
Le second chapitre traite de la durée. Il oppose deux conceptions : la durée pure et la durée pensée dans l’espace. La durée pure est la succession de nos états de conscience : c’est une multiplicité qualitative, hétérogène. La durée pensée dans l’espace est une représentation symbolique et distincte de nos états de conscience : c’est une multiplicité quantitative, homogène, comme les nombres en algèbre. Ces conceptions correspondent à deux états du moi : le moi social qui considère la durée comme homogène et se représente symboliquement les états de consciences comme bien définis ; le moi fondamental ou concret qui vit la durée vraie. Le moi social est “l’ombre projetée” du moi fondamental.
Le troisième chapitre pose la question de la liberté. Bergson rejette tour à tour le déterminisme avec sa causalité mécanique et l’associationnisme qui réduit la vie mentale à un déterminisme psychologique. Il définit l’acte libre comme celui accompli par le moi fondamental, concret, par la personnalité toute entière. La liberté se définit comme ce rapport entre le moi et l’acte qu’il accomplit. L’acte libre se produit dans la durée vraie, dans le temps qui s’écoule. Il faut philosopher selon la durée vraie, il faut penser la liberté humaine en durée.
La conclusion reprend les trois grands thèmes explorés : l’intensité, la durée, la détermination volontaire qui correspond à la liberté. L’intensité d’un état de conscience est une qualité pure. La durée “au-dedans de nous” est une multiplicité qualitative, hétérogène. La liberté disparaît si nous confondons la durée avec l’étendue, et la succession avec la simultanéité, la qualité avec la quantité.
Patrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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