Lucrèce, de son nom complet Titus Lucretius Carus, a vécu durant la première moitié du premier siècle avant notre ère. Jérôme de Stridon, ou saint Jérôme, indique dans son Chronicon que le poète Titus Lucretius serait né en 94 (avant notre ère). Toujours selon Jérôme, Lucrèce, rendu fou par un philtre d'amour, écrivit ses œuvres durant des périodes de lucidité, puis se suicida à l’âge de 44 ans.
Lucrèce est un fervent adorateur d’Épicure (341-270 av. J.-C.). Il veut transmettre au monde romain, dont la République est à l’agonie, la philosophie de son maître grec. La seule œuvre qui nous soit parvenue de Lucrèce est son De rerum natura, qui se traduit par “De la nature des choses”. Il s’agit donc de présenter le matérialisme épicurien pour convaincre de sa supériorité philosophique.
Pour mémoire, l’épicurisme repose sur le plaisir comme principe et fin de la vie bienheureuse. Cette doctrine se divise en trois parties : la canonique qui est la théorie de la connaissance du vrai à partir de la sensation ; la physique qui affirme le matérialisme atomiste et réfute le finalisme et la religion ; l’éthique qui place le plaisir comme souverain bien. Il n’est pas question de n’importe quel plaisir, mais de celui lié aux désirs naturels et nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux.
Épicure est un médecin de l'âme qui prescrit son quadruple remède, le tetrapharmakos : les dieux ne sont pas à craindre car ils n’ont rien à faire des humains ; la mort n’est pas à redouter puisqu’elle est l’absence totale de sensation ; le bien est facile à atteindre par les plaisirs simples ; le mal est aisé à endurer notamment en ne cédant pas à des désirs vains.
Le De la nature des choses est le premier et le seul poème philosophique. Il est composé de six chants et comprend plus de 7 000 vers au total. C’est un poème scientifique, qui explique les principes de la physique épicurienne, et philosophique, à la fois éloge du maître du Jardin et exposé de son éthique appliquée. Le De rerum natura serait inspiré du grand ouvrage d’Épicure, Peri phuseôs, qui comptait 37 volumes, dont il ne reste que quelques fragments.
Comprendre l'Univers, la Nature comme un tout, montrer la place de l'homme dans ce tout, en présentant l’ensemble sous la forme poétique : tels sont les objectifs de Lucrèce. La forme est choisie pour son aspect didactique, comme une aide à la compréhension et à la mémorisation des grands thèmes de la philosophie d’Épicure. Le poème est dédié à Memmius, politicien, orateur, et sans doute hommes d’affaires puisqu'il aurait voulu faire démolir la maison d’Épicure pour en faire un immeuble à but lucratif, désir vain s’il en est. De la demeure le Jardin demeure, fut-il devenu immatériel, et cela pour l’éternité humaine.
Le De rerum natura comprend six chants et se présente sous la forme d’une structure tripartite : les principes, l’homme, le monde. Chaque chant débute par un prélude incluant un éloge implicite ou explicite d’Épicure, avec dans les chants III à VI une synthèse du sujet traité en particulier. Ensuite, Lucrèce énonce les différents arguments de la doctrine épicurienne liés à ce sujet.
Les atomes et le vide : principes de la physique d’Épicure : I, 205-212, 244-249, 328, 419-421 ; le temps n’existe pas en soi : I, 460-463 ; Le clinamen : II, 289-293 ; La forme des atomes : II, 402-429
Le monde : l’Univers est infini : I, 958-959 ; mortalité du monde : I, 1105-1174, V.
Rendre raison de la nature : I, 59 ; II, 61 ; III, 93 ; VI, 41.
Les choses sensibles naissent de l’insensible : II, 944-946.
Les simulacres : IV, 36-52 ; les poussières flottant dans le rayon du soleil : II, 112, 124.
Vérité des sensations : les tours carrées jugées rondes de loin : IV, 353-363 ; les sens et la notion du vrai : IV, 469-479.
Éloge d’Épicure (préludes des chants) : l’opposition à la religion : I ; la sagesse du plaisir et la raison : II ; le père divin : III, 9-17 ; apothéose : V, 7-12 ; le thérapeute : VI, 17-23.
L’âme : composition, animus et anima : III, 136-144 ; nature mortelle : III, 670-678.
Absurdité de la peur de la mort : III, 933-943.
L’évolution de l’humanité : V, 925, 928.
Le principe de plaisir : la frugalité : V, 1117-1119 ; les désirs vains : V, 1430-1433.
Les chants I et II traitent des principes fondamentaux de la théorie atomiste d’Épicure : rien ne naît de rien ; rien ne retourne au néant ; la nature agit par des corps invisibles, les atomes ; le vide existe ; la totalité de l’Univers n'est composée que d’atomes et de vide et le temps n’existe pas en soi. Le chant I énonce les propriétés des atomes, réfute plusieurs théories dont celle d’Héraclite, et affirme que l’Univers est infini ainsi que le nombre des atomes. Le chant II poursuit la présentation des propriétés atomiques, notamment leur forme et leur mouvement. Il introduit la notion de mortalité du monde et de pluralité des mondes.
Les chants III et IV étudient l’homme : la composition et les propriétés de son âme, la psychologie et la physiologie. Le chant III présente la nature corporelle de l’âme, sa bipartition en esprit (animus) et âme des sens (anima), et ses rapports avec le corps. Lucrèce énonce 29 preuves de la mortalité de l’âme. Il démontre ensuite l’absurdité de la peur de la mort, selon un des remèdes d’Épicure. Le chant IV expose le concept de simulacres, et il énumère différentes fonctions mentales et physiques. Il réfute le finalisme.
Les chants V et VI décrivent l’histoire du monde et les phénomènes physiques. Le chant V fait l’éloge d’Épicure sous la forme d’une apothéose, et procède ensuite à la réfutation de la religion. Il contient un autre remède d’Épicure : les dieux ne sont pas à craindre Lucrèce présente les arguments relatifs à la mortalité du monde et l’absence de sa nature divine. Il explique plusieurs phénomènes astronomiques. L’évolution de la vie sur terre est traitée depuis son origine, avec notamment l’histoire des êtres humains, de l’état de nature jusqu’à l’état de civilisation. Le chant VI examine les causes de plusieurs phénomènes météorologiques, et se conclut sur les phénomènes épidémiques chez les humains.
LUCRÈCE, De la nature des choses, Le Livre de Poche, 9e édition, 2020.
Texte intégral en ligne sur remacle.org
Patrick Moulin, MardiPhilo, août 2024.
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